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ÉNERGIE - La ville des Hauts-de-Seine expérimente un des premiers réseaux énergétiques intelligents de France. Éclairage.

L'avenir s'expérimente ici. De l'autre côté du périphérique parisien, dans une ville qui a fait le pari de l'innovation depuis plus de 20 ans : Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). L'avenir, c'est le smart grid. Un élément clé des smart cities.

L'expression, encore peu connue du grand public, désigne un réseau intelligent d'énergie. Imaginez les capacités d'Internet transposées au réseau énergétique. En d'autres termes, le réseau prend en compte en temps réel la consommation et la production d'énergie. Il est capable d'anticiper et surtout d'empêcher des pics de production.

Facile à dire, plus dur à réaliser. À l'échelle d'un immeuble passe encore, mais à celle d'un quartier, c'est une autre affaire. C'est pourquoi il fallait un terrain d'expérimentation.

Bouygues Immobilier, qui est à l'origine du projet, choisit Issy. "Un heureux hasard", explique Olivier Selles, chef du groupe R & D de Bouygues Immobilier. Issy, c'est là où il vient d'installer son siège, là où ses voisins sont des acteurs de talents des énergies et du numérique (Microsoft, Cisco system, Bouygues Télécom...), au coeur d'une ville technophile.

Dans la vie de tous les jours 

Le projet IssyGrid est lancé en 2011, avec dix partenaires et accompagné par la ville des Hauts-de-Seine, au sein des nouveaux quartiers Seine Ouest et du Fort d'Issy. Aujourd'hui, il concerne 94 foyers connectés, plus de 2000 employés travaillant dans des bureau (notamment la tour Sequana qui accueille une centrale photovoltaïque), 46 lampadaires et 8 véhicules électriques.

Derrière ces chiffres se cache une nouvelle façon de vivre. Des lampadaires qui varient d'intensité en fonction du trafic, des véhicules électriques rechargés en fonction des calendriers de réservation, de l'état de la production et de la météo du quartier, ou encore une consommation plus éco-responsable.

Demain, un particulier pourra voir sa consommation en temps réel sur l'écran du compteur électrique de son domicile, prévoit Eric Legale de la mairie d'Issy-Les-Moulineaux. Il pourra alors réguler sa propre consommation en conséquence, ce qui permettra de faire de plus grandes économies.

Inciter à ajuster sa consommation

Chacun pourra se rendre compte que laisser ses appareils en veille lui coûte 11% de sa facture. Ou pourra être incité à réduire sa consommation à un moment donné pour éviter les pics de consommation. Dans le jargon, on appelle cela “l'effacement”.

Pas question de couper le courant pour éviter un pic. "C'est impossible car une personne chez elle peut être en détresse et avoir besoin d'appareil médicaux", souligne Olivier Selles. L'incitation fonctionne sans qu'il y ait besoin de répression. "Il suffit souvent de donner des conseils et des informations, par exemple on indiquera la meilleure heure pour démarrer sa machine à laver."

Ces ajustement en temps réel permettent de supprimer un pic de consommation, qui en France est particulièrement “carbonné” (c'est-à-dire qui émet beaucoup de gaz à effet de serre). En effet, "si la consommation était lisse, on pourrait la couvrir avec le nucléaire et l'hydraulique", explique Olivier Selles. C'est donc la coordination des gestes écolo de chacun qui compte pour avoir un impact à l'échelle du pays.

© Mairie d'Issy-les-Moulineaux

Quelle place pour la vie privée ?

Pour être efficace, la technologie smart grid doit donc faire des ajustement constants en fonction des données de consommation qu'elle reçoit. Mais ces données sont loin d'être anodines. Un élément que Bouygues Immobilier a dû prendre en compte.

"Le profil de consommation est extrêmement personnel", indique Olivier Selles avant des détailler une série d'exemples :
- Je pourrais savoir que quelqu'un a pris une douche chaude chez moi à 14h et en tirer des conclusions sur la fidélité de mon / ma partenaire.
- L'État pourrait voir selon ma consommation si j'ai une télévision et donc ainsi contrôler que je paye bien la redevance.
- Pôle emploi pourrait voir si je consomme ou non de l'électricité et donc si j'ai bien déclaré mes congés...

"Il était hors de question de traiter directement ces données. On a travaillé avec la CNIL pendant un an pour trouver un nombre de logements qui donne une idée fiable de la consommation sans être intrusif." Résultat, ce sont les données de 10 logements rassemblées par un outil domotique qui sont envoyées à Bouygues. Ils ne savent pas de quels logements il s'agit, uniquement à quel immeuble ils appartiennent.

Compétition écolo entre voisins

Issy Grid n'est pas encore le "rêve" développé par Jérémy Rifkin dans son ouvrage la Troisième révolution industrielle (2012). Le smart grid serait alimenté par les énergies renouvelables, l'électricité serait stockée dans les batteries à hydrogène (encore bien trop chères), et on vendrait l'électricité qu'on a produite à son voisin. On en est loin.

La réglementation française rend impossible la vente de sa production à son voisin. "ERDF a le monopole dans la distribution et se doit d'appliquer un principe garantissant à tous un accès à l'électricité, dans les mêmes conditions”, décrypte Hervé Rannou, directeur du cabinet Items International et spécialiste du smart grid. "La réglementation doit évoluer."

À défaut d'échanger sur le marché, les voisins sont conviés sur un autre terrain compétitif. Bouygues Immobilier compte organiser l'année prochaine des challenges entre immeubles pour voir qui consomme le moins. Il faudra s'allier avec ses voisins de palier, pour économiser chacun à son niveau, et battre le voisin d'en face. Le plus smart sera le plus écolo, et inversement !