Matthieu M. - Publié le 13 juillet 2020
ENTRETIEN - Dans son livre Recyclage le grand enfumage (Ed. Rue de l'échiquier), Flore Berlingen questionne notre gestion des déchets et l'utilisation du recyclage.
“Et si le recyclage n'était qu'un leurre ?” C'est la question volontairement provocatrice que pose Flore Berlingen, directrice de l'association Zero Waste France, dans son livre Recyclage le grand enfumage (Ed. Rue de l'échiquier, 2020).
Elle y dénonce l'instrumentalisation du recyclage qui est présenté comme le remède miracle pour faire face à l'explosion de la quantité de déchets. Sauf que ce système nous laisse croire que nous pouvons continuer de consommer “comme si de rien était” et qu'il suffit de mettre son carton dans la poubelle jaune pour sauver la planète.
Que nenni ! s'insurge la militante écolo. Nous l'avons rencontrée pour comprendre son point de vue et comment remédier à ce problème.
18h39 : On présente souvent le tri et le recyclage comme le premier rempart contre les pollutions. Pourtant, dans votre livre, vous expliquez que l'on fait fausse route. Le recyclage serait même devenu “l'alibi du jetable”. Recycler, c'est contre-productif ?
Flore Berlingen : Le côté contre-productif que je dénonce, c'est quand il y a une instrumentalisation du recyclage à des fins de greenwashing pour éviter des mesures contraignantes, où les entreprises font des promesses pour éviter qu'on leur impose des objectifs de recyclage. L'argumentaire du recyclage sert de justification, d'argument de vente, de prétexte pour gagner du temps. Dans ces cas-là, il est contre-productif par rapport à l'objectif environnemental. On perd du temps, alors qu'il y a urgence à agir. Quand le recyclage devient l'alibi du jetable, ça perpétue un système qui est négatif.
Vous rappelez que le problème principal, c'est qu'on se concentre sur l'optimisation des déchets par le recyclage et non sur la réduction à la source de leur consommation ? En gros, il est urgent de réduire ses déchets plutôt que de les trier ?
Ce n'est pas que moi qui le dis, c'est inscrit dans la loi depuis longtemps, dans la législation française et européenne. C'est le principe de hiérarchie de traitement des déchets qui indique qu'il faut privilégier la prévention et la réduction à la source des déchets. Dans la pratique, ce n'est pas ce qu'on observe. C'est pour ça qu'on a écrit ce livre, pour dire “attention, il ne faut pas que le recyclage ne nous endorme par rapport aux urgences et aux choix à faire”.
Dans le livre vous expliquez que là où on fait erreur, c'est qu'on ne recycle pas ce qu'il faudrait. Qu'est ce qu'on doit arrêter de recycler selon vous ?
Tout ce qui est à usage unique, les objets jetables ou à durée de vie trop faible. Le jetable au sens strict, ce sont des produits qui sont utilisés une fois et finissent à la poubelle. Mais le jetable au sens plus large, ça inclut l'obsolescence programmée, par exemple.
L'un des engagements de campagne d'Emmanuel Macron c'est avoir 100% de plastiques recyclés d'ici 2025. Pour vous “cela renforce l'imaginaire d'un recyclage à l'infini”. Quelles sont les limites du recyclage ? Pourquoi faut-il mettre un terme à ce mythe du recyclage à l'infini ?
Ce mythe du recyclage à l'infini naît du parallèle souvent fait entre le cycle biologique et le cycle organique. C'est le modèle de l'économie circulaire parfaite qu'on voudrait reproduire, sauf que ce n'est pas possible pour les matériaux qu'on tente de recycler. Pour certains matériaux, il y a une dégradation importante dans le cycle de recyclage : plastique, papier, carton. Cela fait qu'on est obligé d'ajouter de la matière vierge et on ne peut pas fabriquer le même objet à partir de l‘objet initial. Ensuite, même pour les matériaux qui se recyclent mieux comme le verre ou l'aluminium, vous avez quand même des consommations de ressources énergétiques ou d'eau qui sont à prendre en compte. S'imaginer que le jetable n'est pas grave car on va entrer dans un cercle vertueux et que les technologies de recyclage vont s'améliorer, c'est pas tout à fait vrai, parce qu'on fait l'impasse sur les consommations de ressources.
Mais alors pourquoi et comment le recyclage est-il devenu “l'alpha et l'oméga de notre politique de gestion des déchets”, comme vous le dîtes dans le livre ? Qu'est-ce que l'on faisait avant ?
Ça s'est développé par nécessité face à l'augmentation de production de déchets de tous types et notamment de l'emballage. L'augmentation de quantité à traiter pour les collectivités locales a entraîné une augmentation des coûts et des plaintes de riverains inquiets des conséquences des installations de traitement sur leur santé et l'environnement. L'acceptation du traitement par incinération ou la mise en décharge est plutôt basse. Face à cela, les collectivités ont tiré la sonnette d'alarme. Les producteurs doivent contribuer financièrement et trouver d'autres filières pour traiter ces déchets, plus vertueuses et acceptables.
Les pouvoirs publics pointent souvent du doigt les comportements individuels en matière de tri des déchets. Selon l'ADEME, 40% du contenu des poubelles ménagères des français aurait sa place dans l'une des filières de tri existantes. Pourtant, vous expliquez qu'il ne faut pas culpabiliser les particuliers et arrêter de parler de mauvais trieur. Pour quelles raisons ?
Dans les campagnes de sensibilisation, on a l'impression que le premier responsable, c'est le citoyen et ça me choque un peu car le premier responsable ce sont ceux qui font le choix de matériaux non recyclables. C'est ça le premier obstacle au tri. Évidemment, sans tri on ne peut pas avoir de recyclage derrière. Mais avant même de penser au geste de tri, il faut savoir si les matériaux choisis, les emballages, sont recyclables ou pas. Aujourd'hui il y a la moitié des emballages plastiques sur le marché qui ne sont pas recyclables. Pourquoi on n'aborde pas cette problématique d'abord ?
Vous donnez l'exemple de Starbucks qui fait la promotion de son couvercle de gobelet en plastique “recyclable”, mais qui dans les faits ne peut être recyclé. Vous pouvez nous en dire plus ?
Le matériau, en théorie il est peut-être recyclable mais s'il n'y a pas la filière de tri et collecte derrière, cette recyclabilité va rester purement théorique. Pour que ce couvercle soit recyclé, il faudrait qu'il soit pris en charge complètement par Starbucks. Mais comme c'est pour de la vente à emporter, Starbucks n'est pas en mesure de les récupérer et assurer le recyclage dans de bonnes conditions et ils refilent le bébé aux collectivités locales. Mais ils ne se préoccupent pas de savoir si les centres de tri sont équipés pour trier ce couvercle.
Alors selon vous que faut-il faire pour sortir de l'impasse ? Surtout que le Covid 19 a marqué le retour en force du jetable et de l'industrie plastique...
Prendre des orientations qui permettent la sortie de l'ère du jetable généralisé et des mesures pour améliorer le recyclage. Pour sortir de l'ère du jetable, il faut instaurer des quotas de réemploi pour tout ce qui est emballage, plastique ou pas. Fixer un cap assez clair sur plusieurs années qui s'applique à tous les producteurs et ne pas compter sur le bon vouloir des entreprises. Les quotas contraignants permettent d'organiser un basculement concret d'un système de l'usage unique à un système du réemploi de la réutilisation.
Et que faut-il améliorer pour le recyclage ?
Aller vers une standardisation, une simplification, une réduction du nombre de types de matériaux différents, pour le plastique notamment. C'est la multiplication des nouvelles résines, qui est un obstacle au recyclage. Si on s'en tient aux 3 ou 4 résines principales qui sont recyclables, dont on maîtrise les procédés de recyclage, on éviterait qu'il y ait la moitié des emballages non recyclables. Il faut une standardisation du type d'emballage aussi pour basculer plus facilement vers du réemploi. Le secteur des boissons par exemple, certaines marques ont du mal à abandonner la bouteille qui est façonnée à leur enseigne. Adopter une bouteille générique, c'est un manque à gagner marketing mais il y a plein d'autres moyens de se démarquer !