Matthieu M. - Publié le 15 mars 2020
URBANISME - Le professeur Carlos Moreno a théorisé le concept de “Ville du quart d'heure” pour renforcer la proximité et rendre la cité plus agréable. Entretien.
“Métro, boulot, dodo” : et si cette expression qui résume bien souvent la vie des citadins, appartenait désormais au passé ? Prendre sa voiture pour aller travailler, faire ses courses, où se soigner n'est plus l'image que l'on se fait de la ville du futur.
Carlos Moreno, scientifique franco-colombien est un spécialiste de la Smart City (la ville intelligente en français). Pour rendre la ville plus agréable à l'heure où le changement climatique impose une remise en cause de nos modes de vie, le professeur a théorisé “la Ville du quart d'heure”. Le principe ? Tout ce dont vous avez besoin se trouve à moins de quinze minutes de chez vous : votre bureau, un espace de verdure, l'école, les centres de santé ou les lieux de culture. Plus besoin de prendre la voiture.
Pour en savoir un peu plus, nous sommes allés interroger celui qui a conceptualisé cette ville écolo.
18h39 : Le concept de “Ville du quart d'heure” s'est invitée dans la campagne municipale. C'est vous qui avez théorisé cette notion. En quoi consiste-t-elle ?
Carlos Moreno : La ville du quart d'heure, c'est restituer du temps utile aux habitants d'une ville. C'est rendre accessible des services qui, dans la proximité du quart d'heure, à pied ou à vélo, leur permettent un mode de vie où la mobilité est choisie et non imposée. La “Ville du quart d'heure” c'est redécouvrir la proximité, son quartier et des ressources que souvent beaucoup ignorent.
C'est aussi sortir de l'anonymat et donner la possibilité à l'échelle d'une ville d'optimiser des lieux pour qu'ils servent à plusieurs usages, et que dans chaque usage il y ait plein d'activités différentes, plein de gens différents.
Vous avez opposé la mobilité imposée et la mobilité choisie. Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?
La manière dont les villes se sont construites a donné lieu à une segmentation très lourde. On a le centre administratif d'un côté, les entreprises de l'autre. À Paris, ces dernières sont plutôt à la Défense ou au Nord. Il s'agit d'offrir une nouvelle manière d'aménager la ville qui jusqu'à maintenant était orientée par des infrastructures, aujourd'hui l'objectif est de se centrer sur des manières de vivre, des usages.
La mobilité subie c'est quelqu'un qui n'a pas d'autre choix que de prendre le RER A, de faire ses courses au supermarché, comme ça a été le modèle pendant longtemps. La Ville du quart d'heure c'est justement pouvoir offrir une flexibilité dans ses choix de vie pour découvrir des ressources de proximité, une manière de vivre qui soit beaucoup plus calme et beaucoup plus apaisée. C'est donner un nouvel usage aux espaces publics, les transformer pour que ça soit des lieux dans lesquels les gens vivent : en les piétonnisant, en mettant de la végétation, en réduisant la circulation des voitures.
En quoi les nouvelles technologies ont-elles contribué à populariser la Ville du quart d'heure ?
Le concept de Ville du quart d'heure ou “chrono-urbanisme” de manière générale n'est pas née avec la technologie, c'est une discipline scientifique qui existe depuis longtemps, elle étudie le lien entre le rythme de la ville, le temps et la manière de vivre.
Ce sont des questions qui se posent depuis longtemps. La notion du temps est quelque chose de vital parce que c'est ce qui vous est donné comme espace pour pouvoir faire ce que vous voulez de votre vie. Si vous ignorez le temps qui vous appartient, votre vie est soumises à des contraintes fortes.
Les nouvelles technologies permettent de redécouvrir la proximité. À travers une plateforme numérique on peut explorer toutes les choses que vous avez dans votre quartier et que vous ignorez totalement. Les nouvelles technologies permettent de faire des hypothèses démographiques pour connaître les besoins des personnes.
Vous pouvez aussi imaginer de nouveaux usages, des lieux qui peuvent pallier des absences : un cinéma peut être converti en lieu de conférence par exemple, vous pouvez faire des fablabs de proximité pour apprendre aux gens à faire des objets, à réutiliser les choses plutôt que d'acheter tout neuf. Les nouvelles technologies sont un outil qui aide à construire la Ville du quart d'heure.
Si ce n'est pas une problématique récente, pourquoi n'a-t-on pas pensé à la promouvoir avant ?
Ce qui est nouveau aujourd'hui c'est qu'on est en train de s'imaginer un mode de vie qui intègre la menace climatique. Les accords de Paris ont mis en exergue que cette menace était réelle dans nos vies, que c'est une réalité. On vit des épisodes de canicule tout le temps, nous assistons à des phénomènes météo extrêmement violents. Le mouvement des jeunes enclenché par Greta Thunberg a éveillé beaucoup de consciences autour du monde, une prise de conscience qui fait évoluer nos modes de vie.
Et où vivent les gens ? Majoritairement dans les villes : 70% des Européens sont des urbains. Aujourd'hui à partir du moment où on veut lutter contre le changement climatique, on se pose la question de comment vivre autrement dans les villes ? Quand vous savez que la mobilité c'est la première source d'émissions de CO2, il faut s'attaquer à la racine du problème.
C'est pour ça que la conception de Ville du quart d'heure explose car elle est profondément écologique. Avec la Ville du quart d'heure on se déplace moins, car on rend les villes piétonnes, les gens marchent, on végétalise. La ville de proximité, c'est de l'écologie à l'état pur : moins de déplacement, plus de gens qui se disent bonjour, on fait plus attention à la nature. On développe l'amour des lieux pour que les gens fassent attention aux endroits qu'ils fréquentent.
Donc la Ville du quart d'heure c'est une ville sans voiture ?
Je ne suis pas en guerre contre les voitures, mais je suis pour les changements de mode de vie. Je suis pour les voitures quand elles sont à leur place, uniquement quand elles sont utiles et ne viennent pas perturber les autres. La priorité c'est les piétons, pour qu'ils puissent découvrir le quartier, profiter de l'espace public. Ensuite viennent les vélos, les transports publics, les taxis ou véhicules partagés et en dernier les voitures et deux roues motorisés. C'est une question de priorité.
La proximité, vous l'avez dit, fait sortir les urbains de l'anonymat. L'intérêt de la Ville du quart d'heure est aussi de créer du lien social et lutter contre la solitude des grandes villes ?
La solitude aujourd'hui est un problème majeur, un phénomène extrêmement anxiogène. La Ville du quart d'heure, puisqu'elle valorise les services de proximité, incite les gens à aller chez le commerçant d'à côté, à fréquenter des espaces publics partagé où l'on a un brassage de gens différents, une mixité intergénérationnelle. C'est le fait de connaître les gens qui vivent autour de soi. Peut être que mon voisin est professeur de mandarin, et si je l'avais su, ça m'aurait évité de me rendre à 40 minutes à l'autre bout de la ville pour suivre mes cours.
Par définition cette notion de proximité, c'est la possibilité de rencontrer l'autre, sa richesse, son altérité, aller dans le sens du respect mutuel. Le fait de dire bonjour, entamer un dialogue ça permet à chacun de sortir de son propre isolement. C'est également de l'entraide, comme ça existait avant, c'est redécouvrir les gens même avec une couleur différente, une religion différente. Il est urgent de construire une pédagogie de la proximité pour recréer du lien social.
Existe-t-il déjà des Villes du quart d'heure qui peuvent servir d'exemple ?
Vous avez déjà toutes les villes du nord de l'Europe. Eux ils ne l'appellent pas la ville du quart d'heure ils l'appellent la ville des “5 minutes”. Ca fait très longtemps qu'ils sont à vélo, qu'ils marchent, qu'ils ont redécouvert qu'il ne fallait pas travailler de 8h à 8h mais qu'à 16h il faut rentrer chez soi et s'occuper de sa famille. Vous avez des villes comme Melbourne, qui a un programme qui s'appelle “Melbourne 20 minute-city”. En France, des villes comme Paris, Nantes, Rennes, Mulhouse ont épousé cette idée-là. On va les transformer car il y a une vraie volonté politique derrière.