Lisa Hör - Publié le 13 mars 2021
DÉCRYPTAGE - Ces deux ingénieurs informent sur la complexité du recyclage du plastique. Il ne suffit pas de le mettre dans la poubelle jaune pour être tranquille !
Lise Nicolas, ingénieure en électronique, et Enzo Muttini, ingénieur matériaux, ont déjà une longue histoire avec le plastique. Depuis qu'ils ont terminé leurs études en 2016, ils ont fait de la recherche et développement, voyagé à travers le Tibet avec une usine mobile de recyclage ou encore créé une base de données des matériaux recyclés.
Leur ambition désormais : "briser le mythe autour du recyclage du plastique qui déculpabilise tous les acteurs (pas uniquement le consommateur)". Non, il ne suffit pas de le jeter dans la poubelle jaune pour que ce déchet disparaisse.
Avec leur nouveau site, M. & Mme Recyclage, ils produisent des vidéos et des infographies pour informer le grand public. Pour nous, ils déconstruisent 4 idées reçues.
Idée reçue n°1 : Le plastique est recyclable, il n'y a pas de problème.
Près de la moitié des Français-es peuvent déposer tous leurs emballages en plastique dans la poubelle de tri. Dans leur commune, pots de yaourt et barquettes de jambon sont collectées. Mais cela ne veut pas dire qu'ils seront recyclés !
En théorie, ces plastiques sont recyclables. Mais en pratique ? "Ils ne sont pas recyclés partout, et quand ils le sont, c'est dans des usines de tests en très petites quantités", répond Lise Nicolas.
"Mélanger plein de plastiques différents, c'est comme essayer de faire un gâteau avec plein de bout de gâteaux au chocolat différents, ils ne cuisent pas à la même température et ne vont pas dans le même moule", illustre-t-elle. Il faudrait une chaîne de recyclage pour chaque type de plastique, ce qui n'est pas rentable.
D'autant moins rentable que le plastique recyclé obtenu ne trouve pas forcément preneur. "Le plastique neuf coûte souvent moins cher que le plastique recyclé, car il n'y a pas de malus à l'usage de plastique vierge", regrette Lise Nicolas.
En pratique, ce qui est bien recyclé ce sont les bouteilles d'eau, les bouteilles de lessive et de shampoing (du moins celles de couleur claire, qui ne vont pas griser le plastique recyclé), nous explique le duo. Pour tous les emballages alimentaires, souvent constitués eux-mêmes de plusieurs couches de plastique différents, c'est bien plus compliqué. Et ces emballages représentent 40 % de nos déchets.
Idée reçue n°2 : Ok, on est mal ! Il faut complètement arrêter le plastique.
À ce stade, on se dit qu'il faudrait bannir le plastique, tout simplement. Comme ce couple qui essaie de s'en passer depuis plus de 15 ans. Mais pour les deux experts, c'est "un peu plus compliqué que ça".
"Si demain, on remplace toutes les pièces des voitures par de la ferraille, elles vont peser beaucoup plus lourd, donc autant utiliser du plastique pour ne pas consommer trop de pétrole pour rouler", estime Enzo Muttini. "Et si on remplaçait tout le plastique jetable par du carton jetable, il y aurait d'autres problématiques, une grande consommation d'eau par exemple."
Le problème, ce n'est donc pas le plastique en soi, c'est le jetable. Une voiture contient du plastique, mais au moins est-elle faite pour durer (un minimum).
M. & Mme Recyclage ne sont pas non plus en croisade contre tous les plastiques à usage unique : "On ne peut pas dire aux chirurgiens de ne pas mettre de masque jetable. Notre combat est sur le plastique d'emballage, qui représente 40 % du plastique utilisé dans le monde."
Idée reçue n°3 : La solution, c'est le zéro déchet, mais c'est trop compliqué.
Faire ses courses dans des magasins en vrac, très bien. "Mais ça prend du temps. C'est cher. Et puis, je n'ai pas d'épicerie zéro déchet près de chez moi..." Voilà les freins qui viennent immédiatement à l'esprit.
"Le plus difficile, c'est le changement d'habitude", rassure Enzo. En réalité, les familles qui se sont lancées dans le zéro déchet et qui ont témoigné sur 18h39 sont unanimes : ça demande de l'organisation au début, mais au final, ils s'y retrouvent en terme de temps. Côté budget, certains produits sont plus chers, mais ils font des économies en achetant moins de produits transformés ou en faisant leurs produits ménagers eux-mêmes par exemple.
La vraie difficulté semble surtout de trouver les bons emballages en magasin : un paquet semblera en carton, mais il pourra contenir 50 % de plastique. Au moins, avec le vrac, on ne se pose plus de question.
Idée reçue n°4 : Mais c'est aux industriels d'agir !
Pourquoi est-ce que ce serait aux consommateurs de changer ? "L'un ne va pas sans l'autre, estime Lise. C'est super important pour nous de ne pas culpabiliser les consommateurs. Mais ils ont toutes les clés en main, tant qu'une part de marché ne leur échappe pas, les industriels n'ont aucun intérêt à changer. Si les consommateurs achètent différemment, les industriels et les distributeurs font du réemploi, de la consigne."
"Faire évoluer le cadre législatif prend beaucoup de temps, il faut une classe politique acquise à la cause", complète Enzo. La clé selon le duo : l'information. Pour ne plus croire au marketing selon lequel le plastique est de toute façon recyclé.