Emmanuel Chirache - Publié le 30 mai 2021
PAYS BASSE CONSOMMATION - Un ancien quartier industriel d'Amsterdam a été réhabilité en village flottant, autosuffisant et durable.
Vivre sur l'eau pourrait-il devenir le nouvel habitat rêvé par des millions de citoyens à travers le monde ou n'est-ce qu'une utopie ? L'expérience quasi unique en Europe du quartier de Schoonschip apportera sans doute quelques éclairages à cette question dans les années à venir. Le long du canal Johan van Hasselt à Amsterdam, une centaine d'habitants ont en effet décidé de fonder un village flottant durable constitué de 46 logements répartis sur 30 bateaux maisons.
Si l'idée est née il y a une dizaine d'années dans l'esprit de Marjan de Blok, une journaliste néerlandaise, le projet n'a fini par voir le jour qu'en 2020, après un long parcours du combattant. Il faut dire que l'ambition était immense : des maisons durables, construites sur l'eau avec des matériaux écologiques, autosuffisantes en énergie, et reliées entre elle par un embarcadère connecté. Projet écologique donc, mais aussi de gouvernance sociale, puisque les habitants ont conçu le projet ensemble, tout en conservant chacun une marge de manoeuvre architecturale.
Un quartier autosuffisant en énergie, modèle de durabilité
En néerlandais, "Schoonschip" signifie littéralement "nettoyer le bateau", qu'on pourrait aussi traduire par "faire le ménage" ou "éclaircir les choses" en français. Une double signification qui va comme un gant au projet, dont l'ambition écologique vise autant à nettoyer ce quartier anciennement industriel (ainsi que son canal), mais aussi à éclaircir l'avenir de la planète à travers un modèle résilient et intelligent, que la communauté partage en open source sur son site Internet.
On dénombre ainsi 500 panneaux solaires, 30 pompes à chaleur (qui chauffent les maisons à partir de la chaleur extraite de l'eau), zéro émission de gaz et un tiers des toitures qui sont végétalisées pour rafraîchir le village. Les maisons ont été construites de la façon la plus écologique possible, avec la volonté de recycler au maximum les déchets de chantier. Les bâtiments ont tous une ossature bois certifié d'un label éco-responsable, avec un bardage en bambou qui n'a pas à être traité, et une isolation ultra performante en bio-composants, comme la fibre de bois, la jute, la paille, voire la brique de chanvre.
D'un point de vue énergétique, la grande innovation porte sur le stockage de l'électricité : il est géré par un réseau intelligent et connecté, capable d'optimiser la distribution d'énergie et donc d'économiser entre 9 et 15% en moyenne. En cas d'excédent, si par exemple vous partez en vacances tout l'été, il est possible de revendre cette électricité à un voisin ou à une entreprise énergétique. Pour fonctionner de façon transparente et efficace, ce réseau utilise la technologie blockchain, qui permet de stocker et d'échanger des données de façon décentralisée et sécurisée.
"L'été, l'embarcadère devient le royaume des enfants"
Au-delà du défi écologique, Schoonschip se veut aussi un exemple de gouvernance, une communauté capable de mutualiser certaines ressources. Pas seulement l'énergie comme on l'a vu, mais aussi les transports (vélos, voitures électriques), ainsi que la nourriture, à travers des achats groupés à une ferme locale. Un embarcadère collectif permet également aux habitants de se rencontrer, d'échanger. Interrogée par le magazine Inhabitat, la fondatrice Marjan de Blok raconte : "L'été, tout le monde nage et joue... L'embarcadère devient le royaume des enfants."
Pour elle, c'est cet aspect communautaire qui constitue le principal changement dans son mode de vie, avant même le fait de vivre sur l'eau, au gré du roulis, ou de gérer des panneaux solaires, une première pour beaucoup de résidents. Même son de cloche chez Hanneke Maas Geesteranus, une autre habitante : "C'est un petit village. On se connaît tous assez bien. Tout le monde est sympa, serviable et prêt à s'entraider."
Seul bémol à ce tableau idyllique, le coût. Les habitants du quartier ne s'en cachent pas : c'est cher, surtout lorsqu'il faut créer d'importantes parties communes, comme l'embarcadère. Un autre poste de dépense plus surprenant a aussi plombé lourdement la facture, ce sont les cabinets de conseil juridique qui ont été consultés afin de surmonter les difficultés administratives et légales, peut-on lire sur le site de Schoonschip. Pour le reste, les prix sont similaires à la construction d'une maison durable sur la terre.
Gros plan sur une maison flottante réalisée par i29
Même si chacun devait respecter des critères de durabilité dans la construction de sa maison, les habitants ont pu faire appel à des architectes différents afin de donner une certaine personnalité à leur logement. Le studio i29 a réalisé l'une d'entre elles, une maison dont le défi consistait à optimiser l'espace du lot tout en formant une structure au design épuré.
Pour donner une cohérence à l'ensemble, les architectes ont voulu que chaque pièce possède un accès sur l'atrium, qui connecte donc les trois étages. Au dernier étage, le toit est incliné de façon à respecter les volumes tout en offrant un aspect extérieur très esthétique. La cuisine donne ainsi sur une belle terrasse loggia, tandis qu'une partie du toit en verrière permet d'éclairer la pièce.
L'une des grandes réussites du cabinet d'architecte, c'est d'avoir imaginé une vue différente sur le canal en fonction de la pièce où l'on se trouve. Au rez-de-chaussée, on voit directement l'eau, l'accès est presque immédiat via une petite plateforme. Dans la cuisine traversante, la vue est sud d'un côté, nord de l'autre, et sur la terrasse, la découpe du toit permet d'apercevoir l'ouest du port.
Bref, comme on le voit, le minimalisme relatif de ces maisons flottantes n'empêche pas d'imaginer des solutions architecturales esthétiques et en même temps confortables. L'accès permanent à l'extérieur depuis l'intérieur de la maison contribue à donner une impression d'ouverture sur l'environnement, une façon d'être en prise directe avec son voisinage et son écosystème qui contribue à la durabilité de chaque habitation.
Pour autant, il faut bien rappeler que cette transparence a un coût, économique, bien sûr, mais aussi écologique. Les habitants de Schoonschip eux-mêmes en sont bien conscients et ils le confessent volontiers dans leurs retours d'expérience disponibles sur leur site : ces vastes baies vitrées qui font le charme des maisons nécessitent du verre et de l'acier, dont la fabrication consomme énormément d'énergie. Un défi à relever pour les futurs quartiers flottants qui voudront s'inspirer de celui-ci ?