Lisa Hör - Publié le 12 septembre 2021
OSER TOUT PLAQUER - Chacun de leur côté, Jonathan et Stéphanie avaient besoin de redonner du sens à leur travail. Leur rencontre improbable en Bulgarie va leur donner un nouvel élan.
Derrière la porte de chaque tiny house, il y a une nouvelle vie qui commence. Une vie plus simple, plus écologique, plus proche de la nature. C'est vrai de toutes les mini-maisons et peut-être encore plus des KaB'Inn. Car les deux fondateurs de cette société sont eux-mêmes passés par des changements de vie radicaux ces dernières années.
Rien ne prédestinait Jonathan Guennoc, 33 ans, et Stéphanie Pretlot, 38 ans, à travailler ensemble à la construction d'habitations à la fois modernes et minimalistes.
Chacun de leur côté, à 2000 km de distance, ils menaient une vie ultra-connectée. Dans leurs domaines respectifs, la banque et la téléphonie, ils sacrifiaient tout leur temps à leur poste à responsabilité. Jusqu'à ce qu'un burn out et une grande remise en question les amènent à se rencontrer par hasard en Bulgarie.
“On a voulu mettre nos parcours en avant, car KaB'Inn est né d'une histoire personnelle”, confie Jonathan. Pour faire connaître leurs tiny houses, ils n'hésitent pas à jouer avec le cliché des trentenaires qui ont eu une révélation avant de tout quitter. Après tout, c'est bien ce qui s'est passé pour eux. Et cela pourrait en inspirer d'autres !
Ambition, pression et perte de sens
Jonathan a eu “le parcours classique du jeune ambitieux qui a fait une école de commerce”, nous raconte-t-il par téléphone, depuis sa Bretagne natale. Son premier poste, il l'obtient en Bulgarie, dans une grande banque. Il ne connaît pas le pays mais ce qui compte, c'est de pouvoir rapidement grimper les échelons. À 25 ans, il gère un département de 30 personnes et enchaîne les missions. L'argent vient avec les responsabilités.
Mais vers 30 ans, il commence à s'essouffler à force d'enchaîner des missions qui n'ont “pas de sens”. Comme cette mise à jour de logiciels pour le recouvrement de crédit. “On avait une pression énorme pour le lancement, je devais demander à mes équipes bulgares, sous-payées, de faire des heures supplémentaires. Je les privais de leur famille alors que ce projet n'allait changer la vie de personne.”
À ce moment-là, Stéphanie est confrontée aux mêmes questions. “J'avais tout ce qu'il fallait matériellement, mais je n'avais pas l'essentiel. Mes enfants sont très bien élevés, mais j'ai passé très peu de temps avec eux, à force d'être en déplacement”, reconnaît-t-elle à l'autre bout du fil, en Bourgogne.
Un tour du monde ou un nouveau projet ?
Elle a fait carrière dans la téléphonie, à lancer et gérer des boutiques. Mais un accident est venue interrompre cette vie à 100 à l'heure, la clouant à l'hôpital. “J'ai touché une indemnisation pour l'accident et je me suis demandé quoi faire avec, raconte-t-elle. J'étais en burn out de cette manière de vivre, avec des horaires imposées. J'ai eu envie de partir et avec mon mari, on a décidé de faire un tour du monde.”
Première halte : la Bulgarie, où son frère travaille. Finalement, toute la famille a un coup de coeur pour le pays, ses grands espaces, "sa dolce vita", sa convivialité, et s'installe durablement. Stéphanie aide son frère dans son travail et un jour, poste un message sur Facebook pour rencontrer des Français. C'est comme ça qu'elle rencontre Jonathan.
Le courant passe tout de suite. Lui aussi est à un tournant de sa vie. Il vient de partir un mois, sur un coup de tête, dans un petit village en Italie pour faire “un peu de sport, des barbecues, et c'est tout”. Il en est revenu avec l'envie de sortir du système et une idée : installer des tiny houses dans la nature en Bulgarie, pour proposer des séjours de déconnection.
Une cabane ouverte sur la nature
Stéphanie est conquise par l'idée d'offrir un échappatoire au rythme effréné de la vie citadine. Elle propose de s'associer et de financer la construction de la première cabane. C'est l'impulsion qui manquait à Jonathan pour se lancer, et oser quitter son travail.
Il a déjà les plans de la mini-maison, dessinée par architecte bulgare spécialisée dans l'aménagement de petits espaces, Hristina Hristova. “J'ai imaginé une tiny house pour moi-même, en modifiant tout ce qui ne me plaisait pas sur les tiny houses que j'avais vues”, explique-t-il.
À commencer par la mezzanine, que l'on retrouve souvent, mais qui lui donne l'impression d'être “confiné en hauteur”. Il préfère une mini-maison de plain-pied, avec un lit qui ne sert pas qu'à dormir mais aussi à méditer et à se détendre dans la journée. Cela laisse plus de place pour de grandes baies vitrées, et donc plus de luminosité et d'ouverture sur l'extérieur.
Le design plaît à Stéphanie, qui a passé son enfance proche de la nature. Il convainc aussi plus largement : Kab'Inn reçoit deux prix d'architecture, Big See et German Dream House.
Le nouveau duo fait tout ensemble, de la création du logo au choix du bois. Mais encore une fois, ils doivent faire preuve d'adaptation. Il est trop difficile de trouver des terrains pour poser leurs cabanes en Bulgarie, où la notion d'habitat léger est encore très peu répandue. Ils décident alors de les vendre, comme habitats permanents, en France. L'avantage, c'est qu'en fabriquant en Bulgarie, ils peuvent proposer des tiny houses clés en main à 50 000 euros, quand des modèles équivalents avoisinent plutôt les 70 000 euros.
Jusqu'où changer ?
Et eux, quand déménagent-ils pour s'installer en tiny house ? Pas tout de suite et pas pour trop longtemps, en ce qui concerne Jonathan. Il projette bien d'installer une tiny house en Bretagne pour tester ce mode de vie pendant 6 mois à 1 an. Mais il n'y voit pas une fin en soi, plutôt une étape possible sur le chemin du minimalisme, qu'il a entamé il y a peu.
“Avant, dès que j'avais eu une journée éprouvante, j'allais m'acheter quelque chose pour me détendre, se remémore-t-il. J'ai vidé mon dressing - en plusieurs fois. Aujourd'hui, dans ma penderie, j'ai 4 pulls, 2 pantalons, 4 tee-shirts.” C'est le changement le plus visible dans son quotidien et son logement.
“Sur le temps de travail, j'avoue que je ne suis pas devenu minimaliste ! J'aime bien travailler 15 heures par jour, mais travailler pour soi-même, sur ses propres projets, c'est différent”, confesse-t-il. En parallèle de Ka'Binn, il participe au développement d'une plateforme locale de déstockage en Bretagne, pour lutter contre le gaspillage.
Stéphanie et sa famille sont rentrés en France, après 3 ans passés en Bulgarie. Les changements continuent de s'enchaîner pour eux. “Mon mari s'est demandé ce qu'il allait faire. Il avait toujours rêvé de créer un restaurant. Et il en a ouvert un, en plein confinement ! Avec la vente à emporter, ça a bien marché”, s'enthousiasme la jeune femme.
De son côté, grande sportive, elle est en passe de devenir coach dans une salle de sport. “On a trouvé notre équilibre. Je suis toujours hyperactive, mais maintenant je peux me libérer quand je veux pour mes enfants.”
Et bien sûr, il y a leur installation prochaine dans une tiny house, avec leurs trois derniers enfants - les plus grands font leurs études. “On s'en fiche de la possession maintenant, d'avoir une télé, une grande maison... Pourquoi s'embêter à laver 300 mètres carrés de sol, alors qu'en fait 50 mètres carrés, ça nous suffit ?”, analyse-t-elle. Son mari a quelques réserves (“il aime son confort et avoir son intimité”), mais est prêt à faire l'expérience.
Pas donneuse de leçon pour un sou, Stéphanie ne se considère pas comme un exemple. Juste soucieuse de faire attention à l'empreinte qu'elle laissera sur la planète. “Quand on en parle autour de nous, on voit qu'on est loin d'être les seuls”, observe-t-elle.
Même constat pour Jonathan, pour qui la majeure partie de son travail consiste désormais à faire la promotion de l'habitat léger et du minimalisme, sans jugement. “Je comprends qu'on veuille se faire plaisir, déclare-t-il. Faire des excès nous fait aussi gagner en maturité, je suis passé par là.” Ne rien imposer, mais donner envie ? On peut dire qu'avec cette jolie cabane en bois et toutes ses futures petits soeurs, ils ont plutôt réussi.