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SOCIÉTÉ - À l'occasion du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, nous nous sommes entretenus avec une association qui aide les victimes de violences à se reconstruire. 

En 2019, 151 femmes ont été tuées par leur compagnon ou leur ex, selon ce collectif qui recense les féminicides sur sa page Facebook. Et selon l'Observatoire des violences faites aux femmes, 220 000 femmes majeures sont victimes de violences au sein de leur couple chaque année. 

Dans ce contexte, des personnes se battent pour aider ces femmes à s'en sortir. C'est le cas de l'équipe de FIT - Une Femme, un toit

Cette association féministe et laïque a ouvert en septembre 2019 un lieu d'accueil et d'orientation à Bagnolet, pour les femmes entre 15 et 25 ans de Paris et de la Seine-Saint-Denis. 

Elle gère également un centre d'hébergement et de réinsertion sociale dans Paris. Celui-ci peut accueillir 60 jeunes femmes en situation d'exclusion sociale et victimes de tous types de violences sexistes et sexuelles. Elles ont entre 18 et 25 ans et sont sans enfant. Des profils qui sont souvent “hors des radars des autres dispositifs d'urgence”, explique Séverine Lemière, présidente de FIT - Une femme, un toit. 

Elle nous raconte la démarche et le travail de cette association. 

18h39 : Pourquoi proposez-vous des places d'hébergement spécifiquement aux jeunes femmes ? 

Séverine Lemière : C'est un lieu qui existe depuis un peu plus de 50 ans. Au départ, on hébergeait des jeunes travailleuses étrangères ou provinciales qui venaient sur Paris. Compte tenu de la situation économique, le public s'est précarisé avec le temps. Progressivement, un point commun s'est détaché dans les récits des femmes accueillies : des situations de violences. Il y a une quinzaine d'années, on s'est formées à accueillir uniquement des jeunes femmes victimes de violences. 

Pour l'ouverture du lieu à Bagnolet, toutes les enquêtes montrent que les très jeunes femmes sont les plus touchées par les violences, alors même que ce sont elles qui sollicitent le moins les dispositifs existants. Elles n'appellent pas le 3919, n'ouvrent pas la porte d'une asso, etc. C'est pourquoi nous développons un maillage territorial avec les lycées, avec les lycées, les collèges, les associations sportives, les associations de quartiers, pour aller vers elles. 

Comment accompagnez-vous les femmes hébergées au centre ? 

C'est un travail de dentelle, on s'adapte beaucoup à la situation de chacune. C'est un accompagnement féministe, l'objectif est véritablement de resituer les violences qu'une femme a subi : elle n'est pas toute seule à les avoir subies, il y a un contexte, une stratégie des auteurs, une emprise qu'il faut déconstruire, tout un travail pour se libérer des violences. 

Les violences ont des conséquences sur toutes les sphères de la vie. On accompagne sur l'accès aux droits, pour faire un dossier de CMU ou d'allocations. Sur l'accès à la santé bien sûr : il y a beaucoup de troubles gynécologiques, mais aussi des conséquences sur l'alimentation, le sommeil… On accompagne aussi sur l'accès à la formation et à l'emploi, et vers un logement plus autonome. Et puis il y a ce qui peut paraître plus anecdotique mais qui est très important, l'accès à la culture, aller au théâtre, faire du théâtre, se réapproprier son corps et en prendre conscience par le sport, découvrir que l'on a de la force… 

Combien de temps les femmes restent-elles chez vous ? 

En moyenne, elles restent à peu près 16 / 18 mois. Quand elles arrivent, elles signent un contrat de séjour de 6 mois renouvelables, et elles peuvent rester autant que nécessaire. Certaines rebondissent très très vite et d'autres ont besoin de plus de temps. 

Quand elles partent du centre, elles ne partent jamais sans rien. Elles peuvent aller vivre dans un logement autonome, mais ce n'est pas simple car ça dépend des ressources, et il y a beaucoup de difficultés pour accéder à un logement social. Elles ne sont pas prioritaires car elles n'ont pas d'enfant avec elle, et il y a peu de petites surfaces disponibles en logement social en région parisienne.

Sinon, il y a d'autres solutions, des résidences sociales avec un accompagnement plus léger, des foyers de jeunes travailleuses qui proposent des appartements...

Suite au Grenelle des violences conjugales organisé par le gouvernement, la Fondation des Femmes a dénoncé l'ouverture de seulement 250 nouvelles places d'hébergement dans des centres spécialisés. Où en est-on ?

Le problème est que le financement prévu ne correspond absolument pas à celui nécessaire pour un vrai travail d'accompagnement des femmes victimes de violences, le budget proposé pour ces places est moins de la moitié de ce qu'il faudrait. Car ce ne sont pas juste des lits qu'il faut, ce sont de vraies places dans des lieux sécurisés et avec un accompagnement spécialisé. 

L'enjeu de la sécurité de ces femmes est très important, avec une personne d'astreinte, une caméra… Les femmes que l'on héberge peuvent être recherchées par le conjoint ou sa famille.

Certaines études, notamment par la Fondation des Femmes, montrent que les lieux de grandes tailles et mixtes peuvent être des lieux où les femmes subissent des violences. Accompagner des femmes victimes de violences demande de s'assurer de leur sécurité et cela passe par aussi par des hébergements non-mixtes.

L'association Une femme Un toit a fêté ses 50 ans l'été dernier. Qu'est-ce qui a changé depuis sa création ? 

On n'a jamais autant parlé des violences faites aux femmes, avec les mouvement Me Too et Nous Toutes, et le fait que les politiques publiques se saisissent de cet enjeu. C'est un vrai progrès, la société en parle davantage, les femmes peuvent en parler, les professionnels apprennent à écouter. 

Aujourd'hui, le nerf de la guerre, ce qu'il manque, ce sont des places d'hébergement. De nombreuses femmes ne peuvent pas partir du domicile de l'agresseur. Ou alors elles sont dans une démarche de sortie, elles sont allées voir une association, mais elles se retrouvent dans des centres d'hébergement mixtes ou à l'hôtel. Ce sont des situations très précaires avec un risque de retour chez l'agresseur. 

Si on met ces jeunes femmes et ces femmes en sécurité et qu'elles sont accompagnées par des professionnels formés, ça marche ! Elles se reconstruisent, reprennent une formation, retrouvent un emploi, sortent de l'isolement, et redeviennent progressivement des femmes libres. 

Comment agir ?


Que faire si vous pensez qu'une personne de votre entourage ou de votre voisinage est victime de violences conjugales ?

Séverine Lemière conseille de ne pas hésiter à poser directement la question : “La très grande majorité des femmes n'attendent que ça. Elle ne va pas vous reprocher de lui avoir demandé. Si elle n'est pas prête à en parler, ce n'est pas grave, elle vous aura identifié comme une personne ressource et reviendra vous voir plus tard.”

Si la personne vous confirme qu'elle est victime de violences, voici la réponse à lui apporter : “Je te crois, il n'a pas le droit, la loi peut te protéger.”

À ce moment-là, vous pouvez l'orienter vers le numéro d'écoute gratuit et anonyme 3919, vers une association, vers un médecin pour constater les violences. “Il faut faire avec elle mais pas à sa place, prévient Séverine Lemière. Elle sera peut-être prête à aller au commissariat, mais peut-être qu'elle n'en sera pas encore là. Il faut qu'elle soit pleinement engagée car le parcours sera très long pour sortir des violences.”