Matthieu M. - Publié le 29 janvier 2018
VILLE - Pour l'architecte et urbaniste Jan Gehl, le bien-être est à portée de main, que l'on vive dans un petit village ou dans une grande métropole. Entretien
On entend souvent parler de villes “à taille humaine”. Ce qui laisse penser que certaines villes, trop grandes, ne seraient pas adaptées à la vie des femmes et des hommes qui y vivent.
L'architecte et urbaniste danois Jan Gehl pense, bien au contraire, que toutes les villes, même les plus étendues et les plus denses, peuvent être un endroit où il fait bon vivre. À condition que le bien-être des habitant-es y soit érigé en valeur maîtresse.
Connu pour son travail qui réoriente la ville sur les piétons et les cyclistes, il liste toute une série de critères pour faire de la ville un lieu propice au bonheur dans son ouvrage paru en 2010 Cities for People (Pour des villes à échelle humaine en français, publié et traduit par les éditions Écosociété).
Divisés en trois catégories, attrait, confort et protection, ces critères sont la clé d'une ville pensée pour les gens.
Nous nous sommes entretenus avec lui pour comprendre les secrets de fabrication d'une ville heureuse.
Votre crédo c'est “des villes faites pour les gens”. Est ce que cela veut dire que certaines villes ne le sont pas justement ?
Effectivement, je pense que le tissu urbain qui est apparu après 1960 ne s'est pas préoccupé de son attrait pour les gens qui y vivaient ou travaillaient. Tout y est trop haut, trop grand, tout est bétonné, c'est froid.
En fait, tout y est très différent des villes qui se sont développées avant 1960, qui, elles, étaient pensées pour les gens, à une échelle raisonnable, où l'on prenait le temps.
À quoi ressemble une ville pensée pour les gens selon vous ?
La plupart des villes anciennes étaient faites pour les gens, et certaines d'entre elles, encore aujourd'hui, remplissent encore très bien cette fonction. Il y en a même qui se sont améliorées.
Je pense par exemple à la ville de Copenhague, au Danemark, qui a beaucoup souffert du trafic automobile. Depuis, la ville a opéré un grand nettoyage pour se débarrasser de l'invasion automobile. Aujourd'hui, c'est devenu une référence pour les cyclistes du monde entier : 41% des habitants de la capitale danoise utilisent le vélo pour aller travailler.
Les villes du monde entier devraient s'inspirer de Copenhague ?
Oui bien sûr ! Chaque année, il y a plus de 400 délégations, de maires et d'urbanistes qui viennent à Copenhague pour voir ce qui a été fait. La ville a mis 50 ans environ pour atteindre un tel niveau de qualité de vie. Ce n'est pas étonnant qu'elle figure toujours en tête des classements des villes les plus agréables, aux côtés de Melbourne, en Australie.
En français, votre livre est traduit par “des villes à échelle humaine”, expression que l'on utilise en opposition à des villes trop grandes. Existerait-t-il une superficie idéale pour rendre les gens heureux ?
Non, je ne crois pas. Quel que soit l'endroit où vit un Homo sapiens, il faut faire en sorte de respecter de bonnes conditions pour qu'il soit heureux. Qu'il vive dans un petit village, une petite ville ou encore une grande métropole comme New-York ou Moscou. C'est la même chose.
Quelles sont ces bonnes conditions dont vous parlez ?
J'ai l'habitude de dire qu'on devrait faire des villes qui soient vivable, durables, sûres et saines. Il faut faire en sorte que les gens puissent circuler facilement, à pied ou à vélo.
Donc le fait de vivre dans une ville immense n'est pas nécessairement incompatible avec la notion de bien-être ?
Quand on s'intéresse aux grandes villes, on remarque qu'elles sont toutes subdivisées, comme Paris avec ses arrondissements, ou encore Londres ou New-York. En fait, toutes les grandes villes sont une agrégation de petites villes, qui ont chacune leur centre-ville et de ses services spécifiques. On recréé une échelle humaine dans nos quartiers.
Que pensez-vous des villes françaises ?
La plupart des villes que je connais font des choses intéressantes. Mon agence travaille sur un nouveau quartier à Lille, qui va être un endroit très intéressant, très agréable. Pareil à Lyon, où nous travaillons sur l'amélioration de la rue de la République.
Si les villes continuent de grandir, ne risque-t-on pas de tuer la nature ?
Pas du tout ! Ce n'est pas un désastre si les villes grandissent, c'est même une bonne chose en ce qui concerne l'économie mondiale puisque la richesse est dans les villes. Il faut juste veiller à ce que que les villes et les quartiers nouveaux soient durables et œuvrent pour l'environnement.