Clémence Leleu - Publié le 22 décembre 2016
SOCIÉTÉ - Start-up, centres d'accueil pour sans abris, artistes... Tous cohabitent dans un ancien hôpital jusqu'à l'émergence d'un nouveau projet urbain en 2018.
Article modifié le 27 août 2020.
Lorsque l'on quitte la place Denfert Rochereau et ses lions magistraux, dans le 14e arrondissement de Paris, pour emprunter l'avenue du même nom, se dresse, sur notre gauche, l'hôpital Saint-Vincent de Paul. Fermé depuis 2014.
Pourtant, si l'on jette un oeil de l'autre côté de l'entrée, on aperçoit un petit groupe de jeunes gens discutant devant un portant rempli de vêtements, tandis que d'autres s'engouffrent dans un bâtiment aux airs de cantine, quelques mètres plus loin.
Un lieu géré par 3 associations
Bienvenue aux Grands Voisins, un tiers lieu parisien, géré conjointement par trois associations. Aurore, qui agit contre l'exclusion sociale, Plateau Urbain, qui utilise temporairement la partie vacante et obsolète du parc immobilier français et Yes We Camp, collectif protéiforme qui intervient dans l'espace urbain, en installant des douches urbaines ou des campings au coeur des villes par exemple.
Ce trio a décidé d'utiliser le temps de vacance du site, en attendant que la municipalité donne une autre vie au lieu en 2018, afin d'expérimenter un nouveau mode d'organisation de l'espace. “La vacance immobilière représente trois millions de mètres carrés en Ile-de-France. L'équivalent de 75 tours Montparnasse”, rappelle Jean-Baptiste Roussat, président de Plateau urbain.
Résultat : 140 structures, 1 000 personnes y travaillant et 600 autres y habitant, font battre le pouls ce lieu innovant.
En 2012, l'association Aurore a installé quelques hébergements sociaux et d'urgence au sein de l'hôpital. Lorsque celui-ci ferme ses portes, Aurore ambitionne de continuer à occuper l'espace. “Sinon le site aurait été muré et gardienné jour et nuit. Le tout pour 1,2 million d'euros par an à la charge de la municipalité. Autant tenter d'y créer quelque chose”, lance Florie Gaillard, de l'association Aurore.
Les tâches se répartissent alors avec les deux autres associations ayant pris part au projet : Plateau urbain gérera la mixité des structures et Yes We Camp, l'animation des espaces extérieurs et culturels.
Des centres d'hébergement d'urgence et des start-ups
La grande majorité des 3,5 hectares du site a donc été valorisée. Ainsi, parmi les habitants des Grands Voisins on peut compter différents centres d'hébergement d'urgence qui accueillent de façon temporaire des sans-abris et les accompagnent dans leurs démarches.
D'autres centres sont davantage spécialisés dans la stabilisation des personnes isolées, afin de favoriser leur orientation. Mais on trouve aussi ici des start-ups, des associations, des artistes ou encore des artisans.
Mais ce n'est pas tout. Depuis le mois d'octobre 2015, le site est ouvert au public du mercredi au dimanche, qui peut participer à des ateliers ou tout simplement boire un verre en grignotant un morceau. “Avec encore comme objectif, de faire vivre ensemble tous les publics”, appuie Florie Gaillard.
Respecter l'intimité de tous
Alors en cette fin d'année 2016, place au bilan, après un peu plus d'un an d'activité. Le lieu a-t-il réussi à mêler tant les genres que les gens ? “Ce projet s'écrit au fur et à mesure. Nous sommes ici pour un temps limité, nous avons déjà effectué plusieurs ajustements. Il faut s'adapter aux bâtiments mais aussi aux personnes qui les occupent”, détaille Florie Gaillard.
En effet, davantage que la mixité, qui se crée de fait grâce aux différentes structures présentes sur place, le vrai challenge a résidé dans le respect de l'altérité des habitants. Les lieux ouverts au public sont donc marqués d'un sceau jaune tandis que le bleu est réservé aux habitants. Histoire de préserver leur intimité.
“Initialement, les Grands Voisins étaient pensés comme un espace public où chacun pouvait amener ce qu'il voulait, un peu comme dans un parc. Mais nous nous sommes vite rendus compte que pour certains habitants, voir des personnes se balader avec des bouteilles d'alcool par exemple, pouvait rendre leur sevrage plus compliqué. Nous avons donc interdit à tout le monde de ramener son propre alcool et le bar en sert dans des verres mats. Ce qui rend indécelable son contenu”, indique la jeune femme.
Ces ajustements éclosent bien souvent après les conseils des voisins, sortes de grandes réunions de copropriété mensuelles, où sont conviés tous les habitants afin de faire le point sur le fonctionnement de cette ville dans la ville et sur son évolution.
Quant aux voisins de ces Grands Voisins, ceux hors les murs, ils semblent apprécier cette cohabitation d'un genre nouveau. Certains comités de quartier louent même un espace dans l'enceinte de l'ancien hôpital.
“Nous avons eu quelques plaintes pour le bruit, mais nous fermons désormais à 23 heures, le problème est réglé. Les odeurs liées aux barbecues l'été ont également posé problème, mais tout cela reste marginal comparé à l'immensité du lieu”, souffle Florie Gaillard.
Fermeture début 2018
Le pari est donc en passe d'être réussi. À un an de sa fermeture définitive, les Grands Voisins pensent déjà à l'après. “Nous avons peut-être réussi à créer une autre façon de penser l'hébergement d'urgence. En l'intégrant dans un programme de développement plus vaste. Il faut voir si on arrive à transformer cet essai”, indique Nausicaa Preiss de l'association Aurore.
Début 2018, le site sera transformé en écoquartier avec des logements (dont la moitié de logements sociaux), des associations, mais aussi des équipements sportifs ou encore une école. Une nouvelle page de l'histoire de ce lieu s'écrira. Mais marqué, assurément, par les esprits créatifs en marche ces dernières années.
Nous avons consacré un reportage sur Les Grands Voisins. Regardez-le ici :