Emmanuel Chirache - Publié le 22 février 2019
RECUP' - Chanter avec un aspirateur, jouer une symphonie sur fer à repasser, autotuner un lave-linge ? C'est désormais possible, grâce au collectif d'artistes lillois Metalu A Chahuter.
Il y a un peu de Gaston Lagaffe chez Antoine Rousseau, Alain Chautard et Jean-Marc Delannoy, inventeurs fantasques à l'origine des "domophones". Un néologisme formé par le mot "domus", maison en latin, et par le grec ancien "phonê" qui désigne un instrument de musique lorsqu'il est placé en suffixe. Vous l'avez compris, ce sont nos objets du quotidien, électroménager, meubles, lampes, jouets, reconvertis dans l'art musical.
Fin 2005, les trois hommes lancent un spectacle-concert intitulé la Symphonie électro-ménagère, dans lequel ils utilisent pour la première fois des objets domestiques pour faire de la musique expérimentale. Attention, le domophone n'est pas pour autant un objet à la portée du premier venu ! Pas question de taper sur des bambous et c'est numéro un, puisque chaque instrument "virtuel" est programmé sur un ordinateur, relié à l'objet réel via des capteurs électroniques qui font l'interface entre les deux.
"Ça donnait l'impression qu'on savait super bien jouer de la baignoire"
Electronicien et ingénieur formé à la programmation, Antoine se souvient du projet : "On avait une baignoire, des portes qui grincent, une gazinière, une machine à laver... Le principe, c'est que les sons étaient synthétisés en temps réel, donc on pouvait “accorder” les instruments entre eux, les mettre en rythme ensemble, puis tout contrôler grâce à une partition pré-composée. Du coup, on glissait de façon continue entre le son réaliste et le son synthétisé, ça donnait l'impression qu'on savait super bien jouer de la baignoire."
Dans la domozique, l'essentiel n'est pas tant la fidélité au bruit que produit l'objet dans la vie courante que le souvenir qu'on en a. Un travail sur la mémoire des objets donc, que le collectif Metal A Chahuter a décidé ensuite de développer à travers des ateliers réalisés avec des collégiens, des personnes en situation de précarité sociale ou le grand public, comme ce sera le cas le 28 février au MAIF Social Club. "Les participants amènent des objets en leur possession qui ne servent plus, détaille Antoine, et on imagine avec eux ce qu'on peut en faire d'un point de vue musical, en utilisant si possible le geste associé à cet objet, comme le mouvement du bras sur la planche pour le fer à repasser."
Peut-on jouer faux de la domozique ?
Pendant ces ateliers, ça bricole pas mal, ça soude, ça cloue, ça perce, ça visse. Ensuite, il faut apprivoiser son domophone. Heureusement, tous les instruments sont en réalité contraints par un mode harmonique et utilisent la même gamme. Comme on l'a vu, ils sont aussi synchronisés sur le même rythme. Est-ce que cela signifie qu'il est impossible de "mal jouer" d'un domophone ? L'ingénieur nous éclaire : "C'est un peu comme de l'autotune, on ne peut pas vraiment jouer faux, même si on ne connaît pas la musique. En revanche, au début, les gens ont du mal à jouer ensemble, ils cherchent le son le plus fort pour s'entendre."
Pour le public comme pour les participants, il faut que le lien entre l'instrument et sa sonorité soit "lisible", qu'on puisse comprendre que ce "bip bip" est produit par un lave-linge, par exemple. D'un point de vue mélodique, la domozique s'apparente plutôt à de la musique expérimentale électronique, tirant sur le punk pour le côté DIY. "On sort du concept du genre, reconnaît Antoine Rousseau, il y a une grande liberté d'interprétation. La suite d'accords peut être teintée rock ou électro, mais bon, ça dépend du choix des instrumentistes."
Soyons patients, la domozique n'en est qu'à ses balbutiements. Elle attend encore son Mozart du four micro-ondes, ses Beatles de la cafetière, son Michael Jackson du tuyau de douche. Il ne tient qu'à vous de lancer votre prochain groupe et vous fabriquer un studio maison.