Martin Dawance - Publié le 16 septembre 2016
PATRIMOINE - Plus de 120 ans après sa construction, “la Ruche”, est toujours debout et recèle une histoire étonnante. Visite.
On entend le bruit des marteaux et des machines de chantier depuis le bout de la rue Paul Lafargue, située à côté de la station de RER la plaine stade de France, à Saint-Denis. Les travaux vont bon train au numéro 50, où se trouve “la Ruche”.
Tout le monde s'active afin que la rénovation du premier HBM (Habitat Bon Marché) de France s'achève dans les temps, pour les journées du patrimoine. Construit en 1893, la Ruche est un symbole du logement social français.
Le portail s'ouvre sur un ensemble coquet de petits immeubles d'un étage à la façade gris anthracite. “C'est la couleur d'origine du bâtiment”, explique Patrick Kamoun, historien spécialiste du logement social, qui mène la visite en ce matin de septembre. En tout, on compte 66 logements, doté de petits jardins individuels.
Les pavillons sont construits sur deux niveaux comportant chacun des appartements trois pièces. Trois chambres : une pour les filles, une pour les garçons, et une pour les parents, respectant ainsi les critères moraux de l'époque.
La lumière du jour inonde toutes les pièces, leur donnant un air luxueux. Chaque appartement possède des toilettes alors que ce privilège n'était réservé qu'à la classe bourgeoise à l'époque de sa construction. Enfin, tous les pavillons recevaient le gaz et l'eau courante (gratuite) ce qui était loin d'être la norme dans les habitats ouvriers classiques.
Une utopie sociale capitaliste
Si les HLM sont une évidence pour nous aujourd'hui, le logement social n'a pas toujours fait partie du paysage urbain. C'est à Jules Siegfried (1837-1922), député-maire du Havre, que l'on doit la création du premier HLM en France.
Il le nomme “la Ruche”. Faisant l'analogie entre l'ouvrier et l'abeille, l'entrepreneur a pour ambition d'offrir un endroit confortable pour que l'ouvrier puisse fournir sa force de travail dans les meilleures conditions possibles.
Certes, il existait déjà les corons, ces cités ouvrières qui ont fleuri dans la seconde moitié du 19e siècle. Mais ces derniers étaient financés par les industriels. En 1894, Jules Seigfried fait voter une loi qui lance la politique du logement social en France.
Il souhaite même que les ouvriers deviennent propriétaires de ces logements, ce qui ne sera finalement jamais le cas. Car, “celui qui possède ne veut pas abattre l'ordre existant”, répétait le député. En d'autres termes, si les ouvriers sont propriétaires, ils ne seront pas révolutionnaires. Le spectre des révoltes de la Commune n'est pas très loin.
Les ouvriers devaient cultiver leur jardin
Devant son pavillon, un des locataires actuels s'occupe de son potager, comme auraient pu le faire les habitants il y 123 ans.
“L'idée à l'époque était d'occuper l'ouvrier durant son temps libre, explique Patrick Kamoun. Au lieu de passer ses heures perdues au cabaret où il risquait d'attraper la Syphilis et boire à foison, les deux fléaux qui touchaient cette classe, l'ouvrier devait prendre soin de son potager sur ce petit terrain.”
Le gardien veillait même à ce que chaque jardin soient cultivés. L'ordre moral et la surveillance régnaient alors.
La hiérarchie et la morale omniprésente
Depuis le premier étage, un coup d'?il par la fenêtre montre que tous les logements ne sont pas identiques. “'L'idée était de transposer la hiérarchie de l'usine dans la cité-jardin, raconte Dominique Demay, directeur territorial d'Antin résidences, l'organisme en charge de la Ruche.
Les jeunes ouvriers vivaient dans le bâtiment de 4 étage au fond de la cour. Les pavillons individuels étaient réservés à leurs supérieurs.
Si le lien social se réduit quelque peu, la petite cité ne s'est pas embourgeoisée et ses loyers restent très modérés. Le loyer d'un appartement de 55m2 s'élève charge comprise à 400 euros, préservant ainsi l'esprit du projet.
“On ne sait plus faire ça aujourd'hui”, précise Dominique Demay devant l'un des pavillons, “c'est deux fois moins que pour un HLM classique”. Ces prix imbattables devraient permettre à des familles monoparentales de s'installer.
Alors que la visite se termine, le doyen de la ruche Jean Labaune, habitant le pavillon 15 depuis 1935 traverse l'allée. Un souvenir lui revient, celui de la gardienne qui le réprimandait lorsqu'il jouait dans la cour avec ses camarades. Une surveillance digne des débuts de la Ruche. On ne plaisantait pas avec la reine des abeilles.