Emmanuel Chirache - Publié le 22 octobre 2023
RÉVOLUTION OU BIDON ? - Le déphasage thermique est devenu aujourd'hui une notion très tendance dans les travaux d'isolation, on vous explique pourquoi.
La guerre du déphasage thermique aura-t-elle lieu ? Les pros de la construction et du bâtiment l'avouent eux-mêmes : il y a quelques années, ils ignoraient totalement cette notion. Aujourd'hui encore, les infos sur le déphasage thermique sont souvent contradictoires, lacunaires, sujettes à polémique. Certains estiment que le déphasage permet d'obtenir le fameux "confort d'été" si recherché depuis que les fortes hausses de températures se multiplient. D'autres pensent à l'inverse que la notion n'apporte pas grand chose à une mécanique déjà complexe, celle de l'isolation des maisons.
Le déphasage thermique, c'est quoi ?
De façon simple, on peut définir le déphasage comme le temps que va mettre la température à traverser une matière, exprimé en heures. En d'autres termes, il indique la capacité d'un matériau à ralentir la pénétration de la chaleur à l'intérieur d'un bâtiment, ce qui permet de réduire les écarts de température entre le jour et la nuit par exemple. Il est donc lié à l'inertie thermique du matériau, c'est-à-dire sa capacité à emmagasiner de la chaleur.
Non seulement un bon déphasage réduit l'effet de la chaleur durant la journée, mais il garantit aussi une stabilité thermique essentielle pour supporter la chaleur. Il faut compter une dizaine d'heures pour qu'un déphasage soit efficace, puisque la chaleur du soleil est la plus forte vers midi en été et qu'elle diminue fortement autour de 22h, heure à laquelle il est possible d'aérer la maison.
Glossaire pour bien comprendre l'isolation
La résistance thermique (R) : Il s'agit de la résistance d'un matériau aux températures extérieures. Contrairement au lambda, le R doit être élevé pour bien isoler un logement.
La capacité thermique massique (C) : C'est la capacité d'un matériau à accumuler de l'énergie par rapport à son poids, quand sa température augmente. Elle est définie par la quantité de chaleur à apporter à 1 kg du matériau pour élever sa température de 1°C. Autrement dit, un matériau avec une bonne capacité pourra retenir davantage la chaleur au lieu de la transmettre.
La masse volumique (ρ) : Exprimée en kg/m3, elle désigne la masse du matériau par unité de volume. D'une manière générale, les matériaux apportant de l'inertie possèdent une forte masse volumique.
Le déphasage thermique utile pour l'été mais pas l'hiver
Le glossaire ci-dessus est important à retenir, car le confort d'été ne dépend pas que du déphasage mais aussi de ces autres critères. Un matériau peu dense et avec une capacité thermique faible fera ainsi grimper la température plus rapidement chez vous, même s'il est efficace pour protéger du froid. Exemple ? La laine de verre possède un très bon lambda pour isoler votre maison l'hiver, mais sa densité et sa capacité thermique sont trop faibles pour garantir un confort d'été en cas de fortes chaleurs. Elle est donc tout à fait adaptée si vous vivez dans le nord de la France, par exemple, mais pas forcément au sud.
De façon générale, les isolants minéraux possèdent une mauvaise densité et capacité thermique, tandis que les isolants biosourcés, comme la fibre de bois, la laine de coton, la ouate de cellulose, le liège ou la paille, retiennent davantage la chaleur. En résumé, un bon isolant d'hiver ne vous suffira pas forcément en été, sauf si les étés sont doux dans votre région. À l'inverse, en hiver, les températures ne varient pas assez vite pour qu'un isolant avec une bonne densité et une bonne capacité thermique soit nécessaire.
Certains experts vont plus loin : certes, le déphasage thermique existe, mais pour eux, quand l'isolation d'une maison est globalement bien pensée, pas besoin d'un isolant performant en déphasage... On vous explique pourquoi.
Critique du déphasage thermique
C'est ici que la guerre fait rage ! Artisan du bâtiment depuis plus de 17 ans, un youtubeur nommé Paul a publié une vidéo intitulée : "Déphasage thermique, on nous prend pour des citrons" (cf. plus bas). Il explique avoir fait des recherches sur Internet pour trouver la preuve que le déphasage thermique sert vraiment à quelque chose... en vain. Pour étayer sa démonstration, il compare différents isolants (laine de verre, laine de bois, polystyrène), selon plusieurs critères : la performance thermique globale, le déphasage thermique et les émissions de gaz à effet de serre.
Il prend alors trois exemples archétypiques : une maison plutôt optimisée, en ossature bois, avec isolation par l'extérieur, une maison ordinaire avec des murs en agglo et isolation par l'intérieur, enfin des combles. En prenant en compte l'ensemble de l'isolation de la maison, les résultats du déphasage thermique se retrouvent "dans un mouchoir de poche" d'après l'artisan, les écarts étant de deux, trois ou quatre heures. À chaque fois, les isolants biosourcés obtiennent toutefois les meilleurs résultats.
Le déphasage thermique utile pour les combles aménagés
De l'autre côté du ring, on trouve Papy Claude, expert en éco-construction. Pour lui, le déphasage vaut surtout pour les murs des maisons en ossature bois, et de façon générale avec peu de masse (c'est-à-dire des murs qui ne retiennent pas la chaleur), ou pour les combles aménagés souvent trop soumis aux températures élevées. Il regrette d'ailleurs que les combles soient désormais de plus en plus habités, car ceux-ci jouaient autrefois justement le rôle de tampon entre les pièces à vivre et la chaleur extérieure. Il est vrai que c'est sur les combles en priorité que le rayonnement solaire pèse, parfois aussi sur le mur de la maison exposé à l'ouest, donc au soleil de l'après-midi.
Pour Papy Claude, une autre donnée importante, c'est la ventilation des sous-toitures, seule garantie que l'air peut circuler entre l'isolant et la toiture, de façon à pouvoir évacuer l'air chaud la nuit, mais aussi éviter la condensation.
Attention à l'humidité ! La ventilation est aussi primordiale
À tout cela s'ajoute un autre critère crucial : le taux d'humidité de votre logement ou de vos pièces, aussi appelée hygrothermie. Une habitation équipée d'une clim' pour l'été, par exemple, risque de favoriser ce qu'on appelle des "points de rosée", c'est-à-dire une condensation de l'humidité contenue dans l'air chaud lorsque celui-ci se refroidit. Et qui dit condensation dit moisissures, pas top pour la durabilité des matériaux !
Sans compter que l'humidité dégrade le lambda de votre isolant, puisque l'eau est une matière qui transmet davantage la chaleur que l'air. Bref, un confort d'été va dépendre de nombreuses variables comme on peut le voir. Et si la guerre du déphasage thermique ne faisait que commencer ?