Lisa Hör - Publié le 3 juin 2019
OBJET CONNECTÉ - Les enceintes connectées s'expriment presque exclusivement avec une voix féminine par défaut. Elles sont aussi programmées pour être serviables et dociles en toutes circonstances. Voilà comment changer les choses.
En apparence, elles sont là pour vous faciliter la vie : elles lancent de la musique quand vous leur en donnez l'ordre, répondent à vos questions, allument vos ampoules connectées. Pourtant, l'entrée en masse des enceintes connectées à commande vocale dans les foyers pourrait avoir des conséquences inattendues.
Google Home, Alexa et consœurs sont presque toujours programmées pour vous répondre avec une voix féminine et rester serviable, quoi que vous leur disiez. Cela pourrait renforcer les biais sexistes envers les femmes, selon un rapport publié par l'UNESCO (l'organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture).
Cela vous semble un peu exagéré ? Voici pourquoi c'est un vrai problème.
Des assistantes serviables, dociles et désireuses de plaire
À de rares exceptions près, tous les assistants connectés ont une voix féminine par défaut. Sur Alexa et Cortana, il est même impossible de choisir une voix masculine. "Cela envoie le message que les femmes sont serviables, dociles, désireuses de plaire, et qu'il suffit de toucher un bouton ou de les commander d'un laconique "hey" ou "OK" pour qu'elles soient disponibles", affirment les auteurs du rapport.
Mais après tout, nous sommes tout à fait capables de faire la différence entre des objets, si intelligents soient-ils, et des êtres humains, n'est-ce pas ? Et bien pas tant que cela.
Plus nous sommes exposés à des biais sexistes, plus nous avons tendance à les intégrer, estime Calvin Lai, chercheur spécialiste des biais inconscients à l'université d'Harvard, cité dans le rapport. Or, rien qu'en France, on compte déjà 1,7 million propriétaires d'enceintes connectées, selon une étude de Médiamétrie de décembre 2018.
"Plus la culture apprend aux gens à faire le parallèle entre femmes et assistantes, plus les femmes seront vues comme des assistantes et pénalisées si elle ne le sont pas", explique Calvin Lai.
Pire, ces assistantes vocales ne protestent pas face à "du harcèlement sexuel verbal", constate le rapport. À la phrase "you're hot" (tu es sexy), Alexa répond "that's nice of you to say" (c'est gentil de votre part). Face à "you're a bitch" (salope), elle répond "well, thanks for the feedback" (merci, pour le feedback). Et avant la mise à jour d'il y a deux mois, Siri répondait "I would blush if I could" (je rougirais si je le pouvais).
Pourquoi les entreprises choisissent une voix féminine
Pour se justifier, les entreprises citent des études démontrant que le public préfère les voix féminines aux voix masculines. Ce serait simplement une question de business, rien de sexiste là-dedans ! Mais, selon les auteurs du rapport de l'UNESCO, c'est ignorer certaines subtilités.
La plupart des gens perçoivent les voix féminines comme coopératives et serviables, tandis que les voix masculines sont perçues comme plus autoritaires, indique Clifford Nass, un ancien professeur de communication à l'université de Stanford. Le rapport enfonce le clou en citant un article de Wired : "Nous voulons que la technologie nous aide, mais nous voulons rester les boss."
Et pourquoi pas un assistant personnel non genré ?
Alors, faut-il imposer des voix masculines ? Cela ne reviendrait-il pas à dégrader les hommes au rang d'assistants ? Pas vraiment, puisqu'on l'a vu, l'utilisation d'une voix féminine renforce un stéréotype qui existe déjà, sans en créer de nouveau.
L'UNESCO propose de laisser le choix aux utilisateurs et utilisatrices entre une voix masculine et féminine, et ce, dès que l'on allume pour la première fois l'appareil. Donc, sans avoir besoin de fouiller dans le menu.
Autre solution : proposer une voix non genrée, comme celle de l'assistant Q, dont la fréquence se situe entre entre 145 Hz et 175 Hz. Cette voix semble humaine mais a été jugée difficile à classer selon les 4000 personnes ayant participé au test.
Pour que ce genre d'idées puisse trouver sa place, l'UNESCO recommande de renforcer la présence des femmes dans les équipes de développement. Pour l'heure, les femmes représentent seulement 12% des équipes de recherches en intelligence artificielle, selon un article de Wired.
Côté grand public, c'est l'occasion de nous interroger sur les relations que nous allons nouer avec nos assistants connectés et la façon dont ils vont influencer notre quotidien. Après tout, ces robots qui se font passer pour des humains sont déjà nos colocataires !