Lisa Hör - Publié le 5 juillet 2016
REPORTAGE - Roue sans axe, éolienne auto-construite et bus encastré dans une façade : ici, Lilian Chardon invente un nouveau monde.
Le nom de cette grande bâtisse est déjà tout un programme : Lîlegal. Lilian Chardon, jure "les yeux dans les yeux, à la Cahuzac", qu'il a un permis de construire pour son éolienne de 12,70 m, comme l'exige la loi pour toutes les éoliennes de plus de 12 m.
Comprendre bien sûr que ce n'est pas le cas. Mais pas de problème puisque cette éolienne auto-construite, "c'est de l'art", poursuit-il avec un sourire. En cette chaude journée de juin, il nous fait faire le tour du propriétaire, entre deux coups de balai et deux tas de pierres déplacés.
Lîlegal doit accueillir le rassemblement annuel des artisans poêliers, spécialisés sur le poêle de masse. On se prend à envier les heureux visiteurs qui resteront trois jours dans ce lieu hors du temps.
Le reste de l'année, l'ancienne ferme, située à quelques kilomètres de Toulouse, est avant tout une galerie d'art, avec "Picole Nationale", la voiture plantée dans le champ près de l'éolienne, ou son bus scolaire jaune encastré dans la façade avant.
Mais Lilian, qui l'a achetée en 1999, espère en faire prochainement un makerspace : un lieu où les makers, bricoleurs du futur, pourront se retrouver pour innover ensemble. "Tous les outils numériques ne seront pas forcément ici, mais les gens pourront aller utiliser ceux du FabLab Artilect, à Toulouse", se projette-t-il.
En attendant, il travaille à isoler l'étage de l'ancienne grange pour y faire un dortoir, dès que son travail de directeur de bureau d'étude chez Somfy lui permet. Ses collègues le connaissent comme ingénieur, mais ignorent tout de sa vie d'artiste.
Entre savoirs anciens et nouvelles technologies
Lui navigue avec aisance entre les deux mondes. Si son éolienne alimente Lîlegal en électricité, pas question pour autant de se couper du réseau ERDF. "L'idée n'est pas de sortir du système, mais de le changer de l'intérieur", argumente-t-il.
La roue sans axe, métaphore de cette "révolution immatérielle", est son invention la plus emblématique. Elle est fabriquée en partie avec une imprimante 3D. Mais l'on découvre aussi une ancienne machine à coudre, bricolée pour que la pédale alimente un ordinateur en électricité.
Ce mélange entre mécanique traditionnelle, savoir faire ancien et nouvelles technologies imprègne Lîlegal. C'est le "cyber Moyen-Âge" tel que le définit Lilian sur son site.
L'écologie n'est jamais loin : ici, les toilettes sont sèches et l'isolation de la grange réalisée en partie avec des plumes récupérées. Les poêles de masse auto-construits, qui chauffent le bâtiment en accumulant et rediffusant lentement la chaleur, sont eux aussi traditionnels. Grâce à leur fort rendement, ils sont aussi économes en bois.
Les pieds dans la terre, la tête dans les étoiles
Souvent, le détournement se fait un brin provocateur. Dans "Bus-versif", le car de CRS, incrusté quant à lui dans le mur arrière de la ferme, Lilian projette d'installer une serre solaire.
Lorsqu'on lui demande de poser pour un portrait, Lilian préfère que l'on cadre sur ses pieds et son tatouage : le Petit Prince.
À la fin du week-end, il retournera à son travail, qui le fait bouger dans toute l'Europe, et lui permet de financer les travaux qu'il réalise à Lîlegal. Mais peut-être qu'un jour, il se retirera sur sa petite planète. En accueillant, toujours, les autres rêveurs.