Matthieu M. - Publié le 4 octobre 2020
ENTRETIEN - Sur sa chaîne Youtube, il partage à ses 209 000 abonnés sa passion pour le potager. Rencontre avec un jardinier au parcours étonnant !
Avoir un potager, cela ne change pas seulement le rapport aux fruits et légumes que l'on consomme, mais cela peut aussi bousculer toute une vie. Et ce n'est pas Olivier Puech, qui vous dira le contraire !
Après des études de géologie, Olivier se réoriente vers un CAP boulangerie, car “attiré depuis toujours par le travail des mains”, nous confie-t-il. Mais une allergie à la farine l'oblige à abandonner et à se rendre en école de commerce. Suite à cela, il travaille pendant plusieurs années comme cadre dans un hypermarché. Mais l'arrivée de deux enfants et une passion grandissante pour le potager bouscule ses plans de vie. Olivier Puech achète une maison avec un grand terrain, quitte son métier et décide de se consacrer à plein temps à ses fruits et légumes.
En 2018, il lance sa chaîne Youtube et partage désormais son amour pour le jardin à ses 209 000 abonnés. À l'occasion de la sortie de son livre, Le Potager d'Olivier : nourrir sa famille, nourrir son esprit (Ed. Terre Vivante, 2020), nous avons eu envie d'en savoir un peu plus sur ce maraîcher star.
18h39 : Vous avez créé le potager de vos rêves à 37 ans. À quoi ressemble-t-il ?
Olivier Puech : C'est un potager dans lequel on est heureux. Avec des collègues on appelle ça le potager pénitence, parce qu'on sait qu'on n'a pas des vies exemplaires, qu'on consomme des ressources qu'on ne devrait pas consommer et au potager on essaie d'être celui dont on rêve. On respecte à fond la nature, on refuse les pesticides, les herbicides. Il y a une diversité de jardiniers. Il y a aussi ceux qui veulent produire. Moi je suis un peu entre les deux, je cherche du bien-être mais je veux quand même produire pour ma famille. Je produis des centaines de kilos par an. Si je n'ai pas l'un des deux, je ne suis pas heureux.
Et quand on s'y promène, qu'est-ce qu'on peut voir ?
J'ai 300 m2, sans les allées, il y en a 150 de cultivés. Ce sont des micro-parcelles sur lesquelles on ne marche jamais, pour laisser le sol se développer au mieux. Il y a beaucoup de diversité avec les fleurs, les aromatiques, quitte à perdre de la productivité, mais ça donne du tonus. C'est un jardin hyper diversifié. Et j'ai des espaces pour toujours avoir à manger, bien que ça soit concentré en mars et octobre. Pendant la saison froide, on joue beaucoup sur la régénération du sol pour la saison d'après.
Vous devez y passer un temps fou, non ?
Pas tant que ça ! Les gens pensent que je passe ma vie au potager et que, accessoirement, je passe du temps sur ma chaîne. Mais en fait c'est l'inverse. J'ai un gros boulot de montage et de création visuelle. Et le potager, même si j'essaie de le rendre autonome, il faut quand même s'y adonner donc c'est au moins une heure par jour en moyenne. On a 168 heures de vie par semaine, même si on bosse 40 heures, ça laisse du temps !
Vous avez ce que vous appelez un potager familial, qui permet de nourrir en partie votre famille. Est-ce que c'est possible d'être autonome en fruits et légumes ? De quelle superficie faut-il bénéficier ?
Je ne veux pas vendre une quête d'autonomie, ça ne m'intéresse pas. Je suis très intégré à la société, j'aime aller voir mon boucher, mon boulanger. Par contre, ce que j'arrive à faire sortir du potager, je ne vais pas m'en priver. Aujourd'hui, en fruits on y est pas du tout, je n'ai que quelques arbres fruitiers, on a des abricots, des pêches, des pommes, des poires. Par contre en légumes, c'est assez rare qu'on en achète. Je suis à 80-90% autonome. On est une famille de 4. On dit qu'il faut 100 m2 par personne. Mes enfants sont encore jeunes, bien qu'ils commencent à bien gloutonner. Et avec 150 m2, si on respecte les clés de fertilité, on commence à envoyer du volume, ce sont des centaines et des centaines de kilos sur l'année.
Vous expliquez qu'on sait peu de choses sur le fonctionnement du potager. Pourtant, vous êtes la preuve vivante que rien n'est laissé au hasard. C'est une science, selon vous ?
C'est une science pour laquelle on maîtrise très peu de choses. C'est un peu comme le cerveau, on ne connaît que 3% de son fonctionnement. Pour le sol, sur un seul cm2 il y a des milliards de bactéries ! Après, il y a quand même 5000 ans d'agriculture derrière nous. Aujourd'hui il est de bon ton de trouver des pensées révolutionnaires. La permaculture amène beaucoup de bien mais on ne voit pas tout le temps beaucoup de légumes ! C'est une grosse école de bien-être, de pénitence. Dans un potager on cultive des super plantes qui ont été sélectionnées depuis des millénaires. Elles ne poussent pas dans la nature, donc il faut un minimum d'intervention humaine et en être acteur.
Vous préférez parler de potager naturel plutôt que de permaculture. Pour quelle raison ?
À chaque fois qu'on parle de permaculture, il y a tout de suite une tendance politique, partisane, qui ne me va pas. Moi je fais du jardinage. Le problème avec la permaculture, c'est que si j'arrose, on me dit faut pas arroser, si je donne un coup de pioche dans mon sol, on me dit qu'il ne faut pas le toucher. Il y a beaucoup de “il faut” et beaucoup d'intolérance. C'est une minorité mais qui est hurlante sur les réseaux sociaux. La permaculture c'est exigeant, et moi je n'ai peut-être pas cette exigence là.
Concrètement quand on veut commencer et créer son potager, quelles sont les premières choses à faire ?
Une chose dont on ne parle pas assez c'est de prendre en compte sa terre de départ. Pour cela il faut regarder la végétation en place. Avec une terre de prairie, si vous avez une végétation qui fait un mètre de hauteur, hyper diversifiée, il n'y aura rien à faire. On met un peu de paillage, et dessous c'est le foisonnement de vie, on plante et ça va pousser. Mais nos légumes sont des super plantes, donc rapidement on va épuiser le sol. Après la première année, il faut enrichir avec du compost, de la matière organique.
Mais si comme moi vous partez d'un sol argileux, compact, là j‘estime qu'il faut aider le sol qui est hors vie. Il faut le bousculer, ajouter du compost, rééquilibrer sa texture, amener des amendements pour lancer son potager.
Selon vous, un autre acteur important du potager ce sont les vers de terre. Quel rôle jouent-ils ?
Les vers de terre, ce sont les intestins de la terre, c'est Aristote qui le dit. La totalité des 20 cm de sol passent dans les intestins de cet animal sur 10 ans. Si on y va à la charrue, on a tendance à remonter, bouleverser le sol, on remonte les vers de terre à la surface et les oiseaux font un carnage. Si on ne travaille pas le sol, on favorise leur développement et en apportant de la matière organique, on les nourrit. Ils sont super importants au travail du sol car ils jouent sur son aération et c'est comme cela qu'il devient riche.
Avoir un potager est un luxe car tout le monde n'a pas la surface nécessaire, voire pas de jardin. Qu'est-ce que vous conseillez à celles et ceux qui souhaiteraient malgré tout mettre les mains dans la terre ?
On arrive à 20 millions de Français qui ont un espace extérieur, que ce soit un balcon, une terrasse, un petit bout de terrain. Là, il y a la solution du bac, du hors-sol. Dans un carré potager, presque 100% des légumes peuvent se faire en bac si vous avez 20-30cm de profondeur. Et sinon, moi j'ai vécu en dessous de mes moyens pour un jour espérer acheter un grand terrain. Il ne faut pas le voir comme une rentabilité, mais on y trouve tellement de plaisir !
Vous estimez qu'il y a malgré tout environ 1 million de potagers en France. Depuis quelques années, on a le sentiment qu'il y a un engouement généralisé pour le potager, pourquoi ?
C'est indéniable. II y a 10 ans déjà, on parlait déjà d'un engouement pour le potager mais chaque année ça augmente. Et avec le confinement ça a été encore plus conséquent. On s'est éloigné des valeurs premières qu'on a en nous, on est animal, on a des instincts de survie. Il y a quelques siècles, on était des chasseurs cueilleurs. Je pense que c'est génétique, on a tout ça au fond de nous. Notre vie est faite de travail, de loisir mais peut être qu'on trouve aussi un sens à être producteur, acteur de sa nourriture, à transmettre ça. C'est criant, je le vois, les gens en parlent avec la voix qui tremble comme moi, parce qu'on touche à quelque chose qui est ancré au fond de nous. Plus il y a une caricature de société où on s'éloigne de plus en plus de la terre, plus les gens en ont besoin.