Matthieu M. - Publié le 16 décembre 2020
PATRIMOINE - Dans son ouvrage, Mathieu Avanzi, linguiste, recense les mots et expressions propres à chaque région francophone.
Vous n'avez pas pu y échapper : la guerre entre le “pain au chocolat” et la “chocolatine” fait partie des marronniers favoris des médias français. L'affaire a beau être anecdotique, elle en dit long sur l'usage et l'histoire de la langue de Molière que l'on pense une et indivisible.
Mais ce n'est pas la seule fracture nationale : pourquoi appelle-t-on un sac une “poche” dans le Sud-ouest et pourquoi dit-on “clenche” dans le nord-ouest pour parler de la poignée de porte ? Et saviez-vous qu'il existe au moins 5 manières de dire serpillère en France en fonction de l'endroit où vous habitez ?
Ces particularismes linguistiques, on les appelle des régionalismes, et Mathieu Avanzi, linguiste, en a fait sa spécialité. Avec l'ouvrage Parlez-vous (les) français (Ed. Armand Collin, 2019), il cartographiait les différentes expressions utilisées dans les régions françaises pour un même mot. Cette fois dans Comme on dit chez nous - Le grand livre du français de nos régions (Ed. Le Robert, 2020), il revient sur l'origine de ces expressions, de ces mots propres à chaque région, qui font partie de la culture française. Des mots qui sont bien souvent liés à l'univers de la maison… Entretien.
18h39 : “Peuchère”, “dracher”, “chocolatine”, “kenavo”, “écarter son linge” font partie des régionalismes préférés des Français. Qu'est-ce que c'est un régionalisme exactement ?
Mathieu Avanzi : Un régionalisme c'est un particularisme d'une langue, en l'occurrence le français, qui est connu ou employé seulement dans une ère restreinte d'un point de vue géographique. Ce sont des mots qui sont connus sur une petite partie du territoire et cette petite partie du territoire exclut Paris ou l'Île de France.
Pourquoi a-t-on autant de régionalismes en France ? D'où viennent-ils ?
Il existe trois origines de ces particularismes locaux. Première origine, c'est ce que l'on appelle des emprunts ou des transferts, faits avec les langues parlées avant le français. Si vous allez en Gascogne, c'est l'occitan qui était parlé avant. Quand les gens se sont mis à parler le français ils ont récupéré, réutilisé des mots du gascon dans leur français.
Deuxième origine, ce sont les archaïsmes, de vieux mots que l'on utilisait à Paris au 18 ou 19ème siècle, qui ont disparu à Paris mais pas ailleurs. C'est l'exemple de “dîner” pour le midi ou de “souper” pour manger le soir. C'est un usage qui s'est étiolé et qui est resté dans les périphéries.
Et il y a les innovations, des mots qui sont passés dans la langue mais seulement dans le français qu'on parle dans certaines régions. Ce sont souvent des antonomases, des noms propres qui sont passés en français courant. Ça va être “Tancarville” dans l'ouest de la France (pour parler d'un étendoir à linge, ndlr). Ce sont des noms de marques qui se mettent à désigner des objets. Et cette antonomase, cette création lexicale, n'est pas faite partout. Les mots restent dans la région. On a l'exemple du polystyrène en France qui s'appelle frigolite en Belgique ou sagex en Suisse.
Où trouve-t-on le plus de régionalisme en France ? Est-ce qu'il y a une région qui en utilise plus qu'une autre ?
On ne sait pas dire dans quelle région on les utilise le plus. C'est super difficile de compter les mots car ça change tout le temps. On n'arrivera jamais à faire un inventaire des mots régionaux. Et deuxième problème, c'est qu'il y a des régions mieux documentées que d'autres. Il est plus facile d'étudier les régionalismes de Marseille ou de Savoie que de Lorraine par exemple. On va avoir l'impression qu'il y en a plus dans ces régions alors qu'en fait, c'est parce qu'on les a plus étudiées que d'autres. Mais on peut dire que plus vous vous éloignez du centre de la France, plus vous allez dans les périphéries et plus vous allez avoir des variantes du français éloignées de la norme.
Dans quelle mesure ces régionalismes sont-ils utilisés aujourd'hui ? Est-ce qu'ils font partie du quotidien des gens ou est-ce juste du folklore ?
Ça dépend lesquels. Il y a des mots que l'on appelle des “mots souvenirs” ou des “mots clin d'oeil”, qu'on n'utilise pas dans la vie de tous les jours. Ce sont les mots pour touristes comme “kenavo” (au revoir en breton, ndlr) en Bretagne.
Il y en a certains qui ne sont utilisés que par les vieux, car les objets ou phénomènes qu'ils désignent sont remplacés par un mot standard. C'est le cas pour les plantes ou les animaux : on ne fait plus la distinction entre les types de moineaux comme dans les patois.
Et puis il y en a qu'on utilise dans la vie de tous les jours et ce sont les plus mesquins, car c'est seulement quand on sort de chez soi qu'on se rend compte que tout le monde ne les connaît pas . “J'ai rien dormi” dans la région Rhône-Alpes par exemple, je ne savais même pas que c'était un régionalisme. Ou dans le Nord, vous avez : “on se dit quoi” (expression qui signifie “je te dis ce qu'il en est”, ndlr).
De nombreuses expressions ou mots du livre ont un rapport avec l'univers du foyer, de la vie domestique. Pour quelle raison ?
Il est difficile de trouver les domaines conceptuels où il y a le plus de régionalisme. On remarque que là où il y en a le plus, ce sont les mots de l'enfance, ou les mots de l'école ainsi que les mots de la maison, de la famille. Cela s'explique car ce sont des mots que l'on acquiert quand on est plus petit, il suffit que l'on ne soit jamais parti de chez soi pour ne jamais se rendre compte qu'ils sont différents.
D'où vient cette passion française pour les régionalismes ?
Elle n'est pas que française ! On retrouve les mêmes débats en Angleterre ou en Italie ! On est dans un monde mondialisé, la langue est le dernier rempart qui nous rattache à la terre, à notre région. C'est comme la gastronomie. On a peu de phénomènes culturels ou sociaux qui nous rappellent nos histoires ou nos origines. Aujourd'hui vous allez dans le centre-ville de Rennes, c'est la même chose que le centre-ville de Nancy ou de Lyon. Il y a une espèce d'uniformisation du territoire. Avant, quand tout le monde parlait patois, on savait d'où vous veniez. Aujourd'hui, ce qu'il reste ce sont nos accents, nos façons de parler et nos mots.