Maïa Pois - Publié le 15 juin 2020
SOCIÉTÉ - Alors que la crise du Covid-19 a redéfini en partie nos rapports sociaux, le concept de design social peut-il réinventer le lien entre les gens dans l'espace public ?
Le temps passé dans les transports en commun peut souvent sembler long, trop long. Ainsi, l'Observatoire de la mobilité 2019 rapporte que 73 % des Français prennent les transports régulièrement, chaque Français passant en moyenne 3h30 par semaine dans les transports et entre 9 minutes et 14 minutes à l'attendre, selon les villes.
Dans ce contexte, Ophélie Jaret, jeune designer tout juste diplômée de l'Ecole de Design Atlantique de Nantes a voulu changer les choses à sa manière en proposant une alternative qui pourrait redonner le sourire aux usagers des transports en commun. De nature enjouée et optimiste, elle se dit “actrice du bonheur” et veut propager le concept de design social. Rencontre.
18h39 : Vous dites faire du design social mais à quoi cela correspond exactement ? Quelle différence avec le design classique ?
Ophélie Jaret : A travers le concept de design social j'entends créer des projets qui vont favoriser au maximum les liens sociaux et d'améliorer le quotidien des gens en les connectant entre eux.
En effet, je me suis rendu compte qu'on avait énormément besoin les uns des autres et que le bonheur passe avant tout par le partage, l'échange et la collectivité. On ne peut pas rester seul dans son coin, on a besoin d'interaction et de contact pour aller bien et être heureux. En tant que designer optimiste et positive, je souhaite que l'innovation soit tournée vers le partage en société et surtout vers le mieux vivre ensemble.
Vous avez remporté le prix du public lors de Design L'expo 2019 pour votre projet “Smile in the Light”. En quoi consiste-t-il exactement et dans quel mesure met-il en avant le design social dont vous parlez ?
Cette idée a été lancée dans le cadre de mon projet de fin d'études de Master. Pour l'élaboration de ce dernier, nous devions choisir un thème. Pour ma part, j'avais choisi le sourire parce que j'ai fait un constat assez frappant, celui que dans la rue, on ne se souriait pas du tout. J'ai voulu comprendre pourquoi en créant un projet autour de cet aspect du bonheur et du sourire. Ayant effectué mon alternance dans la ville de Grenoble, je me suis rendu compte dès mon arrivée que c'était une ville avec une mauvaise réputation et une image faussée, ce qui est vraiment dommage, et je voulais y remédier.
J'ai donc décidé de faire mes enquêtes de terrain dans cette ville en allant déambuler dans la ville équipée de lunettes avec caméra cachée dans l'idée de sourire aux gens et en filmant leur réaction. En tout, j'ai déambulé pendant deux après-midis dans les rues de Grenoble et sur les 250 sourires que j'ai pu lancer, je n'en ai reçus que 9 en retour. Le constat m'a vraiment interpellée et j'ai eu envie de comprendre ce qui freinait les gens et y remédier à ma façon.
J'ai remarqué qu'il y avait vraiment une peur de l'autre et de l'inconnu qui va se renforcer encore plus la nuit dans les transports, lors des moments d'attente qui peuvent sembler parfois très longs. L'objectif n°1 avec le projet “Smile in the light” était de déclencher des sourires durant ces instants qui n'étaient pas vraiment propices à la bonne humeur et favoriser l'interaction pour apaiser les tensions dans la rue. J'ai décidé de créer des jeux interactifs sur les quais qui vont animer l'interaction sociale, en les projetant sur les rames de tram.
Vous dites également que “le design est créateur de bonheur”, qu'est-ce que vous entendez par là ? Est-ce que vous pensez vraiment que l'on peut redonner le sourire aux gens à travers des jeux interactifs dans la rue ?
Je suis quelqu'un d'optimiste donc j'y crois, mais j'ai conscience que si quelqu'un veut nous embêter dans la rue, moi je ne peux rien faire en tant que designer. A mon échelle, j'interviens pour que les personnes qui attendent leur transport se rendent compte que la personne d'en face ou à côté d'elle, même si elle ne la connaît pas, elle est peut être très sympathique et que tout peut bien se passer.
L'idée principale que je souhaitais faire passer était de pouvoir jouer avec ceux qui sont en face de nous car il va s'opérer tout de suite un échange dans le regard, ce qui va forcément amener le sourire et rendre l'attente moins longue et apaiser les réticences.
Après l'expérience du confinement, est-ce que vous pensez que l'expression du design à travers le numérique peut contribuer au renouveau du lien social ?
Concrètement, ce que je souhaite, c'est connecter les gens via le numérique mais dans le réel. Je n'aspire pas à le faire à travers les écrans comme on pourrait le penser, mais plutôt avec des installations en plein air qui incitent à l'interaction et à la découverte des autres autour de nous.
J'ai espoir que le design puisse améliorer les situations et les liens sociaux suite au Covid-19 d'autant plus aujourd'hui avec le port du masque obligatoire dans les transports. La peur du masque peut créer une peur supplémentaire et baisser encore plus la confiance que l'on va avoir envers les autres.
Pourtant, je pense qu'il y a des manières d'agir, notamment à travers le jeu. Si le jeu peut apaiser les tensions liées à toute cette situation alors j'aurais tout gagné. Il faut prendre la petite part de positivité qui est possible et s'en emparer pour tenter de faire bouger les choses.