Matthieu M. - Publié le 24 octobre 2020
SOLIDARITÉ - Dans l'ouvrage Avec et sans-abri, le guide pour tisser du lien, Lauriane Clément nous donne les clés pour lier une relation amicale et solidaire avec les personnes sans-abri.
Comment savoir si une personne sans-abri a besoin de mon aide ? Comment trouver les bons mots pour engager une conversation avec la personne qui dort au pied de mon immeuble ? Comment faire pour lui apporter mon aide en hiver ? Toutes les questions que l'on se pose en voyant des personnes sans-abri nous empêchent bien souvent d'agir et de leur venir en aide.
Alors, pour nous aider à avoir le déclic et à tisser du lien avec ces personnes que nous croisons tous les jours, la journaliste Lauriane Clément et l'association Entourage viennent de publier Avec et sans-abri, le guide pour tisser du lien (Ed. Première partie, 2020). Nous avons rencontré l'autrice de l'ouvrage pour comprendre comment agir.
18h39 : Pourquoi a-t-on besoin d'un guide pour interagir avec les sans-abri ? On ne s'y prend pas comme il faut ?
Lauriane Clément : Ce guide est fait pour toutes les personnes qui sont touchées par la situation des sans-abri mais n'agissent pas car ils ne savent pas par où commencer. Le but c'est de les rassurer, de les prendre par la main. Il y a des conseils très pratiques mais aussi un volet témoignages avec des histoires d'amitié entre riverains et sans-abri. L'idée est d'apporter des clés à toutes les questions et c'est pour cela qu'on a fait une FAQ avec des interrogations concrètes : c'est l'hiver, qu'est-ce que je peux faire ? Comment je réagis si un sans-abri refuse mon aide ?
Vous expliquez dans votre ouvrage que l'on a aucun mal à saluer ses voisins, mais que l'on ose pas faire de même avec “son voisin de trottoir". Pourquoi ?
Il y a beaucoup de sans-abri dans les grandes villes et finalement on se retrouve happé, on ne sait pas comment s'arrêter. La raison principale selon moi c'est le frein que l'on se met nous-même, on se dit que cette personne on a rien à lui apporter, que de dire bonjour ce n'est pas assez, ça ne va pas changer sa vie. Les gens se sentent frustrés dans leur action et se restreignent. On parle souvent d'indifférence, moi je pense que c'est juste de l'impuissance. Alors on préfère détourner le regard, mais la plupart des gens sont touchés. Il était important de faire un guide pour que ceux qui sont touchés puissent faire quelque chose.
Pourtant, les besoins affectifs et relationnels sont aussi importants que les besoins vitaux comme se nourrir ou se laver pour les personnes sans-abri.
Quand on est à la rue depuis quelque temps, on a certains mécanismes. On sait où l'on peut se doucher, rechercher à manger, comment avoir accès à de la nourriture. Mais ce qui manque beaucoup c'est la chaleur humaine, c'est des regards, pouvoir parler, être considéré et se sentir utile. En fait, avoir une place dans la société. Eric (l'une des personnes sans-abri interviewées dans l'ouvrage, ndlr.) raconte comment il est devenu le conseiller conjugal de son quartier. Les riverains venaient le voir pour lui parler de leurs problèmes de couple. Lui-même disait qu'il avait retrouvé une utilité, un rôle à jouer et ça lui faisait du bien.
Vous insistez sur le fait qu'il est important de créer une relation saine. C'est-à-dire ?
Je suis bénévole à la Croix-Rouge et quand j'arrive face à un sans-abri avec mon uniforme, je suis en position descendante car je suis une personne qui est là pour aider. Alors que lorsqu'on est riverain, on arrive juste en voisin. On peut créer quelque chose de différent, quelque chose qui apporte aux deux, il y a un côté égal à égal. Les riverains ne doivent pas devenir des travailleurs sociaux !
Les préjugés que l'on a concernant les personnes sans-abri freinent également le lien que l'on pourrait tisser avec eux, non ?
C'est normal d'avoir des préjugés, j'en ai encore, l'important c'est d'en être conscient pour ne pas tomber dedans. Par exemple, beaucoup pensent que les personnes sans-abri n'ont pas de travail alors qu'un quart d'entre-eux en ont un. Mais déjà se confronter à eux, c'est changer son regard.
Très concrètement, qu'est-ce que vous conseillez à quelqu'un qui souhaiterait engager la conversation avec une personne sans-abri pour la première fois ?
C'est important de ne pas se mettre trop de pression, il ne faut pas se dire qu'on va sortir la personne de la rue car il y a de grande chance pour que non, et ce n'est pas grave. Vous pouvez lui apporter autre chose. Il faut le voir comme une relation amicale, et une relation amicale ça prend du temps. Alors, commencez par lui dire bonjour, demandez-lui son prénom puis parlez de la pluie et du beau temps.
Que répondez-vous justement à celles et ceux qui se mettent la pression, qui pensent qu'ils vont devoir jouer ce rôle de travailleur social ?
L'équilibre de la relation dépend de vous. Quand ça devient trop prenant dans votre vie, que vous vous sentez oppressé et que vous n'avez pas les réponses pour la personne, c'est le moment de passer le relai. Soit la personne est en relation avec un travailleur social et si elle n'en a pas, il faut prendre contact avec la mairie de la commune où est domiciliée la personne. Mais surtout soyez authentique et ne lui faites pas de fausses promesses car elles en ont reçu beaucoup. Ça peut vraiment casser la relation.
Et si la personne n'a pas l'air d'avoir envie d'échanger, que faire ?
Il faut créer une relation mais c'est aussi important de ne pas imposer son aide à une personne dans la rue. Parfois, cette personne n'a pas envie de vous parler car elle passe une mauvaise journée, c'est un être humain. Mais peut-être que deux jours plus tard, elle sera ravie, ou pas ! Certaines sont renfermées tandis que d'autres auront envie de partager un moment avec vous.