Clémence Leleu - Publié le 21 septembre 2016
REPORTAGE - La Nagakin Capsule Tower renferme 140 capsules d'habitations. Pourtant ce bâtiment emblématique de Tokyo est menacé de démolition. Visite.
En un clin d'oeil, elle se détache de ses voisins. Au beau milieu des buildings tokoyïtes rutilants, aux lignes droites fusant vers le ciel, la Nagakin Capsule Tower semble bien biscornue avec son enchevêtrement de modules, percés en leur centre par de gros hublots.
L'édifice, construit en 1972 par l'architecte Kisho Kurokawa, se voulait à l'époque révolutionnaire. Érigée sur la base de deux tours en béton armé, sur lesquelles viennent se fixer des capsules préfabriquées, la Nagakin Capsule Tower est la figure de proue du mouvement métaboliste, seul mouvement architectural né ailleurs qu'en Europe.
L'idée ? Envisager la ville du futur et répondre aux besoins de ses habitants, toujours plus nombreux, en créant des espaces de vie extensibles. Ainsi, la Nagakin, grâce à ses modules préfabriqués, aurait pu s'étendre vers le ciel à l'infini. Une révolution pour l'époque.
La fin de l'âge d'or
Pourtant, cette tour est vouée à disparaître. Malgré sa notoriété, l'édifice n'a pas été convenablement entretenu et le remettre aux normes actuelles coûterait bien trop cher.
“Au Japon, les bâtiments n'ont pas vocation à perdurer dans le temps. Il n'y a pas vraiment de programme de préservation, s'ils ne sont pas classés au patrimoine”, indique Massato, locataire d'un des modules depuis 4 ans et membre du collectif d'habitants qui se bat, en vain, pour éviter la démolition.
En cette soirée d'été, seuls deux hublots diffusent dans la nuit quelques rais de lumière, témoignage de la faible occupation du bâtiment. “Sur les 140 capsules que compte la tour, seules une vingtaine sont encore habitées”, confie Massato, ingénieur en informatique de 43 ans.
Si l'édifice attire sans relâche les curieux et amoureux de l'architecture, si bien qu'un service de sécurité a dû être mis en place pour empêcher l'entrée aux non habitants, les conditions de vie à l'intérieur de celui-ci ne cessent de se dégrader.
Un confort spartiate
Sur les paliers, de nombreux seaux sont disposés çà et là pour juguler les nombreuses fuites d'eau qui nervurent l'immeuble. Un travail de Sisyphe pour le concierge de l'immeuble, qui est obligé de venir les vider toutes les deux heures, afin d'éviter un débordement.
Les murs, eux-aussi, témoignent d'un âge d'or aujourd'hui révolu. La peinture se craquelle çà et là laissant apparaître le béton.
À l'intérieur des capsules, le confort est spartiate. Dans ces cellules préfabriquées de moins de 10 mètres carré, tout est intégré à la structure.
Ainsi, des placards renferment table de cuisson, évier, bureau ou encore petit téléviseur. Une conception ingénieuse qui fait briller les yeux de l'ingénieur en informatique, qui ne se lasse pas de plier et déplier le bureau ou de faire sortir l'évier de sa cachette.
Un des problèmes majeurs de ces cellules, reste l'absence d'aération. En effet, les hublots ne s'ouvrent pas sur l'extérieur, ce qui fait que l'air frais ne peut jamais rentrer. “L'été, l'air est irrespirable à l'intérieur. Et pendant les mois d'hiver, il y a fait tellement humide que les vêtements ont du mal à sécher et qu'ils sont imprégnés d'une odeur de moisissure”, explique Massato, en regardant ses vêtements d'un air de dégoût.
Autant d'éléments qui ont poussé Massato à emménager avec sa femme et ses deux enfants dans une autre maison. “Je n'y dors plus très souvent mais je n'ai pas envie de rendre cette capsule. C'est un endroit très particulier auquel je suis attaché”, révèle le père de famille.
Ils sont 20, comme lui, à ne pas se résoudre à rendre les clés de ces habitations futuristes des 70's. Une résistance qui n'est pourtant vouée à perdurer. Le dernier hublot de la Nagakin devrait s'éteindre définitivement dans les 4 ans à venir.