Lisa Hör - Publié le 21 mai 2019
MAISON EXTRAORDINAIRE - À Roquevaire, dans le sud de la France, cette artiste a transformé au fil des années sa maison en un musée vivant. Visite guidée en photos et en podcast de ce lieu unique.
Impossible de manquer cette façade, à l'entrée de Roquevaire, dans les Bouches-du-Rhône. Elle fait fièrement face à la route, entièrement recouverte de céramique, d'émaux, de peintures vernies. Sur la porte, il est inscrit "La Dame qui Peint".
Danielle Jacqui, 85 ans, s'est donné ce nom, en référence au boulanger qui habitait en face autrefois, "celui qui faisait le pain". Un détour pour ne pas se qualifier elle-même d'artiste. Pourtant, aujourd'hui, elle est exposée notamment dans la Collection de l'art brut, un musée de Lausanne. Plongeons dans l'univers de cette figure majeure de l'Art singulier, un dérivé de l'Art brut.
Son œuvre majeure, c'est bien sa maison, où elle accueille chaleureusement les visiteurs. Lorsqu'elle ouvre la porte, c'est tout un monde de couleurs derrière elle. On la suit dans les escaliers, en déchiffrant le poème sur les contremarches : Ici commence le printemps / Dans le bleu du ciel fleurit la rose / Mon escalier est un jardin / Mon pré d'herbe ma folle maison / Mon carré de pissenlits / Mon apachie ma prairie / Mon action ma réaction
L'escalier de la maison de Danielle Jacqui. © Clara Le Guern
À l'étage, c'est encore une explosion de détails, jusqu'à la grande fresque du plafond. Aucune affaire personnelle ici, ou presque, quelques livres empilés, deux photos en noir et blanc. Tout la place est laissée aux sculptures et aux peintures de Danielle Jacqui.
Écoutez-la raconter sa vie et son art tout en vous plongeant dans ses tableaux hypnotiques !
"On doit être chacun son propre architecte d'intérieur"
Danielle Jacqui commence la visite par sa chambre d'été, toute en nuance de bleu, et par sa chambre d'hiver rouge écarlate. Deux pièces très intimes, qu'elle ouvre sans aucune réserve. Lorsqu'on lui demande comment elle se sent ici, en songeant que l'on aurait un peu peur de s'y réveiller la nuit sous le regard des personnages peints et des poupées brodées, elle balaie la question : "Je suis chez moi."
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L'une des broderies de Danielle Jacqui. © Clara Le Guern
Robe, masque et peintures. © Clara Le Guern
La chambre rouge. © Clara Le Guern
Les poupées de Danielle Jacqui. © Clara Le Guern
L'artiste a acheté sa maison en 1982. La première chose qu'elle a faite : aménager une salle de bains, un luxe dont elle n'avait jamais profité. Puis, petit à petit, elle a commencé à investir les lieux, jusqu'à arriver à cet intérieur unique. Certaines pièces manquent de lumière, mais Danielle Jacqui en a pris son parti, en créant "une maison mystère". Pour elle, il aurait été impensable de faire appel à une personne extérieure pour la décorer : "On doit être son propre architecte d'intérieur."
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© Clara Le Guern
© Clara Le Guern
Croquis de Danielle Jacqui. © Clara Le Guern
Trouver sa voie avec l'ORGANuGAMME
Avant de dédier sa vie à son art, Danielle Jacqui a été brocanteuse et a élevé quatre enfants. Autodidacte, elle est considérée comme l'une des représentantes de l'Art singulier, un courant artistique issu de l'Art brut. Mais elle est préfère utiliser le mot qu'elle a inventé : l'ORGANuGAMME. "C'est la définition d'un individu, qui conduit son rêve et sa passion jusqu'au bout, quitte à en mourir", explique-t-elle. Si ce mot semble composé des mots "organique" et "gamme", à chacun de faire ses propres poèmes dessus.
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La cuisine multicolore. © Clara Le Guern
Chaises peintes par Danielle Jacqui. © Clara Le Guern
© Clara Le Guern
Une autre chambre tapissée de tableaux. © Clara Le Guern
"Je suis entrée dans ma vie d'adulte démunie", raconte Danielle Jacqui. Elle a suivi une scolarité difficile dans une "école nouvelle", qui encourage l'esprit d'exploration des élèves, mais ne lui a pas permis de poursuivre ses études. La peinture lui a "ouvert une porte", mais à nouveau elle s'est sentie marginalisée face à l'Art académique.
La maison de Danielle Jacqui restera-t-elle un musée ?
Pour poursuivre la visite, il faut redescendre l'escalier, sortir sur la rue. Là, Danielle Jacqui ouvre deux portes, que l'on n'aurait jamais remarquées sous toutes ces couleurs. On entre dans une deuxième caverne d'Ali Baba. Une ancienne remise, désormais remplie de ses sculptures. Son "jardin d'hiver", où son mari adorait passait du temps, mais où elle ne se rend plus, car elle s'y sent trop isolée.
Ce qu'elle aime, c'est entendre le bruit de la circulation. D'ailleurs, elle garde les fenêtres et la porte ouvertes autant que possible, pour laisser entrer la vie et les curieux.
Danielle Jacqui envisage aujourd'hui de ralentir le rythme, même si elle n'est pas sûre d'y arriver. Alors qu'elle s'apprête à inaugurer début juillet une chapelle de Draguignan, dont les murs sont entièrement recouverts de ses peintures, elle s'interroge sur ce que deviendra son extraordinaire maison après elle. Son souhait : trouver un repreneur pour qu'elle reste un musée.
"Je ne sais pas si c'est la maison de mes rêves. Non, car il n'y a pas de cuisine américaine, lance malicieusement l'artiste. Mais si le chemin était à refaire, je le referais. C'est du Paul Éluard ça."