Emmanuel Chirache - Publié le 31 janvier 2022
L'ERMITE AU LOGIS - Amateur de randonnée et de nature, Johannes Maria Schwarz a décidé de rénover lui-même une ancienne ferme alpine et d'y bâtir une chapelle, ainsi qu'un jardin en terrasses.
C'est une maison de campagne italienne, un rustico en langue de Dante, comme il en existe des milliers de l'autre côté des Alpes... Enfin presque : si vous étiez un faucon pèlerin survolant la montagne, vous vous rendriez compte à quel point cette bâtisse du XIXe siècle est isolée au milieu des pins, à des dizaines de minutes de voiture du bourg le plus proche. C'est simple, le prêtre autrichien Johannes Maria Schwarz qui s'est installé ici n'a qu'un seul et unique voisin : un homme de 70 ans qui vit un kilomètre plus bas.
Avant de se lancer dans la vie d'ermite, cet ecclésiastique de 43 ans avait déjà le goût de la nature et de la randonnée en haute montagne. "J'ai grandi à la campagne et j'ai une aversion naturelle pour le bruit et la vitesse tellement impersonnelle de la vie citadine, nous confie Johannes. C'est pourquoi je suis entré au service diocésain, j'ai fait ma formation en séminaire entre les palmiers et les montagnes à Lugano, Suisse. J'ai eu la chance d'être ensuite envoyé dans une paroisse montagneuse au Liechtenstein pour terminer mes études doctorales."
Un prêtre "désespérément romantique", qui possède sa chaîne YouTube
Solitaire un brin rêveur, intellectuel doué de ses mains et peu porté sur le commandement, même sous les auspices du bon Dieu, Johannes demande à sa hiérarchie s'il peut se retirer pour une vie de labeur et d'étude plus créative, plus autonome. "Désespérément romantique", il veut retrouver ses chères montagnes. "En Autriche, louer une cabane pendant trois ans m'aurait coûté aussi cher qu'acheter ce rustico dans les Alpes italiennes", constate-t-il. Les voies du Seigneur ont beau être impénétrables, elles ne sont pas non plus pavées d'or, et Johannes se félicite de pouvoir revendre sa maison si sa vocation l'appelle ailleurs.
Cette maison, il l'a trouvée sur Internet. Elle n'était pas en ruines, quoiqu'abandonnée depuis longtemps : un toit, des murs, de l'eau et de l'électricité, c'est un bon début. Il a fallu trois mois à Johannes pour la rendre totalement habitable, son but en arrivant ici n'étant pas la restauration à proprement dite, mais bien ses chères études - et sa chaîne YouTube, car Johannes est un homme de son temps, un influenceur "religieux" qui connait comme ses évangiles les codes d'Internet.
Un pôele de masse fait maison et des pizzas
Même s'il n'est pas un "pro" du BTP, Johannes force l'admiration par son travail : une fois sur place, il restaure les murs pour retrouver derrière le ciment les vieilles pierres de granit, qu'il entoure de chaux ; il se fabrique un petit poêle de masse rocket pour l'hiver, qui lui permet de faire sa propre pizza maison !
À l'étage, il installe sa chambre-bureau pour étudier, qui lui sert également de studio de tournage et de cabine de montage pour ses vidéos. À côté, il transforme une ancienne chambre, "une pièce ennuyeuse", en chapelle. Des heures de labeur et de charpenterie afin de cacher les murs en ciment et de lui donner un plafond voûté qui sied davantage aux ambiances monacales.
Mais ce n'est pas tout : Johannes affectionne l'art religieux, alors il décide d'enjoliver sa création avec d'incroyables dessins d'inspiration byzantine et gothique. "Pour une chapelle ou une église, l'aspect fonctionnel ne suffit pas, nous révèle-t-il. Ce n'est pas tant que Dieu a besoin des ces constructions, mais c'est naturel pour nous de les construire en tant qu'expressions de notre dévotion et de notre amour. Montrez-moi un amoureux qui ne cherche pas à donner à son aimé la chose la plus précieuse qu'il puisse créer ?" L'autel est constitué de sept parties, représentant chacune un jour de la semaine, qui forment également un cycle de méditation.
De l'importance du microclimat dans son jardin
Ce qui prend le plus de temps à Johannes, finalement, c'est le jardin. L'ecclésiastique a façonné des terrasses le long de la pente, une solution qui permet d'araser son terrain, mais aussi de modifier l'angle d'exposition au soleil des plantes et d'améliorer la rétention d'eau. "J'utilise des pierres sèches récupérées dans la montagne, chaque printemps je fabrique une nouvelle terrasse", nous explique-t-il. "En ce moment, je construis deux étangs pour stocker l'eau de pluie et arroser le jardin. C'est aussi une bonne façon d'augmenter la biodiversité".
Dans la lignée de la permaculture, Johannes utilise le concept de microclimats, pratiqué dans une autre partie des Alpes par l'agriculteur autrichien Sepp Holzer, pour aménager son jardin.
Notre prêtre youtubeur ne tarit pas d'éloges sur sa localisation : "Dans mon cas, je bénéficie d'une exposition sud, et le jardin est abrité des vents du nord-ouest et l'angle de la pente, ce qui rend mes hivers plus doux que des zones plus ombragées dans la vallée, même 700 mètres plus bas. J'ai rarement des longues périodes de gel. Dès que le soleil arrive, il réchauffe vite. La contrepartie, c'est que mes abricotiers fleurissent parfois dès le mois de mars et son menacés par les gelées tardives."
Le simple fait d'être en pente, par exemple, donne une orientation perpendiculaire par rapport au soleil, d'où une fonte des neiges rapide quand il fait beau. Une info à ne pas prendre à la légère, car la terre peut se dessécher trop vite, d'où l'intérêt des terrasses. Sans compter que les pierres stockent malgré tout la chaleur du soleil, et qu'elles protègent du vent. La surface de l'étang, elle, réfléchit la lumière en direction des pierres et complètent ce cycle vertueux en homogénéisant les différences thermiques du jour et de la nuit.
Musées le matin, spectacle de marionnettes l'après-midi
Le travail et l'activité, donc, ne manquent pas dans la vie de Johannes, au contraire. Et la vie sociale ? Est-ce que la solitude ne lui pèse pas de temps en temps ? Pas tant que ça, nous répond ce solitaire, qui apprécie pourtant beaucoup la présence de ses congénères. "J'ai grandi à la campagne avec trois frères et soeurs, s'amuse-t-il, et j'avais plein d'amis et d'activités en dehors de l'école que j'adorais ! J'ai fait du théâtre pendant 10 ans et j'ai été scout pendant 15 ans."
À la sortie de l'adolescence, le goût pour la solitude se mêle à celui du voyage. Il y a un petit côté saltimbanque ou troubadour chez Johannes, qui nous raconte avoir traversé toute l'Europe, notamment la France, avec un pass interrail à cette époque. Le jeune homme dort la nuit dans le train, visite les musées et les églises le matin, et anime des spectacles de marionnettes dans les rues l'après-midi pour gagner un peu d'argent.
Dans son rustico, notre prêtre youtubeur affectionne aujourd'hui cette solitude qu'il a choisie, loin de celle que subissent sans le vouloir des centaines de milliers de gens dans les mégalopoles du monde entier. Indécrottable romantique, Johanne conclut presque en poète notre entretien. "Il faut comprendre qu'être solitaire ne signifie pas être seul. On peut se sentir seul dans une ville au milieu de millions de personnes. Pourtant, vous pouvez passer une nuit sous les étoiles, dans une forme de solitude si remplie de présence que votre cœur pourrait exploser."