Lisa Hör - Publié le 3 juillet 2016
PORTRAIT - La dirigeante de l'Usine de Kervellerin mise sur l'upcycling. Sa poudre de coquilles d'huître est utilisée aussi bien dans la peinture que dans l'impression 3D.
Cinq minutes. C'est le temps dont dispose Martine Le Lu pour présenter son produit éco-conçu à l'Upcyle Forum, ce 13 avril 2016. Amplement suffisant pour interpeller son auditoire, venu découvrir les dernières avancées en matière d'économie circulaire.
Son innovation a de quoi surprendre. Elle présente l'Ostrecal, de la poudre de coquilles d'huître utilisée par diverses entreprises. Elle sert notamment pour fabriquer des peintures routières et, depuis peu, du filament plastique pour l'impression 3D.
Cette poudre a beau être inodore, elle apporte dans ce rassemblement parisien un peu d'iode et d'embruns du Morbihan, où les huîtres ont été élevées. C'est aussi près de la mer, à Cléguer, que se trouve l'usine de Kervellerin gérée par Martine Le Lu, âgée de 53 ans.
À la fin de son rapide exposé, un petit groupe curieux se forme autour d'elle. Au-delà de son produit, c'est aussi son parcours d'entrepreneure engagée pour l'environnement qui intrigue.
Une reconversion réussie
Lorsque l'on reprend contact avec elle, Martine Le Lu explique volontiers sa démarche. Mais, au bout du fil, la voix sourde se fait plus ferme quand il s'agit de ne pas dévier du cadre professionnel.
Elle évoque en quelques mots sa reconversion, après quinze ans passés dans les laboratoires de l'industrie pharmaceutique. “L'absence de proximité avec les patients ne me convenait plus, c'est pourquoi j'ai décidé de reprendre l'entreprise familiale qui fabriquait déjà des fertilisants naturels à l'époque”, commence-t-elle.
Un choix également motivé par l'éthique : "La production pharmaceutique était partie au Maroc, dans les pays de l'Est, alors que les laboratoires ont en général beaucoup d'argent. On perdait des emplois... Je trouve ça dommage, la France a besoin d'un tissu industriel", regrette-t-elle.
En 2000, elle se lance alors dans l'aventure de l'entrepreneuriat et reprend l'usine fondée par son père. Il lui faut trois ans pour se sentir à l'aise à la tête de l'entreprise. "C'est toujours compliqué, surtout pour une femme, de reprendre un outil de production." Patiente, Martine Le Lu n'apporte pas de changements tout de suite, et prend le temps d'observer.
L'équipe des huit salariés présents lors de la reprise est toujours la même aujourd'hui. Impossible de s'entretenir avec eux sur cette transition, Martine Le Lu évoquant congés maladie et plannings ultra chargés.
Elle-même consacre plus de 80 heures chaque semaine à son entreprise, "comme beaucoup de patrons de PME". Mais si aujourd'hui, elle "travaille beaucoup plus pour gagner moins", elle trouve sa richesse dans "l'ouverture sur plein de milieux, plein de gens différents."
Car sa volonté de valoriser le tissu industriel local ne freine en rien sa curiosité pour les expériences lointaines. "Mon vécu, ça a été de beaucoup voyager, pour mieux revenir au territoire", lâche-t-elle, sans trop vouloir, encore une fois, rentrer dans les détails. C'est d'ailleurs au cours de ses voyages qu'elle forge sa conviction écologiste. "Il suffit de regarder le monde tous les jours, il y a tellement d'aberrations humaines."
La période d'observation passée, elle se tourne, à partir de 2005, en complément de l'activité de valorisation des algues, vers un autre produit de la mer : les huîtres. Plus exactement, les déchets de la production ostréicole.
"Personne n'y croyait, l'Ademe (l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie), qui s'occupe des déchets, ne nous a pas du tout ouvert ses portes", se souvient Martine Le Lu. Ce qui ne l'empêche pas de poursuivre ses recherches.
Une détermination saluée aujourd'hui par Catherine Berthillier, fondatrice du réseau Shamengo, qui met en avant les pionniers de l'écologie dans le monde entier : "Elle a eu beaucoup de courage et d'obstination, sa persévérance paiera."
Une ressource renouvelable pour du plastique biodégradable
4 000 tonnes de coquilles d'huître du Morbihan sont aujourd'hui récoltées, broyées et traitées, chaque année, pour produire l'Ostrecal. Le premier débouché pour ce produit tiré d'une ressource renouvelable : la peinture pour les bandes blanches sur les routes.
Des essais sont en cours pour l'intégrer dans des peintures par la maison. Mais, prudence face à la concurrence oblige, on n'en saura pas plus sur ce projet tant qu'il n'aura pas abouti.
Le tout dernier débouché en date, Martine Le Lu, le détaille avec plaisir : "C'est une belle histoire collaborative."
2 autres PME et 1 labo y sont associés. En 2011, le laboratoire ComposiTIC, rattaché à l'Université de Bretagne Sud, sollicité l'Usine de Kervellerin pour tester sa poudre de coquille d'huître dans la fabrication de bioplastiques.
De cette première rencontre, Yves-Marie Corre, ingénieur recherche, garde le souvenir d'une femme "enthousiaste et curieuse de ce qui sort des sentiers battus."
Résultat, depuis septembre 2015, Istroflex, filament plastique biodégradable pour les imprimantes 3D, est fabriqué et commercialisé par Nanovia, entreprise des Côtes-d'Armor. Elixance, basée à Arzal, dans le Morbihan, s'occupe de faire le mélange entre les polymères et la poudre de coquilles d'huître qui vient de l'Usine de Kervellerin.
Martine Le Lu insiste à la fois sur les dimensions locales et écologiques du produit. "90 % du filament pour impression 3D vient de Chine, c'est du plastique bas de gamme qui n'est pas biodégradable", explique-t-elle.
De ses projets futurs, elle ne dira rien, toujours pour protéger son entreprise. Une seule certitude : "Tant que j'aurais des projets de développement, je courrai toujours."