Matthieu M. - Publié le 9 juin 2020
LOGEMENT - Intergénérationnel, solidaire et écologique, l'habitat participatif plaît de plus en plus. Mais seriez-vous prêt à tenter l'aventure ? Éléments de réponse avec la co-présidente de la Fédération Habicoop.
Après avoir rêvé d'une grande villa avec piscine à débordement, il semblerait que l'être humain se tourne vers un rêve plus solidaire et engagé, celui de l'habitat participatif. Contrairement à ce que l'on pense, pas question de vivre en communauté. La gestion des espaces communs est collective, le projet de vie aussi, mais chacun dispose de son propre logement.
Malgré l'essor que ce modèle d'habitat a connu au début des années 2000, on en connaît mal les subtilités. Pour en savoir plus, nous avons interrogé Christiane Chateauvieux, co-présidente de la Fédération Habicoop, qui développe le modèle de coopératives d'habitants en France. Un sujet qu'elle connaît sur le bout des doigts, puisqu'elle monte depuis 2010 un projet de coopérative dans laquelle elle souhaiterait s'installer à Grenoble.
Alors que le confinement prend fin et que de nombreuses personnes se sont retrouvées isolées pendant plusieurs mois, on a voulu savoir si les coopératives d'habitants n'étaient pas le modèle de logement du fameux monde d'après. Entretien.
18h39 : On parle souvent d'habitat participatif. Pourtant c'est un terme générique qui regroupe différents types d'habitats. Votre spécialité à vous, ce sont les coopératives d'habitants. Quelle est la différence ?
Christiane Chateauvieux : L'habitat participatif, ce sont des habitants qui se regroupent pour construire un projet d'habitat commun mais sous-tendu par des valeurs de solidarité, de convivialité, d'échange. C'est réfléchir à son projet de vie dans un lieu commun mais c'est aussi s'interroger si le lieu va être intergénérationnel, en milieu rural ou urbain, la forme de diversité de revenus, quelle mixité culturelle. Dans le bâtiment, il y aura des espaces communs partagés entre les habitants, afin de réduire les espaces privatifs. Puis on se questionne sur son statut juridique. Et c'est là que c'est différent.
Si on opte pour la simple copropriété, où chacun amène l'argent correspondant à ses mètres carrés, c'est le système le moins collectif. Le modèle le plus collectif, c'est la coopérative d'habitants. La propriété est collective et les gens ne sont pas pas propriétaires du logement. C'est la coopérative qui est propriétaire du bâtis. Les gens sont propriétaires des parts sociales qu'ils achètent, des parts sociales qui alimentent un gros pot commun, qui va permettre de lever l'emprunt à la banque. Parfois certaines personnes, aux revenus modestes, n'ont pas un apport suffisant, alors d'autres personnes vont mettre plus que l'apport minimum. Ce sont des équilibres entre les gens pour arriver à trouver les 15% du coût de l'opération.
Et la gouvernance est horizontale, chaque coopérateur dispose d'une voix, quel que soit l'argent qu'on a mis. Cette propriété collective permet de lutter contre la spéculation immobilière, on ne paie son logement que pour ce qu'il coûte, pas parce qu'on est en plein centre de Nice ou de Paris. C'est un choix politique celui de l'accès au logement pour tous, un logement choisi, une gestion collective du lieu.
Comment convaincre les gens d'abandonner une certaine forme d'intimité et de passer à une gestion collective de leur logement ? Ce n'est pas fait pour tout le monde.
La question de l'isolement, notamment des personnes âgées, est un point central. Les projets d'habitat participatif et notamment les coopératives attirent beaucoup des femmes de plus de 50/60 ans, qui arrivent à la retraite, sont séparées ou veuves et se demandent comment elles vont vieillir seules ? Comment reculer un maximum le moment où l'on va être dépendante et arriver dans une maison de retraite? Dans une coopérative, on sait qu'il y a un voisinage bienveillant qui va veiller à vos petits bobos, vos petits soucis, à certains moments de la vie jusqu'au moment où on laisse la place aux professionnels de l'accompagnement sanitaire.
Et Il y a aussi la question financière. La propriété en France est forte, on est loin de la questionner. Dans la coopérative ça n'existe pas. On ne vend rien le jour où on part. On explique qu'ici vous pouvez être dans un lieu que vous choisissez, que vous imaginez ensemble, sans avoir besoin d'emprunter et de vous endetter. On considère que le logement est un bien commun, pourquoi devrait-on payer plus cher ? Si cette forme de logement était plus répandue, on n'aurait pas autant de mal à se loger.
L'habitat participatif s'est popularisé il y a peu. Mais ce n'est pourtant pas un modèle récent ?
En France, on évoque souvent à la fin du 19ème les familistères, qui étaient des lieux impulsés par les chefs d'entreprise pour leurs ouvriers et ouvrières. Ils mettaient à disposition un bâtiment ou plusieurs petites maisons accolées avec des espaces communs pour les enfants, la buanderie. Après il y a eu les Castors, des gens qui se regroupaient pour construire à plusieurs pour construire leur petite maison car ils n'arrivaient pas à se payer des artisans.
Après 68, on commence à parler d'habitat partagé. La différence, c'est que c'était davantage des gens d'une même classe sociale, très souvent des universitaires, des profs, qui réfléchissaient à un projet commun. Puis c'est ressorti au début des années 2000 avec un volet écologique dans la construction qui est très important.
Quelle est la place de l'écologie justement dans les coopératives d'habitants ?
Pour l'instant ce n'est pas assez car c'est trop cher. On a généralement des revenus modestes. Quand on travaille avec les architectes à la construction de l'habitat et qu'on apprend les prix, on doit rabaisser nos ambitions écologiques. On doit progresser là dessus. Ce n'est pas abordable aujourd'hui mais l'intention est là.
Mais souvent les coopératives sont en milieu urbain et on évite tout ce qui est étalement, ce qui est bon écologiquement parlant. On achète en groupé via des AMAP, on consomme localement. C'est un petit geste écologique du quotidien.
En terme d'espace on réfléchit différemment. En rendant commun, une cave, un garage à vélo, on fait attention à la place qu'on prend pour vivre.
Il y a une trentaine de coopératives d'habitants en France. Quels sont les freins qui empêchent le développement de ces logements ?
Aujourd'hui il y a des montages juridiques complexes. Les partenariats avec les bailleurs sont compliqués car on est sur des petites opérations de 10 et 20 ménages, pour un bailleur c'est ridicule. Surtout qu'une partie qui va être du locatif social et pas l'autre. Le bailleur va devoir garantir l'emprunt de cette coopérative à la banque au cas où ils ne peuvent plus payer, ils prennent donc un risque. Il y a beaucoup de prudence, du côté des banques aussi. L'autre frein ce sont les collectivités. Il y a des collectivités territoriales où c'est très facile de monter des coopératives d'habitants comme à Lyon ou Toulouse par exemple. Mais la crainte que les habitants ne comprennent pas pourquoi la collectivité soutient un projet de particuliers en lui facilitant l'accès au foncier est importante.
Vous avez cosigné une tribune du Mouvement de l'habitat participatif expliquant que les personnes vivant dans un habitat participatif avaient mieux vécu la crise sanitaire que nous venons de vivre. Pour quelles raisons ?
Toutes les solidarités, qu'elles soient financières, intergénérationnelles, elles existent déjà en temps ordinaire. Quand c'est un temps inédit, les mécanismes se démultiplient. On a pas besoin d'apprendre à veiller sur son voisin ni de se demander comment on va s'organiser pour faire quelque chose de sympa à 20h depuis nos balcons. Il y a des organisations qui se mettent en place pour savoir qui fait les courses et éviter que les autres sortent.
Et le fait de pouvoir parler de ses angoisses, de ses peurs, même de son balcon, ça aide quand on ne peut plus sortir. Il y a eu aussi toutes les chambres d'amis ou appartements vides qui ont pu être aussi prêtées à des personnes qui ont du mal à trouver un lieu où se confiner.