Matthieu M. - Publié le 16 septembre 2017
INTERVIEW - Et si la solution pour vaincre la crise climatique était de privilégier les technologies simples plutôt que les hautes technologies ? C'est la thèse que défend Philippe Bihouix, ingénieur spécialiste du low-tech.
Selon l'ingénieur Philippe Bihouix, auteur de L'Âge des low-tech, nous serions en train de commettre une grave erreur : persuadé-es que les hautes technologies, comme le numérique ou la robotique, sont la solution magique pour lutter contre la crise climatique, nous avons tendance à négliger leur impact sur notre environnement et nos ressources.
Ce spécialiste des métaux et ressources naturelles nous incite donc à passer au low-tech pour envisager un futur soutenable. Rencontre.
Le Low-Tech concrètement, qu'est-ce que c'est ?
J'ai l'habitude de résumer la démarche low-tech en trois questions : pourquoi est-ce que je produis ? Qu'est-ce-que je produis ? Comment est-ce-que je produis ?
La première question c'est celle de la sobriété : nous faisons un gaspillage énorme de nourriture, d'énergie, de ressources. Il faut changer nos habitudes, réparer au lieu de jeter, faire durer nos objets, apprendre à accommoder les restes, délaisser sa voiture au profit du vélo pour les petits usages quotidiens...
La deuxième question est celle de l'éco-conception. Aujourd'hui, il devient impératif de produire des objets les plus simples possibles, contenant beaucoup moins d'électronique, à l'inverse de la mode actuelle qui consiste à les enrichir en fonctionnalités, comme dans les voitures, l'électroménager, les objets connectés. Avons-nous vraiment besoin de rétroviseurs motorisés ou de chaussures d'enfant qui clignotent ?
Enfin, il est nécessaire de réfléchir à la place du travail humain dans le processus de production. L'automatisation et de la robotisation ont certes été un progrès, augmentant la productivité et réduisant la pénibilité du travail. Mais remplacer le travail humain par des machines, consommant ressources et énergie, a un impact environnemental considérable.
Il faut changer notre façon de penser par rapport au 19e siècle, quand on considérait que les ressources étaient gratuites !
Comment peut-on concilier innovation et low-tech ? Est-ce que cela signifie forcément retour à l'âge de pierre ?
Au contraire ! Les low tech nécessitent aussi beaucoup de connaissances, d'intelligence, de réflexion, d'organisation, de partage. Des designers et ingénieurs conçoivent des produits plus durables, comme “l'increvable”, un réfrigérateur conçu pour durer 50 ans ; des architectes réfléchissent aux matériaux, aux meilleurs usages possibles des surfaces ; des magasins réinstaurent la consigne pour les emballages...
Même à l'échelle personnelle et familiale, il y a beaucoup d'initiatives qui peuvent être qualifiées de low-tech : on peut composter ses déchets, même en ville à l'aide de lombrics, se lancer de le zéro-déchet, monter une AMAP ou acheter des produits d'occasion... Tout le monde peut s'y mettre !
Lesquelles par exemple ?
Les éoliennes et les panneaux solaires consomment du cuivre, en quantité d'ailleurs plus grande, par unité d'énergie produite, qu'une centrale classique, car la production est intermittente. Les smartphones et ordinateurs nécessitent des dizaines de métaux et les industries minières et métallurgiques comptent parmi les activités humaines les plus polluantes.
On pourrait penser qu'il n'y a pas de problème puisqu'on peut faire du recyclage, de l'économie circulaire. Mais on omet le fait que le recyclage n'est pas si simple : il y a beaucoup de pertes et de gâchis de ressources, et ce d'autant plus que les produits à recycler sont technologiquement complexes. Plus les solutions sont “high-tech”, plus on s'éloigne du recyclage efficace, et plus on tape dans notre stock de ressources. On est loin des énergies « 100% propres ».
Les “low-tech“ seraient donc une solution à la diminution du stock de ressources ?
Il n'y a pas de label ou de certification “low-tech“, c'est d'abord une démarche, qui s'attache à prendre en compte la question des ressources. Ce n'est pas un “retour en arrière” ou une attitude forcément opposée à l'innovation. Mais les innovations ne peuvent pas être uniquement techniques, elles doivent être aussi et surtout sociétales, organisationnelles et culturelles.
Comme leur nom l'indique, les ressources non renouvelables ne se renouvellent pas à l'échelle d'une vie humaine, on exploite un stock, certes très important, mais disponible en quantité limitée. Or l'ensemble de notre système industriel en dépend.