Emmanuel Chirache - Publié le 17 janvier 2019
HABITAT SOLIDAIRE - Les femmes qui voyagent en solitaire sont souvent victimes d'hébergeurs malveillants. Une plateforme intitulée La Voyageuse leur permet désormais d'être accueillies en sécurité.
Les femmes aiment de plus en plus voyager en solo, comme le confirment tous les chiffres donnés par les agences de tourisme. Hélas, certaines hésitent encore à sauter le pas à cause des problèmes de sécurité qu'elles peuvent rencontrer au cours de leur périple. Principal crainte : l'hébergement, surtout pour celles qui préfèrent loger chez l'habitant plutôt que résider dans un banal hôtel.
Comment être tout à fait certaine que son hôte n'a pas une idée derrière la tête ? Drague insistante, agressions sexuelles, voire viols, les préjudices subis par les routardes sont nombreux. C'est parce qu'elle voyage seule depuis qu'elle a 18 ans et qu'elle connaît les galères rencontrées par les femmes que Christina Boixière a décidé d'inventer La Voyageuse, une plateforme qui met en relation des globe-trotteuses et des hôtesses désireuses de les accueillir chez elles.
Taïwanaise installée à Bordeaux depuis trois ans, la jeune entrepreneure revendique un tourisme solidaire, qui place l'humain au cœur de son projet. Nous lui avons posé quelques questions pour en savoir plus sur son initiative.
18h39 : D'où vient l'idée de La Voyageuse ?
Christina Boixière : J'ai vite réalisé que j'aimais voyager en solo, c'est une façon plus spirituelle de vivre cette expérience. La plupart des gens que je rencontre me disent que je suis courageuse et qu'ils n'oseraient pas en faire autant ! J'aime vraiment faire des rencontres avec les habitants locaux et j'ai fait beaucoup de couch surfing (hébergement chez l'habitant, souvent sur le canapé, ndlr.) au cours de mes voyages. Malheureusement, j'ai eu de très mauvaises expériences avec certains hommes...
Parfois, le type me disait qu'il avait une copine mais en fait c'était faux, il faisait ça pour draguer des filles, parfois pire. Une fois, un garçon m'a proposé avec insistance de dormir dans sa chambre, je me suis échappée au milieu de la nuit ! Ces agressions récurrentes dégoûtent certaines voyageuses pour toujours, alors je me suis dit que je devais aider les femmes à se sentir en sécurité.
Comment faites-vous pour garantir cette sécurité d'hébergement ?
Nous avons réalisé un entretien et un sondage sur 100 voyageuses pour connaître leurs envies et leurs attentes. Or, elles se sentent plus en sécurité quand elles sont accueillies par des femmes, même si celles-ci sont accompagnées par leur mari ou leur compagnon. Ensuite, nous avons un système de vérification de nos hébergeuses très détaillé, avec un contrôle des passeports et un long entretien téléphonique.
Et puis elles ne font pas ça pour l'argent ! On encourage les hébergeuses à participer à des événements avec les voyageuses et on en profite pour les rencontrer nous aussi. Contrairement à Airbnb par exemple, on effectue un vrai suivi des profils au fil du temps grâce à un questionnaire privé. On veut garantir l'authenticité de nos hébergements et la meilleure sécurité sur le marché.
Qui sont ces hébergeuses ?
Nous avons 550 hébergeuses en France. Elles sont souvent à la retraite avec un mari, leurs enfants ont quitté la maison depuis quelque temps. Leur envie, c'est de rencontrer des gens qui viennent d'autres pays, d'autres cultures, d'aller boire le café avec eux, de leur montrer la ville, de cuisiner pour eux, de leur faire découvrir des choses qui sortent de l'ordinaire du touriste.
Nous avons constaté qu'il existait une grande solidarité entre femmes. Pour elles, c'est presque une mission ! C'est simple, elles ont une chambre vide et elles la remplissent quelques nuits par an, ce n'est pas grand chose... C'est aussi plus rassurant d'accueillir une femme seule que des hommes. Enfin, rencontrer des voyageuses, c'est la possibilité de voir du pays en restant chez soi, une solution pratique quand on ne peut plus trop bouger.
Combien coûte ces hébergements que vous proposez ?
On marche par abonnement. Il coûte 119 euros par an, c'est peu car on veut que les étudiantes puissent vivre cette expérience en solo. Beaucoup pourraient payer plus, mais ce n'est pas notre objectif, on veut être accessible aux plus jeunes et à ceux qui n'ont pas beaucoup de moyens.
En gros, vous ne payez pas pour le loyer mais pour devenir membre d'un club, d'une communauté, comme une association. Avec cet argent, vous contribuez au système de sécurité : ce qui coûte cher, c'est de téléphoner aux hébergeuses et de gérer la hotline que nous avons mis en place.
Votre plateforme est réservée aux hôtesses, mais comment les hommes doivent-ils se comporter pour rassurer une femme seule qu'ils hébergent ?
C'est vrai qu'il y a parfois des hommes qui sont célibataires depuis longtemps, et quand ils rencontrent une nana ils lui sautent un peu dessus. Ce n'est pas méchant mais ça peut être mal interprété, c'est maladroit. Je leurs dirais de prendre de la distance, d'éviter les contacts physiques dans un premier temps, surtout avec les personnes de culture étrangère comme les asiatiques, qui ne sont pas habitués au concept de la bise.
Si on pose des questions intimes trop vite, c'est louche : "Tu as un copain ? Pourquoi tu voyages seule ? Tu me trouves beau ?" J'ai déjà entendu ça, c'est un discours inquiétant, surtout le premier jour en tête-à-tête. Je tiens à préciser que La Voyageuse n'est pas qu'un projet féministe, c'est un projet qui met en avant l'égalité des sexes. On veut montrer qu'il y a des hommes de confiance, à travers les femmes. Ils supportent le projet et travaillent avec nous ! Ils ont des copines, des filles, des amies, des collègues, et ils comprennent l'importance de ce qu'on fait.
Si vous souhaitez devenir voyageuse ou hébergeuse, c'est par ici !