Lisa Hör - Publié le 12 juillet 2015
COUPLE Emménager à deux est un challenge. D'autant plus quand il s'agit de partager l'appartement ou la maison de l'un des deux conjoints.
Sylvain va bientôt emménager chez Aurore. Magalie s'est installée avec ses enfants chez Stéphane, il y a un an. Deux couples, deux expériences radicalement différentes, mais le même objectif : réussir cet emménagement potentiellement explosif.
Car s'installer chez son compagnon est plus difficile que d'investir un nouveau lieu de vie à deux. "L'un doit accepter que son espace se transforme de l'intérieur, et l'autre arrive sur un territoire étranger qu'il doit comprendre", résume Jean-Claude Kaufmann, le célèbre sociologue à moustaches, spécialiste du couple.
Des expériences de nos couples témoins, nous avons tiré une liste de défis à relever. Pour ne plus jamais dire "j'habite chez mon copain / ma copine", mais pour que les deux partenaires se sentent vraiment chez eux, l'un comme l'autre.
Défi n°1 : s'interroger sur ses motivations
"Avant d'emménager ensemble, tout se passait bien." C'est ce que Caroline Van Assche, conseillère conjugale, entend souvent en consultation. Pour éviter ce genre de désillusion, elle recommande de se poser la bonne question avant d'emménager chez son partenaire : "Est-ce qu'on le fait pour des raisons pratiques ou parce que c'est un vrai un projet ?"
L'aspect pratique a bien joué un rôle dans la décision de Sylvain, 28 ans, et Aurore, 30 ans. Depuis dix mois, les amoureux dorment une nuit chez l'un, une nuit chez l'autre. "Et à la fin du week-end, on est obligés de se séparer pour rentrer faire le ménage chez soi", complète la jeune femme.
Surtout, le couple a envie de franchir une étape et de prendre un nouvel engagement. Sylvain fera donc ses valises pour emménager chez elle cet été, dans son studio de 37 m2 du 11e arrondissement de Paris.
Défi n°2 : accepter l'histoire du lieu
Magalie, 40 ans, s'est installée l'année dernière chez son compagnon Stéphane, 42 ans, à Marast, petit-village de Haute-Saône. "Je me suis tout de suite sentie bien dans cette maison accueillante", raconte-t-elle.
Mais pour démarrer cette nouvelle vie à deux, la jeune femme a fait du tri, à commencer par les traces de l'ancienne compagne de Stéphane. "J'ai jeté beaucoup de linge : je n'allais pas dormir dans les draps d'une autre."
Pour Caroline Van Assche, experte du couple, il est important de se débarrasser des fantômes pour se réapproprier l'espace. "Il n'est pas question que de matériel, mais aussi de psychologie. La personne qui arrive a besoin d'une certaine forme de reconnaissance, pour être sûre que l'autre a fait de le deuil de son ancien couple."
Défi réussi pour Stéphane, puisqu'il s'est tout de suite lancé dans de grands travaux avec Magalie, notamment pour aménager les chambres des enfants.
Défi n°3 : se faire une place chez l'autre
Sylvain ne va pas apporter grand-chose avec lui, à part sa platine vinyles. "Il ne demande rien, c'est moi qui le pousse à prendre les choses auxquelles il tient. J'aimerais qu'il se sente chez lui", précise Aurore.
Magalie, de son côté, a apporté des meubles légués par sa grand-mère : "une table, un vieux bahut et des chaises trouées qui ne servent pas à grand-chose, mais j'y tiens beaucoup."
Patrick Ischer, auteur d'une thèse de sociologie sur l'ameublement comme première épreuve du couple, a interrogé quinze couples et dégagé trois stratégies.
Certains s'autocensurent et se débarrassent avant la cohabitation des objets qu'ils estiment problématiques. D'autres font disparaître les objets de leur partenaire en leur absence. D'autres encore discutent et argumentent pour choisir la décoration ensemble. "C'est encore le meilleur choix pour éviter les frustrations", juge le sociologue.
Défi n°4 : négocier la décoration
La décoration intérieure est un sujet sérieux dans le couple, comme le confirme un sondage Opinion Way réalisé pour Castorama en mai 205. C'est même la première source de conflits, pointée du doigt par 60% des personnes interrogées, quand le ménage est incriminé par 55% des sondés, et le tri du linge sale par 54%. Les discordances de goût crispent d'avantage que la gestion du quotidien.
Alors, qui parvient à imposer son style à la fin du débat ? Le sociologue Patrick Ischer a mené ses observations dans un cadre précis et non représentatif de tous les Français. En effet, tous les couples interrogés ont suivi des études supérieures, il se refuse donc à généraliser. Mais dans son panel, "c'est la personne qui vient d'un milieu social plus élevé qui remporte la lutte symbolique, car elle détient le bon goût". La lutte des classes se joue aussi dans l'intimité !
Le risque de tensions est d'autant plus présent quand l'un des conjoints vient vivre chez l'autre. La bonne idée pour apaiser les esprits, c'est alors d'investir dans un bel objet en commun. Magalie et Stéphane se sont fait plaisir avec un billard qui se transforme en table de séjour. Un premier achat à deux, qui a l'avantage d'être ludique.
Défi n°5 : venir à bout des travaux
Tout n'est pas réglé pour autant. Voilà un an que Magalie et Stéphane dorment dans le salon, pendant que les enfants partagent tous la même chambre. La famille peine à voir venir la fin des travaux : quand ce n'est pas l'argent qui manque, c'est le temps.
Premier conseil de Caroline Van Assche : garder du temps pour son couple, en dehors des travaux, pour éviter de se lasser. Quant aux enfants, cette période leur semblera longue quoi qu'il arrive, car ils n'ont pas le même rapport au temps. Le mieux est alors de leur présenter cette étape sous un jour ludique : "On fait du camping et c'est sympa !"
Défi n°6 : se sentir "chez nous"
"Pour moi, ce sera toujours l'appartement d'Aurore, tempère Sylvain. Ça ne veut pas dire que je ne m'y sens pas bien, ça ne me dérange pas de passer du temps chez elle." Quelques temps seulement, car le couple envisage déjà d'investir dans un nouveau logement commun, après avoir fait des économies.
Magalie, elle, ne s'imagine pas déménager, même si son compagnon le lui a déjà proposé. Cette maison, elle l'a adoptée. On parie qu'une fois leurs chambres terminées, ses enfants voudront encore moins en partir.
La preuve qu'avec un peu d'investissement, dans le logement et dans sa relation, chacun peut trouver ses marques. Et ils vécurent heureux...
À lire :
Agacements, les petites guerres du couple, de Jean-Claude Kaufmann (Armand Colin, 2015). Le sociologue y décrypte avec humour les reproches que s'adressent les partenaires : savoureux et déculpabilisant.