Matthieu M. - Publié le 10 mars 2018
TOILETTES - Nous sommes nombreux à nous retrouver bête à l'étranger quand les toilettes ne se ferment pas. Pourtant, ils ne sont pas moins pudiques que nous.
Petit flash back : vous êtes en classe de 3ème, vous avez 14 ans et vous vous rendez avec votre collège au Royaume-Uni. Ah ça, vous l'avez attendu ce voyage scolaire ! Pas effrayé pour un sou par les rumeurs de sandwich à la mayonnaise, vous vous apprêtez à passer votre première nuit dans votre famille d'accueil, que vous trouvez d'ailleurs, fort sympathique.
Seulement voilà, un petit détail vient gâcher la fête : vous découvrez avec stupeur que les toilettes de la maisonnette ne disposent d'aucune clef, ni de verrou. Malheur ! Il va falloir s'adonner à un sacré concours d'équilibrisme pour bloquer la porte avec votre pied et votre main, tout en faisant votre petite affaire.
Alors, pourquoi, oui pourquoi, n'installent-ils pas un petit loquet à l'intérieur des lieux d'aisance, vous demandez-vous perché sur votre trône ? Nos voisins anglais seraient-ils dénués de toute pudeur ? Existe-t-il un code caché qui vous aurait totalement échappé ?
Quelques années plus tard, après avoir été nous-mêmes confrontés à ce problème (oui, cette histoire est du vécu), nous avons décidé de nous pencher sur cette question à laquelle vous risquez d'être confronté si vous êtes amené-e à voyager à l'étranger.
Il n'a pas été facile de percer ce mystère que nous sommes nombreux-ses à ressasser. Les premiers sociologues et spécialistes ont été catégoriques : non, il n'y a aucune explication rationnelle, historique ou anthropologique.
Une pudeur récente en France
Intéressons-nous d'abord à notre propre cas, celui de la France. Ne pensez pas que notre pudeur, notre relation distanciée, honteuse presque à la défécation, est une constante de notre culture occidentale. Quand on sait que Louis 14 et même Voltaire recevaient assis sur le trône, forcément le regard que l'on pose sur nos ancêtres change du tout au tout.
De même qu'avoir une pièce consacrée à la petite ou grosse affaire dans son chez soi est un concept qui se démocratise à partir du 20ème siècle.
Depuis cette révolution hygiéniste, on remarque une constante : la porte. Pascal Dibie, ethnologue français et auteur de l'Ethnologie de la porte (Ed. Métaillé, 2012) indique : “En France la porte que l'on ferme aux toilettes est une chose récente. Pourquoi s'enfermer au sein de sa propre maison, c'est étrange, non ?”
Un moment de vulnérabilité total
Pas si étrange que cela pour Perla Serfaty Garzon, sociologue française, auteure de Psychologie de la maison. Une archéologie de l'intimité. (Ed. du Méridien, 1999). Selon elle, être aux toilettes est un moment de vulnérabilité totale. “C'est un temps où l'on prend conscience de sa propre fragilité”, nous explique-t-elle. La porte devient un allié de premier choix pour ne plus s'exposer, pour se protéger.
C'est aussi une séparation imposée par notre culture qui vise à séparer en permanence le “propre du sale”, précise-t-elle. Grâce à la porte et aux verrous, on sépare les toilettes et toute la saleté qui y est associée, au reste de l'appartement.
L'absence de verrou : des origines protestantes
Mais revenons à notre voyage scolaire au Royaume-Uni. Fort heureusement pour vous, les Anglais ont eu, sur ce point du moins, la bonne idée de faire comme nous, et d'installer une porte devant les toilettes. Seulement voilà, toujours pas de verrou ! Alors que s'est-il passé de l'autre côté de la Manche ?
Après des semaines d'investigation, nous avons enfin trouvé la réponse à notre question, réponse apportée par l'ethnologue Pascal Dibie. Selon lui, on trouve l'origine de cette absence de verrou aux portes des toilettes anglaises, dans leur culture protestante.
“Dans la tradition protestante, le rapport au corps est beaucoup plus naturel, le corps est public. D'ailleurs c'est une des raisons pour lesquelles, les confessions se font en public”, explique-t-il. Puisque le corps est public, il n'y aucune raison de le cacher, pas même aux toilettes. Pour preuve, “les Anglosaxons ont été pionniers en matière de naturisme”, ajoute-t-il.
Mais relativisons : l'absence de verrou n'est rien face à certaines pratiques où la porte n'existe même pas. Dans son livre Dis-moi comment tu fais ? (Ed. Jourdan), Simone Scoatarin, psychothérapeute et linguiste relate un voyage en train en Inde, dans les faubourgs de Bombay : “sur des kilomètres, le talus qui longe la voie est couronné d'un défilé ininterrompu de fesses nues alignées. Des culs d'hommes accroupis, occupés à leurs besoins matinaux.”
Un conseil donc : si l'expérience anglaise vous a traumatisé, évitez de vous rendre en Inde !