Lisa Hör - Publié le 20 décembre 2015
ÉNERGIE - La société Qarnot Computing chauffe des logements sociaux grâce à des ordinateurs. Une idée doublement ingénieuse : les habitants ne payent rien et l'énergie n'est plus gaspillée.
Les ordinateurs ont deux défauts : ils font du bruit et ils chauffent. Paul Benoît, 41 ans, ingénieur informatique, a résolu ces deux problèmes. Après avoir passé des années à bidouiller des ordinateurs pour les rendre silencieux, il a eu l'idée géniale de les transformer en radiateurs.
Pas question de recycler de vieilles machines. Avec sa société Qarnot Computing cofondée en 2010, Paul Benoît a développé un objet totalement inédit : le Q.Rad. Ce radiateur renferme quatre processeurs qui produisent de la chaleur, en effectuant des calculs informatiques pour des studios d'animation 3D, des banques ou encore des centres de recherche.
Autant d'opérations habituellement réalisées par des serveurs regroupés dans d'immenses data centers, très énergivores. L'électricité y alimente non seulement les équipements informatiques mais aussi la climatisation, indispensable pour éviter qu'ils ne surchauffent.
Paul Benoît nous expose en détail cette alternative... qui pourrait bien rafraîchir la planète.
Comment fonctionnent vos radiateurs-ordinateurs ?
Ils font la même taille que des radiateurs à chaleur douce classiques : 60 x 60 x 15 cm. Sauf que nous avons embarqué à l'intérieur plusieurs processeurs, connectés à internet (pour le transfert des données à calculer, ndlr).
Ils sont aussi équipés d'un compteur électrique et d'un thermostat. Quand on augmente la température, les ordinateurs reçoivent plus de calculs à effectuer, travaillent plus intensément et produisent plus de chaleur. Un radiateur de ce type peut chauffer une pièce entre 15 et 30 mètres carrés.
Où sont-ils installés ?
Pour le moment nous déployons Q.Rad sur des bâtiments complets. Nous avons équipé 300 logements sociaux à Paris ainsi que l'école Paris Tech.
Nous avons aussi un projet de 350 nouveaux logements sociaux à Bordeaux. Pour celui-ci, nous travaillons en partenariat avec des bureaux d'études sur la notion de bâtiment intelligent : mesure de la qualité de l'air, possibilité de recharger son téléphone en le posant sur le radiateur, capteurs domotiques...
Combien cela coûte-t-il et qui finance ?
Les bailleurs et les promoteurs financent l'installation. Nous ne communiquons pas encore sur les tarifs : il y a bien un surcoût par rapport à des radiateurs classiques, mais cela revient au même que d'équiper les logements en domotique.
Les occupants des logements, eux, ne payent rien. Et à la fin du mois, nous remboursons l'électricité consommée pour faire fonctionner le radiateur (Ce sont les entreprises qui payent : elles louent la puissance de calcul des processeurs, ndlr.)
Et Q.Rad sera-t-il disponible dans la grande distribution ?
La prochaine étape est bien de rendre ces radiateurs accessibles aux particuliers, mais ce ne sera pas avant 2017, car cela nécessite une capacité de production beaucoup plus importante. Pour l'instant, nous visons plutôt les bâtiments spécialisés dans l'aide à la personne et les hôtels.
En tout cas, généraliser ce système de chauffage pourrait permettre de ne plus construire de nouveaux data centers pour effectuer des calculs. Même s'il en faudra toujours pour stocker les données informatiques.
En quoi les data centers sont-ils un problème ?
Selon une étude de Greenpeace, les data centers consomment 3% de l'électricité mondiale, et cette consommation double tous les 5 ans. On en construit de plus en plus et de plus en plus gros. Si les data centers étaient un pays, ce serait le 3e consommateur d'énergie au monde. Et si on les transformait tous en radiateurs, on pourrait chauffer la moitié de l'Europe.
Mais cette alternative ne fonctionne que l'hiver...
Notre puissance de calcul est saisonnière par nature, c'est vrai. Mais nous cherchons d'autres lieux à équiper, comme des piscines, ou des écoles, où chauffer en été n'est pas gênant puisqu'il n'y a personne.
Ce n'est pas très écolo !
Cela reste intéressant car ça évite de construire des data centers, qui de toute façon utiliseraient la climatisation. Et puis il y a des régions où l'on a besoin de chauffer l'été, comme en montagne...
Pour aller plus loin :
- Les data centers sont-ils de gros pollueurs ? Cet article de Silicon.fr détaille les efforts fournis par le secteur. Efforts encore largement insuffisants.
- Paul Benoît, informaticien chauffagiste. Un portrait par Libé.