Amélie Clère - Publié le 26 avril 2023
SOBRIÉTÉ & AUTONOMIE - Ils ont transformé un ancien camion de pompier en atelier pour sensibiliser à la fabrication artisanale et aux objets low-tech. Découvrez l'histoire de l'association Chemins de Faire !
Avec son rouge pétant et ses faux airs d'adorable jouet pour enfant, difficile de passer à côté du véhicule d'Alizée et Yoann. Ce camion de pompier autrichien, comme l'indique le Feuerwehr dessiné en lettres blanches sur les portes arrières, a servi de compagnon de route pendant 5 ans à ces deux nomades partis pour apprendre les low tech auprès de passionnés comme eux. Au départ de leur aventure, l'idée était surtout de cultiver une forme d'autonomie dans la sobriété.
Avant ce saut dans l'inconnu, ils étaient tous les deux designers : Alizée a fait des études de design d'intérieur à l'école Boulle, et s'est ensuite spécialisée dans le textile. Yoann, lui, après une formation en design industriel à Olivier de Serres à Paris, s'est orienté dans les métiers du cuir pour ensuite s'intéresser à la formation des machines en FabLab. Côtoyant un bon nombre d'acteurs de la low tech, ils se sont tout naturellement penchés sur la question de leur place en tant que designers aujourd'hui, et comment leur métier pouvait s'inscrire dans une démarche d'autonomie et de fabrication responsable.
"On voulait justement savoir comment rendre les low tech acceptables en Occident. Et ainsi se dire que, la place du designer, c'était peut être de rendre cette technologie sexy pour que tout le monde ait envie de l'utiliser", nous raconte Yoann. À la suite de ça, ils ont ouvert plusieurs lieux de fabrication à Paris et en proche banlieue. "Mais à un moment donné, on s'est rendu compte qu'on parlait beaucoup d'autonomie alors qu'on habitait dans un appartement parisien. Ça ne collait pas exactement avec notre discours...", ajoute Alizée.
Un atelier itinérant pour apprendre à consommer autrement
Après avoir voyagé pendant 2 années et fait énormément de rencontres, le couple de designers a souhaité aller plus loin dans l'aventure. En 2019, ils créent Chemins de Faire, un atelier de design nomade associatif en ajoutant une petite remorque remplie d'outils et de machines à leur camion.
L'idée : gagner un statut qui leur permettrait de pouvoir dialoguer et toucher un public qui, comme eux, est à la recherche d'alternatives aux modes de consommation actuels. "La première clé pour être autonome, ce n'est pas forcément avoir tous les systèmes compliqués auxquels on peut penser pour utiliser le soleil, l'eau, ou l'air... Mais c'est peut être simplement reprendre capacité à fabriquer et réparer des objets", développe Yoann.
Ainsi, ces deux passionnés proposent leur savoir-faire auprès d'institutions publiques (centres aérés, MJC, écoles...) mais aussi privées comme des tiers-lieux et des associations. Axés sur la fabrication et la réparation, leurs ateliers ont pour but "de reprendre capacité à faire les choses avec ses mains et se rendre compte que, finalement, rien n'est impossible avec les bons outils et les bonnes manières d'expliquer", affirment-ils. Pour ce faire, ils ont équipé leur remorque avec tout le nécessaire pour travailler le bois et le métal.
Les publics peuvent apprendre à réparer de vieux objets ou des anciennes machines cassées, mais également créer des jeux en bois, du mobilier urbain, ou des fabrications pour les potagers collectifs. Pour aller encore plus loin dans leur démarche, le couple propose en plus des initiations aux low technologies, dans un but de sensibiliser à l'écologie : éoliennes, fours solaires, séchoirs solaires... Tout est faisable avec Chemins de Faire !
Jeunes parents d'une petite fille, Alizée et Yoann ont entamé une sédentarisation partielle dans le Biros Ariégeois au pied des Pyrénées. En plus de leur camion nomade qui continuera de rouler (moins loin et moins longtemps), ils ont installé un atelier fixe pour poursuivre leurs expérimentations low tech et accueillir le public.
"On avait aussi la problématique qu'en étant itinérants, on ne pouvait pas faire de retours d'expériences sur les systèmes qu'on laissait sur place. Le fait de s'installer va nous permettre de faire des calculs, mais aussi d'apprendre à autonomiser un bâtiment, chose que nous ne pouvions pas faire à l'échelle d'un camion".
C'est d'ailleurs dans cet atelier que les deux designers vont proposer, à partir de cet été, des stages pour apprendre à fabriquer des systèmes low tech comme des fours solaires, des garde-manger, et même des marmites norvégiennes.
Se questionner sur notre rapport au temps et aux autres
Les low tech prônent un mode de vie plus sobre en terme de dépenses et de consommation énergétique. Elles sont simples et accessibles à toutes et tous, car elles peuvent facilement être fabriquées et réparées. "Ce sont de bons outils pour substituer pas mal d'objets du quotidien qui peuvent être assez énergivores. Et c'est un premier pas vers un changement d'habitudes".
Quand on parle de changement d'habitudes, on sous-entend qu'il faut épouser une forme de sobriété, ce qui fait craindre à certain-es une perte de confort. "Il faut quand même changer son curseur de vie, et apprendre à prendre le temps. Il ne faut pas imaginer que ce sera aussi instantané que les systèmes électriques classiques. Mais on peut très bien moduler son mode de vie sans perdre en confort", rassure Alizée. "Cela peut même être un gain de confort si on se dit qu'on prend un peu plus le temps de faire les choses", ajoute son partenaire.
De plus, le couple est lucide sur l'efficience de ces low-tech : "on ne cherche pas à égaler la puissance d'une machine électrique, mais plutôt à la substituer". Pour remplacer cette électricité, ils font également de la recherche sur les machines à énergie musculaire. "Certains nous ont appelé pour apprendre à faire un robot ménager pour monter les blancs en neige ou faire de la mousse au chocolat, d'autres nous ont demandé des mixeurs à pédales ou même des meules, des tours pour les potiers…", énonce Alizée.
Parfois ce sont même des machines qui s'utilisent à plusieurs : "On a travaillé par exemple sur un broyeur à pédales : il y a deux personnes qui pédalent et une qui charge, on est aussi sur du faire ensemble !". Pour les deux designers, les low tech permettent ainsi de re-questionner notre rapport à l'autre, et ainsi se dire que les corvées et tâches pénibles peuvent être faites à plusieurs, au lieu d'être "seul dans son jardin avec une rallonge électrique". Dans cette optique, les low tech sont aussi sources de solidarité et de sociabilité entre les gens.