Matthieu M. - Publié le 28 août 2020
SOLIDARITÉ - Au Tambour propose aux femmes en grande précarité de venir se reposer, prendre une douche et faire une pause dans un quotidien difficile.
Quand on pousse la porte du 95 de la rue Crillon, dans le sixième arrondissement de Lyon, non loin du Parc de la tête d'Or, on croit d'abord à une erreur d'adresse. Alors qu'on pensait trouver un lieu dédié aux femmes sans-abri, nous voilà devant une église.
Et pourtant, c'est dans cette annexe de l'église Saint Joseph des Brotteaux, que l'association Au Tambour a ouvert ses portes le 1er juillet 2020. Ce lieu d'accueil de jour reçoit les femmes en situation de grande précarité, mais non accompagnées d'enfants, trois après-midis par semaine. Le but ? Leur proposer un cadre de bien-être chaleureux, où les difficultés du quotidien s'estompent pendant quelques heures.
“Quand elles viennent ici, c'est comme à la maison”, nous explique Anne Kahlhoven, à l'origine du projet, alors que nous nous installons dans la petite cour arborée du local. Dans ce petit bout de verdure, quelques tables et un arbre, sur lequel sont accrochées des guirlandes de toutes les couleurs. Ici, du lundi au mercredi, entre 14 et 17h, les femmes sans-abri peuvent prendre une douche, charger leur téléphone, faire le plein de produits d'hygiène, laver leurs habits mais surtout échanger, se confier et créer du lien.
Un lieu en non-mixité pour retrouver son intimité
Protégées par les murs blancs du bâtiment, elles sont ici en sécurité, sans présence masculine. “Le point commun entre toutes les femmes qui viennent ici, ce sont les violences qu'elles ont vécues : mariage forcé, agressions physiques, viol”, indique Anne Kahlhoven. C'est la raison pour laquelle, la fondatrice a voulu créer un lieu en non-mixité. “Les hommes aussi ont besoin d'intimité, on est d'accord. Mais les femmes ont un rapport au corps différent, compte tenu des regards qui sont portés sur leur corps”, précise-t-elle.
Et avoir accès à l'hygiène, quand on est une femme sans-abri, cela relève parfois du parcours du combattant. Alors qu'elle monte son projet, Anne Kahlhoven tombe sur des chiffres alarmants. À Lyon, il n'existe qu'un seul bains douches municipaux, alors que Paris en compte 17. “J'étais catastrophée. En 2018, il y a eu 40 000 passages dans le Bains Douches de Lyon. Sur ces passages, il y a eu moins de 4000 femmes, qui étaient majoritairement accompagnées d'enfants car elles se sentent plus respectées. Les femmes seules n'y vont pas”, s'indigne-t-elle.
Anne reconnaît que le fait de réserver cet endroit à des femmes non accompagnées d'enfants lui a valu quelques critiques. Elle s'agace : “Comme si la femme était forcément maman ! Les femmes que l'on reçoit ont été séparées de leur enfant dans leur pays d'origine, soit on leur en a retiré la garde ou alors elles ne sont pas maman.”
La situation est la même dans les hébergements d'urgence pour personnes sans-abri : les douches sont mixtes. Par conséquent, 10% de femmes fréquentent ces lieux “car il y a du harcèlement, des agressions”, ajoute Anne. Au Tambour, les bénévoles fournissent serviettes et tapis de bain pour que les femmes puissent profiter, aussi longtemps qu'elles le souhaitent, d'une bonne douche. “Elles ressortent avec la banane”, s'exclame-t-elle.
Prendre une douche, lire, se reposer : un moment de répit
Pour les accueillir, le local de 150 m2 dispose d'une grande salle de bains avec deux douches, ainsi qu'une grande pièce principale meublée avec des fauteuils, un canapé et une bibliothèque. Sur la table basse est déposé un magazine dont la couverture est une photographie d'Alexandria Ocasio Cortez, femme politique américaine connue pour son militantisme féministe. L'espace est lumineux, spacieux et ne ressemble en rien à l'image que l'on peut se faire des centres d'accueils pour personnes sans-abri.
On trouve aussi un coin cuisine, et bientôt, peut-être un espace laverie. “C'est la grosse demande qui émerge, celui de laver son linge”, souligne Anne. Problème, l'association n'avait prévu qu'une seule machine pour laver les serviettes des douches. Pour faire face à cette demande, les membres du Tambour qui souhaitaient créer un espace bagagerie dans une pièce inoccupée du local, envisagent d'investir dans un système de laverie professionnel.
Car depuis le 1er juillet, Au Tambour a enregistré 55 passages entre ses murs. “On a environ une quinzaine de femmes différentes, certaines viennent tous les jours”, rappelle Anne Kahlhoven. Et parmi les habituées, il y a Catherine, 42 ans, qui entre au local un peu avant l'heure d'ouverture.
“Le fait qu'il n'y ait pas de mixité c'est très important pour moi. C'est sécurisant, ça apporte une certaine sérénité, un moment pour soi. Ça répond aux besoins du quotidien : se doucher, se poser, lire si on veut. Et puis ici c'est propre, l'accueil est chaleureux”, nous raconte-t-elle en souriant. Et d'ajouter : “c'est une coupure dans le quotidien qui est très difficile.” Catherine, qui est arrivée à Lyon il y a un mois, a connu la structure via Internet, mais la plupart des femmes qui se rendent au 95 rue Crillon sont orientées par les différentes associations pour personnes sans-abri que compte la ville.
Les femmes qui viennent se reposer dans ce refuge du sixième arrondissement, ont entre 25 et 50 ans, et parmi elles, beaucoup de migrantes qui cumulent deux voire trois emplois. Ce sont des “invisibles”, nous dit Anne Kahlhoven, comme le titre du film de Louis-Julien Petit, qui suit un centre d'accueil pour femmes sans-abri. “C'est impossible de savoir qu'elles sont SDF. Elles se planquent et dorment dans leur voiture, dans des montées d'escalier,” rappelle-t-elle.
Mais Anne insiste : n'imaginez pas qu'une femme sans-abri dort forcément dans la rue, entourée de ses chiens. Au Tambour, comme partout ailleurs, il n'y a pas de profil type. Certaines dorment sur le trottoir, tandis que d'autres sont hébergées temporairement par des tiers. Avec le Tambour, elles profitent “d'un lieu de répit, de sororité pour qu'elles disposent de leur temps comme elles le souhaitent.” Un endroit unique où les femmes parlent facilement. “Peut-être est-ce parce que l'association ne propose pas d'accompagnement social ?”, s'interroge Anne. Ici, le but n'est pas de leur trouver un logement ou un emploi, mais de lâcher prise, grâce au bien-être.
Ostéopathe, coiffeuse, sortie canoë et même soirée karaoké !
Cette ancienne costumière dans le spectacle vivant de 48 ans a imaginé ce projet suite à un burn-out et une expérience de quelques années à la SPA, où elle se sensibilise aux problématiques des personnes sans-abri. Désireuse de monter un projet qui fait sens, elle s'intéresse à ce qui se fait à l'étranger mais puise son inspiration à Grenoble, au local des femmes qui existe depuis 14 ans.
L'idée de reproduire un lieu identique à Lyon plaît à la fondation Abbé Pierre qui s'engage à soutenir financièrement l'association pendant trois ans, ainsi qu'au Secours Catholique, qui a mis le local de la rue Crillon à disposition.
Après la rentrée, Au Tambour souhaiterait ouvrir ses portes plus souvent, peut-être trois jours complets. “C'est super frustrant de ne pas pouvoir tout faire. C'est horrible pour nous quand la journée prend fin”, reconnaît Anne. Mais impossible d'ouvrir davantage, Anne étant la seule salariée de la structure. Elle complète :”les besoins en terme d'hygiène, c'est tous les jours !”.
En attendant de pouvoir proposer mieux, les bénévoles jonglent entre l'accueil et l'organisation d'activités. Au Tambour a mis en place une boîte à idées pour que les femmes qui fréquentent le lieu proposent elles-mêmes les activités qui leur plaisent. Ostéopathe, coiffeuse, sortie canoë et même soirée karaoké ! “Je ne voulais pas leur imposer des activités avant d'avoir ouvert. Je voulais que ça vienne d'elles. Si elles veulent faire du karaoké une fois par semaine, on en fera une fois par semaine”, se réjouit la fondatrice.