Lisa Hör - Publié le 15 décembre 2016
FUTUR - Nous discuterons avec nos assistants personnels vocaux et virtuels en charge de faciliter notre quotidien à la maison. Pour le meilleur ou pour le pire ?
Plus besoin de chercher l'interrupteur ou la télécommande. Dans les livres de Catherine Dufour, autrice de romans d'anticipation, il suffit de parler aux objets de la maison pour qu'ils nous obéissent. "Allume", ordonne ainsi Nylone, adolescente héroïne de sa nouvelle "Mémoires mortes" (Le Bélial, 2011) - et l'écran de son ordinateur s'exécute aussitôt.
Cette scène n'est déjà plus de la science-fiction. Les assistants personnels, que l'on commande par la voix, sont vendus sur le marché américain et ne devraient pas tarder à débarquer dans les maisons françaises.
Il faut encore les appeler par leur prénom pour qu'ils sachent que l'on s'adresse à eux et pas à notre colocataire en chair et en os ("Ok Google, allume le chauffage", pour Google Home par exemple).
Mais ils se chargent bel et bien de piloter les objets connectés de la maison, de répondre à nos questions sur le programme du cinéma, la météo ou nos rendez-vous du lendemain, en consultant internet ou nos agendas.
Ils ne sont pas encore tout à fait capables de tenir une conversation poussée, ni d'inventer des blagues, mais leur voix est déjà une révolution en soi.
Gagner du temps et du confort
Argument fort des constructeurs : ces assistants vocaux sont conçus pour nous faciliter le quotidien. "Ça va vraiment nous permettre de gagner du temps, d'arrêter de penser à des choses qui pourraient être automatisées", juge Pierre-Gilles Leymarie, 22 ans, concepteur de Gladys.
On interpelle cette assistante personnelle par son nom pour lui donner des ordres (ces entités sont souvent féminisées, le cliché de la ménagère a la vie dure), mais elle est aussi pensée pour prendre des initiatives. Elle peut par exemple modifier d'elle-même l'heure de notre réveil, les matins où elle constate que des embouteillages pourraient vous mettre en retard pour le travail.
Pour Pierre-Gilles Leymarie, on ne pourra plus se passer de ce confort. "Cela reviendrait à se passer d'électricité aujourd'hui", estime-t-il.
Un compagnon au quotidien
"On va se ruer avec bonheur sur les assistants personnels", acquiesce Catherine Dufour, qui considère les avantages comme évidents - le confort, les accidents domestiques évités, les courses qui se font toutes seules... mais s'intéresse surtout à “la dimension psychologique”.
Retour à "Mémoires Mortes". Lorsque Nylone fait taire l'assistant intelligent qui gère l'agenda de sa famille d'un tonitruant "la ferme !", c'est un autre robot, censé décharger ses parents de son éducation, qui lui répond : "On ne dit pas la ferme au home-net".
L'adolescente a beau ne pas supporter cet assistant-éducateur, qui ressemble "à un pot de fleurs à roulettes" grinçant (à cause de sa chenille gauche grippée), elle admet qu'il va lui manquer lorsqu'il sera désactivé.
C'est justement pour susciter cet attachement que la start-up française Vivoka a choisi de donner à Zac, son assistant personnel, la forme d'un raton-laveur en costume de majordome.
"On emmènera Zac avec nous quand on déménagera, se projette William Simonin, l'un des cofondateurs. Il sera lié à la famille plutôt qu'à la maison, puisqu'il connaîtra nos habitudes."
Une voix bienveillante ?
Dans la série américaine Mr Robot, le personnage de Dom confie carrément ses doutes existentiels à son assistante personnelle. "Alexa, pour quand est la fin du monde ?", l'interroge-t-elle, couchée dans le noir.
"À moins qu'elle n'entre en collision avec un très grand astéroïde où qu'une technologie humaine ne tourne très mal, la Terre devrait être détruite dans plusieurs milliards d'années, quand le soleil deviendra une géante rouge."
Une réponse qui ne sortira pas Dom de ses doutes ni de sa solitude. Pourrait-elle même l'y plonger davantage ? La chercheuse Véronique Aubergé, qui travaille sur les rapports entre humains et robots au laboratoire d'informatique de Grenoble, rappelle que l'on associe toujours un corps et une personnalité à une voix.
Et cette voix, même si elle est pensée pour être bienveillante, peut avoir un impact très fort sur nous. Un impact différent selon notre état d'esprit du moment.
"On a aucune idée de ces effets pour le moment", estime Véronique Aubergé. Rappelant l'histoire du film Her, de Spike Jonze, où le héros tombe amoureux de son assistant virtuel. La réalité pourrait rattraper la fiction.
"Ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas y aller, tempère la scientifique. Mais pas les yeux fermés.”
C'est pourquoi elle réclame une réflexion éthique à ce sujet et considère que les constructeurs devraient avoir l'obligation d'étudier les effets psychologiques directs et indirects de leurs assistants vocaux et de les communiquer au grand public.
Ainsi, ce dernier pourra s'emparer du débat et décider ou non d'accepter ces intelligences artificielles à domicile. Alors, seriez-vous prêt-e ?