Emmanuel Chirache - Publié le 20 septembre 2020
INSOMNIES - 36% des Français déclarent souffrir de troubles du sommeil. Pourtant, l'hypnose serait un moyen efficace et rapide d'y remédier.
C'est une petite star de YouTube en France. Si vous avez cherché une vidéo pour dormir à cause d'une insomnie, vous êtes certainement tombé sur l'une de ses nombreuses vidéos d'hypnose, des vidéos longues, très simples, mais efficaces. Benjamin Lubszynski, c'est d'abord un style épuré, une barbe rousse, un costume, une cravate, un décor sobre, cheminée ou bibliothèque, et une voix fluette et monotone qu'on prend plaisir à écouter.
Il y a onze ans, ce psychothérapeute est l'un des premiers à avoir compris l'impact que pouvait prendre la vidéo en ligne dans l'approche thérapeutique. Un peu geek, il crée sa propre chaîne YouTube et publie des centaines de vidéos sur tous les sujets, utilisant l'hypnose pour soigner le stress et les troubles du sommeil qui terrassent chaque année davantage la population française.
Une fois qu'on est captivé par la voix de Benjamin Lubszynski, difficile de décrocher ! Même si lui promet que son but, c'est que chacun puisse se passer de ses services pour s'endormir ou se relaxer. Alors comment faire pour s'endormir plus vite quand on est stressé ? Peut-on tout guérir grâce à l'hypnose ? Nous avons eu la chance d'interroger le thérapeute, une discussion passionnante qui n'était pas à dormir debout.
Guérir même la douleur grâce à l'hypnose
18h39 : A lire les intitulés de vos vidéos, on pourrait croire que l'hypnose guérit tout. Est-ce que c'est vraiment possible ?
Benjamin Lubszynski : On peut guérir presque tout ce qui est lié à du stress, à un état psychologique. Prenez les acouphènes : l'origine peut être traumatique et physiologique, c'est vrai, mais les manifestations des acouphènes sont toujours liées à un état psychologique. Pensez à cela : il y a des gens qui habitent à côté d'un coq qui fait cocorico tous les matins, ou à côté d'une église et de ses cloches, ce qui veut dire qu'on peut côtoyer des bruits excessivement forts et au bout d'un moment ne plus les entendre, on crée une sorte de dissociation.
On fait ça toute la journée, quand on va au restaurant, heureusement qu'on dissocie, sinon on n'entendrait strictement rien. Sauf que l'acouphène crée du stress qui bloque la capacité de dissociation, et ce stress crée la gêne qui crée le stress en retour… Avec l'hypnose, on diminue ce stress et donc le niveau sonore de l'acouphène, on permet au patient de dormir, on fait baisser l'intensité du bruit et ensuite on vous apprend à réorienter votre attention, ça va devenir une sorte de bruit de fond dans un premier temps, puis vous arriverez à ne plus l'entendre grâce à l'hypnose.
On peut travailler sur la douleur aussi ! Rien qu'en relaxation, la baisse de la douleur perçue est de 20 à 30%, et quand on fait de l'hypnose l'état de transe divise par deux l'activité des zones du cerveau consacrées à la douleur, ce qui veut dire que l'hypnose est analgésique, elle baisse la douleur, parfois à des niveaux bien supérieurs à 50%, en complément d'autres approches médicamenteuses, ça peut aller jusqu'à des opérations : on a opéré des thyroïdes sous hypnose, on récupère plus vite et on diminue les médicaments ! On pratique une anesthésie locale mais on fait le reste par hypnose.
Quelles sont les étapes d'une séance d'hypnose ?
18h39 : Pour endormir les gens, vous répétez souvent les mêmes idées d'une vidéo à l'autre, c'est une petite musique qui revient et qu'on aime retrouver, comme cette phrase très mélodique de Sartre que vous utilisez souvent : "Faire, et en faisant se faire et n'être rien que ce qu'on fait."
Oui, c'est une vraie citation ! Ça crée de la confusion et ça permet de décrocher, les existentialistes sont très bons pour créer un état hypnotique. En fait, je découpe les séances en deux temps, d'abord une première partie, une induction ritualisée - on compte de 5 à 1 - où je réutilise beaucoup de phrases et d'images, elles se ressemblent beaucoup d'une séance à l'autre. C'est comme une sorte de musique en effet, on apprend grâce à cette répétition à entrer de plus en plus vite dans l'état de transe, jusqu'à être capable de fixer un point, compter et entrer vite en transe grâce à l'auto-hypnose.
Et dans un second temps, on entre vraiment dans le sommeil, on peut travailler sur la douleur, sur la confiance, sur le stress, etc. Les stratégies et les contenus sont différents. On peut croire que ces répétitions vont barber les gens, mais non, pas du tout ! C'est la berceuse de l'hypnose. Dans les inductions, je mets en place des petites variations qui créent une sorte de suggestion préalable allant dans la direction de ce que je veux obtenir. Quand on travaille sur la douleur, le but est de créer de la dissociation, que la personne se voie de l'extérieur, dès le début je vais avoir plus de stratégies pour que la personne s'observe de loin, par exemple.
18h39 : Dans vos vidéos, vous semblez toujours entre l'improvisation et le texte déclamé, quelle est la part d'écriture d'une séance ?
Je ne les écris pas ! Pour deux raisons, déjà on perdrait en naturel, ça marcherait mais on n'aurait pas la même proximité, là je m'adresse à la caméra comme si je m'adressais à une vraie personne, et ce serait plus difficile avec un texte écrit. Et quand on sait qu'une séance ça peut durer 40 minutes, ce serait un texte excessivement long, ça prendrait beaucoup trop de temps. Mais pour moi ça devient une seconde nature, je sais exactement ce que je veux dire, sur quoi je veux agir, quelle histoire je veux raconter. L'hypnose, c'est une expérience différente que vous allez conserver et qui permet de faire un travail sur soi.
Depuis 4-5 ans je fais de plus en plus des séances avec une base fictionnelle, j'en ai fait une où on entre dans le monde d'Alice au pays des merveilles pour ensuite s'endormir, ou une sur les aventures du capitaine Nemo dans le Nautilus, une autre qui reprend le début de la Recherche du temps perdu. On a une qualité d'image et d'histoire encore plus grande et c'est très apprécié, c'est là où on voit que l'hypnose est une discipline littéraire, finalement ses lectures, ses goûts artistiques on peut les emmener et quand on les propose d'une manière sympathique, ce n'est pas barbant !
Comment pratiquer facilement l'auto-hypnose ?
18h39 : En effet, vos références littéraires et culturelles, votre ton chaleureux, votre voix douce, donnent un aspect raffiné et bienveillant à vos séances. On est à l'opposé de l'hypnose grand spectacle, quelle est votre opinion sur cette dernière ?
Sur l'hypnose de spectacle, il y a une triche, on prend tout le public, c'est-à-dire 200-400 personnes et on fait des tests pour voir si les gens sont réceptifs à la suggestion. Le classique, c'est demander de serrer les poings et d'écarter les pouces au maximum, puis avec la suggestion on voit les pouces se rapprocher, s'aimanter, certains n'arrivent même plus à décoller leurs pouces ! Ceux-là sont de bons clients, donc ils vont entrer en transe d'un claquement de doigts, ça représente 10% des gens. Sur 400 personnes, vous en aurez 40 et si vous prenez les plus réceptifs, vous leur ferez faire n'importe quoi.
Il y a tout un savoir faire de show, d'entertainment, de divertissement, on s'éloigne de l'hypnose, mais ça ne marcherait pas sur vous et moi, ni sur la plupart des gens, alors que ce qu'on appelle la nouvelle hypnose, le pacing and leading, accompagner pas à pas et guider, tout le monde y arrive ! Il faut sortir de l'idée qu'il y a des gens hypnotisables et d'autres qui ne le sont pas.
18h39 : Le but ultime d'après vous, c'est même de parvenir à s'auto-hypnotiser, pour aller plus vite et plus en profondeur. Comment ça marche ?
Oui, toutes mes vidéos sont faites avec le but qu'on se passe de moi, ça devrait être l'obsession de tous les psys ! Je fais 1 million de vues par mois, ces gens ne viendront pas tous dans mon cabinet, et tant mieux ! Je ne suis pas là pour créer de la dépendance. Le meilleur moyen, c'est de prendre des mp3 ou des vidéos pour s'accompagner, puis au bout d'un moment, on n'a plus besoin du support, on le fait soi-même, c'est le plus simple et efficace.
Si on veut se passer d'accompagnement, il y a une technique qu'on doit à Betty Erickson : on fixe un point devant soi et on décrit 5 choses qu'on voit : je vois un visage, je vois ma main, je vois la fenêtre du bureau… puis on passe à 5 choses qu'on peut entendre : j'entends ma voix, j'entends votre respiration, les oiseaux... puis 5 choses qu'on peut ressentir : je sens le poids de mes lunettes, l'air contre mon visage, etc. On passe ensuite à 4 choses, puis 3 et ainsi de suite… Vous arriverez à vous abstraire de l'extérieur, vous détendre, arrêter de penser et entrer en transe. Si on veut approfondir cet état-là, on se force à rouvrir les yeux en comptant de 1 à 5 puis de 5 à 1, à retomber dans un état hypnotique, mécaniquement ça crée une transe de plus en plus profonde.
L'ASMR, une technique qui se marie bien avec l'hypnose
18h39 : Comment vous-êtes vous intéressé à l'hypnose ?
J'étais curieux, parce que ça ressemblait un peu à de la magie laïque, on avait des résultats étonnants, mais on ne comprenait pas exactement le mécanisme. J'ai chez moi depuis longtemps un vieux livre qui s'appelle Hypnose, magnétisme et suggestion, un classique du début du XXe siècle, ça m'amusait. Quand j'ai décidé de devenir psy, il m'a fallu suivre moi-même une thérapie, et la personne qui m'a convaincu le plus faisait de l'hypnose directionnelle, j'ai senti que quelque chose bougeait en moi, elle atteignait quelque chose d'inconscient en moi, là où les autres n'arrivaient pas à le faire.
Donc quand je me suis formé aux thérapies brèves, c'est la première chose que j'ai voulu apprendre. Je ne le regrette pas, parce que ça se marie très bien avec la technologie ! Au départ, je demandais à mes patients de prendre un lecteur mp3, la qualité était mauvaise et ils devaient l'emporter chez eux, puis j'ai pu leur envoyer par mail, puis j'ai pu le faire sous forme de vidéo, avec un son meilleur, et ensuite avec des images en 360°. Pour moi, une thérapie, il ne faut pas que ce soit magique, il faut qu'on sache pourquoi et comment ça marche, et dans cette optique, l'hypnose est un outil très concret, que tout le monde peut s'approprier !
18h39 : Vous avez même utilisé l'ASMR [pratique de relaxation qui utilise des sons particuliers] dans votre approche...
Oui bien sûr, c'est très intéressant. La première séance ASMR que j'ai faite c'était autour d'un feu de bois, on enregistre le bruit du feu, puis on tourne en 360 mon accompagnement hypnotique directement à partir du feu de bois, ça vous fait tout de suite voyager parce qu'on a tous vécu la chaleur et la détente liées au feu de bois, c'est un ancrage familier. Ce n'est pas par hasard qu'on parle de "foyer", encore aujourd'hui, pour une maison. C'est là que se trouve la chaleur littérale, le chauffage, et la chaleur humaine. Ce réconfort, on peut le revivre dans une séance d'hypnose.
18h39 : Pour finir, est-ce que vous avez déjà eu des problèmes pour dormir ?
Comme tout le monde ! Ça arrive tellement facilement, si je me suis couché tardivement ou si j'ai pris un excitant trop tard... on sait rarement qu'une tablette de chocolat noir, c'est l'équivalent d'un espresso. Ce que je fais en général, c'est que je mets une de mes séances, ce n'est pas un plaisir narcissique, mais je me laisse bercer et je rentre dans un état qui suffit à m'endormir.
Il faut dézinguer le mythe du psy qui serait parfaitement zen et qui réussirait tout sur tout, non ! On est aussi gênés que nos patients pour plein de choses, on peut avoir de la colère, du stress, des insomnies, ce qui est important, c'est de ne pas amener nos défauts dans la thérapie. Il faut être meilleur que l'on est avec son patient pour l'aider sur des soucis qu'on peut avoir par ailleurs. J'ai des kilos en trop, ça ne m'empêche pas d'accompagner des gens pour changer leur régime alimentaire. Je cite souvent cette phrase de Sénèque : “je suis humain et rien de ce qui est humain ne m'est étranger”, quand on est psy, c'est intéressant de ressentir dans sa chair les difficultés que les autres connaissent, pour ne pas être dans une approche distante, méprisante, théorique.