Lisa Hör - Publié le 6 janvier 2017
INNOVATION - Une société américaine expérimente une nouvelle façon de consommer de l'énergie produite localement. Ce réseau collaboratif pourrait bientôt s'implanter en France.
Eric Frumin a installé 20 panneaux solaires sur le toit de sa grande maison de New-York. Les jours de grand soleil, ils produisent plus d'électricité qu'il ne lui en faut. Alors, depuis quelques mois, il revend son surplus à son voisin d'en face, Robert Sauchelli.
L'idée d'échanger une énergie verte produite localement a séduit ces deux écologistes convaincus. Lorsque Lawrence Orsini, le dirigeant de la société Lo3Energy, a commencé à chercher des volontaires pour tester ce concept, ils ont dit oui tout de suite.
Ils sont donc les pionniers de cette aventure baptisée Brooklyn Microgrid, et les premiers à tester ce micro-réseau énergétique, développé, comme son nom l'indique, dans le quartier de Brooklyn, et inauguré début 2016.
Un réseau d'achats entre particuliers, via une plateforme internet
"Est-ce qu'il y a un câble qui va de la maison d'Eric à la mienne ? Non", commence Robert Sauchelli, lorsqu'on lui demande comment l'électricité des panneaux solaires de son voisin arrive jusque chez lui.
De fait, Robert n'achète pas directement l'électricité de son voisin, mais son équivalent. Par exemple, si Eric produit un excédent d'électricité de 100 kilowattheures, Robert paye le prix de 100 kilowattheures à Eric, mais l'électricité qu'il reçoit vient du réseau de distribution électrique classique.
Car l'énergie produite sur le toit d'Eric continue d'être injectée dans le réseau de distribution électrique général. Robert, lui, paye toujours un abonnement à un fournisseur et un distributeur d'électricité national, pour avoir le droit d'utiliser l'infrastructure de distribution, et pour compléter ses besoins en électricité.
Mais en parallèle, il se connecte sur une plateforme internet dédiée pour acheter des crédits, correspondant à une certaine quantité d'électricité produite chez son voisin. "C'est un réseau virtuel par-dessus un réseau physique ancien", commente-t-il.
Ces échanges entre particuliers sont rendus possibles de manière sécurisée grâce à la blockchain, une nouvelle technologie de transmission de données décentralisée et impossible à pirater.
La fiabilité est l'un des points mis en avant par l'équipe de Lo3Energy. Elle entend également garantir aux utilisateurs du Brooklyn Microgrid, qu'ils soient producteurs d'énergie ou simples consommateurs, de continuer à être alimentés en électricité produite localement, en cas de coupure de courant sur le réseau électrique de la ville.
Selon Scott Kessler, responsable du développement du Brooklyn Microgrid, ces coupures de courant surviennent au moins une fois par an à New-York.
Pour que le micro-réseau puisse fonctionner en autonomie, Lo3Energy prévoit d'installer des interrupteurs sur certains câbles de distribution du réseau global de la ville. "Quand on appuiera sur ces interrupteurs, le micro-réseau pourra se déconnecter du réseau plus large, et fonctionner en vase-clos", explique Lawrence Orsini, dirigeant de Lo3Energy, sur une vidéo de présentation du projet.
L'énergie produite par les panneaux solaires au sein du micro-réseau ne sera alors plus envoyée dans le réseau global, mais distribuée uniquement aux membres du micro-réseau.
Une communauté d'acheteurs et de producteurs engagés pour leur quartier
Avant de faire partie de ce projet, Robert achetait déjà son électricité auprès d'un fournisseur d'énergie renouvelable, mais celle-ci était produite à plus de 150 km de chez lui, dans un autre État. À présent, il paye 7 centimes de plus par kilowattheure, mais a la satisfaction de savoir que cet argent est réinjecté dans l'économie locale.
Son voisin, et non pas une compagnie anonyme, va toucher l'argent, le dépenser dans le quartier, au restaurant par exemple, et faire vivre les commerces locaux. C'est en tout cas la philosophie qui sous-tend le projet.
Une philosophie totalement adoptée par Robert, qui, en bon ambassadeur, décrit le Brooklyn Microgrid comme "une communauté de producteurs et de consommateurs liés par leurs valeurs."
L'idée est aussi de convertir son quartier aux énergies renouvelables. "Cela peut aussi encourager les gens qui réfléchissent à investir dans des panneaux solaires, s'ils savent qu'on va leur racheter une partie de leur énergie", complète Eric.
Pour le moment, Robert et Eric sont les seuls à utiliser ce réseau local, qui devrait s'ouvrir aux autres voisins en 2017. Lo3Energy a également proposé à un centre social du quartier d'installer des panneaux solaires sur son toit et d'intégrer le Brooklyn Microgrid. L'excédent d'énergie produit revendu aux voisins serait ainsi un nouvel apport financier pour le centre, qui loge des mères célibataires et propose une soupe populaire.
En attendant, les délégations de députés ou d'entrepreneurs étrangers, venus d'Allemagne ou de Nouvelle-Zélande, se succèdent à Brooklyn, pour découvrir et, peut-être reproduire, ce réseau local collaboratif.
"Nous avons des discussions avec l'Australie, l'Afrique, l'Inde, l'Europe, évoque à demi-mots le dirigeant de Lo3Energy. Nous avons trois projets en France, je ne veux pas faire de prévision, mais ce sera probablement pour l'an prochain."
Même si Lawrence Orsini refuse d'en dire plus pour le moment, il compte bien transformer la façon dont le monde entier consomme de l'énergie.