Matthieu M. - Publié le 1 novembre 2017
SOCIÉTÉ - La mort a quitté nos maisons, fini l'urne sur la cheminée. Pourtant de nouvelles formes de souvenir s'invitent dans nos demeures, pour nous aider à faire le deuil.
La maison est un lieu chargé d'émotions, de souvenirs. Elle nous a vu grandir, puis vieillir, et parfois même, mourir.
Pour ceux qui restent, le dilemme est de taille : comment ne pas briser le lien qui unit un individu à son logement ? Comment perpétuer le souvenir de cet être cher, chez soi, tout en parvenant à faire son deuil?
Autrefois, les veillées funèbres qui avaient lieu chez le défunt, ou encore la fameuse urne funéraire posée sur la cheminée, étaient autant de signes qui prouvent que la maison occupait une place centrale dans le processus de deuil. Pourtant, cette idée semble disparaître.
Un rapport particulier à la maison : le cas du Pays-Basque
Iban (son prénom a été changé) a 58 ans et vit à Ustaritz, une petite ville au sud de Bayonne. Dans sa famille, les rites funéraires occupent une place très importante.
“Dans la tradition basque, la maison ce n'est pas qu'un logement, elle a une valeur symbolique forte”, explique-t-il. C'est la raison pour laquelle, la veillée funèbre se fait quasi systématiquement, à domicile.
En effet, la maison au pays basque revêt une dimension économique et sociale très importante, c'est la pierre angulaire de l'organisation de la société. “C'est pourquoi, quand quelqu'un décède, on rapatrie le corps dans sa maison”, souligne Iban.
Une fois que les pompes funèbres se sont occupées de nettoyer le corps, le défunt est transporté dans une pièce de la maison familiale. “C'est toujours la même pièce. Dans ma famille, on fait cela dans le salon”, précise Iban.
Le corps reste alors deux ou trois jours dans la maison. S'en suit un défilé incessant de proches et de membres de la famille qui viennent saluer une dernière fois le défunt en sa demeure. “Plus d'une centaine de personnes peuvent se présenter à la veillée chaque jour !”, ajoute-t-il.
Des pratiques qui restent une exception
“Dans des régions à l'identité culturelle forte comme la Corse, le Pays-Basque ou l'Alsace, le rite funéraire est encore très présent”, souligne Martin Julier-Costes, socio-anthropologue, auteur de “La mort à l'école : annoncer, accueillir, accompagner” (Editions de Boeck Supérieur). On parle donc d'exception puisque cette pratique est en fait extrêmement rare.
“À l'origine, on mourrait chez soi, proche des siens. Tout le monde était nécessairement impliqué puisque l'on vivait tous dans la même pièce”, explique-t-il. Mais une fois que la structure du foyer a évolué, que tous les membres d'une même famille n'ont plus vécu ensemble, “la mort a été évacuée de la maison”, explique l'anthropologue.
Progrès de la médecine et professionnalisation de la mort
Mais c'est surtout en raison des progrès de la médecine et de la médicalisation croissante que la mort a quitté peu à peu nos intérieurs. “Aujourd'hui, il y a environ 80% des personnes qui décèdent dans un espace médicalisé”, continue-t-il. Inconsciemment, on dissocie le fait de mourir avec son chez soi puisque tout se passe à l'hôpital.
C'est la raison pour laquelle de moins en moins de personnes ne souhaitent faire venir le corps chez soi. “Et puis, nous ne sommes plus impliqué-es de la même manière lors du décès d'un proche, puisque c'est aujourd'hui l'affaire des pompes funèbres”, ajoute-t-il.
Ces sociétés gèrent l'entièreté du processus, du nettoyage du corps à la mise en bière, en passant par les funérariums. De ce fait, les funérariums ont progressivement remplacé les veillées funèbres.
“Aujourd'hui, organiser la veillée en dehors de la maison a une importance psychique, cela aide à séparer les choses, de séparer les morts des vivants”, précise le chercheur.
De manière général, le chercheur insiste sur “l'intimisation” du deuil que l'on peut lier à la montée de l'individualisme. Martin Julier-Costes précise : “De nos jours, l'individu doit puiser dans ses propres ressources pour surmonter la perte d'un proche. Si je veux aller voir le corps du défunt, cela ne regarde que moi, c'est une démarche personnelle, intime.”
Se réapproprier les souvenirs
Toutefois, la mort n'a pas complètement délaissé nos maisons et pour preuve. Si la mort est moins ostensiblement présente, elle revient plus délicatement. Notamment chez les personnes qui ressentent le besoin d'investir leur foyer pour faciliter le deuil.
“Les personnes que j'ai étudiées se créent de petits autels personnalisés devant lesquels ils vont pouvoir se recueillir, mais suffisamment discret pour pouvoir passer devant tous les jours sans avoir à penser à leur proche quand ils n'en ont pas envie”, souligne le chercheur.
Cette appropriation modifie profondément le rapport que nous entretenons avec la mort qui n'est plus qu'un événement douloureux, mais un souvenir heureux avec lequel on apprend à vivre.
Le retour de l'urne, mais connectée...
Autre signe de cette nouvelle présence douce, l'émergence d'innovations étonnantes, comme ce pot de fleurs qui n'est autre qu'une urne connecté.
Les cendres servent à faire pousser une petite plante dont vous pouvez contrôler la croissance sur votre smartphone. Un moyen pas comme les autres de perpétuer la mémoire de ceux qu'on aime ! À moins que cela soit une façon d'inciter nos proches à perpétuer la nôtre...
Remplacer les cimetières par des jardins, c'est tout de suite un peu plus joyeux !