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IL FAUT CULTIVER NOTRE JARDIN - Depuis les années 1970, la permaculture s'est diffusée dans les cercles universitaires, puis dans les milieux alternatifs, avant de toucher le grand public. Tout le monde s'y met !

Pailler son potager, collecter l'eau de pluie, attirer les coccinelles pour protéger ses tomates des pucerons... Sans doute avez-vous commencé à appliquer la permaculture à travers ces gestes simples. Pourtant, vos grands-parents, vos parents peut-être, n'hésitaient pas à arracher les mauvaises herbes voire à les asperger de pesticides.

Alors, comment, en quelques années, la permaculture est-elle devenue une évidence pour beaucoup de jardiniers ? Et comment s'est-elle développée pour proposer des solutions durables dans tous les domaines de la vie en société ?

Pour le comprendre, nous avons discuté avec Grégory Derville, auteur de La permaculture, en route pour la transition écologique (édition Terre Vivante, 2018), qui propose des formations à l'éco-lieu des Escuroux, dans le Cantal.

L'éthique de la permaculture


La permaculture est une philosophie, un état d'esprit, qui peut s'appliquer dans tous les domaines, pas seulement au jardin.

Voici ses trois "règles" éthiques :
- être attentif à la nature
- être attentif à l'humain
- prendre notre juste besoin et redistribuer les surplus

18h39 : Bill Mollison et David Holmgren sont considérés comme les pères fondateurs de la permaculture, ce sont eux qui ont formé ce mot dans les années 1970 à partir des termes "agriculture" et "permanente". Qui étaient-ils ?

Grégory Derville : Bill Mollison était professeur de biologie à l'université de Tasmanie, en Australie. David Holmgren était un de ses élèves et réalisait une thèse sous sa direction, pour imaginer un modèle agricole qui soit réellement durable, avec des principes réplicables partout. Ils se sont très vite rendu compte que ces principes échafaudés pour des systèmes nourriciers pouvaient aussi s'appliquer dans bien d'autres domaines. C'est considéré comme le début de l'histoire de la permaculture, même s'ils se sont appuyés sur beaucoup de précurseurs de différentes nationalités, et qu'ils ont synthétisé des savoirs anciens.

Quelques principes de permaculture


Selon les auteurs, on compte entre 10 et 40 principes, qui servent de guides dans l'action. En voici quelques-uns :

- n'intervenir que quand c'est nécessaire,
- obtenir une production et privilégier les petits systèmes intensifs,
- privilégier les solutions lentes,
- favoriser la diversité,
- toujours tenir compte de son contexte...

18h39 : Pouvez-vous nous donner quelques exemples de ces savoirs anciens ?

G.D. : Ne pas consommer toutes les graines à la fin d'une récolte mais conserver les meilleurs pour améliorer la diversité génétique, recycler les déchets qu'on produit, utiliser des ressources locales...

Ce sont des principes d'une évidence absolue partout dans le monde, car partout on a vécu sous contrainte, avec une énergie rare que l'on ne doit pas gaspiller. C'est depuis l'ère du pétrole que l'on a pris l'habitude d'utiliser cette énergie de manière moins parcimonieuse car elle est peu chère. On a l'impression que l'énergie va nous permettre de réparer nos erreurs, comme quand on construit des maisons mal isolées mais qu'on se dit que ce n'est pas grave car on pourra chauffer.

18h39 : Comment la philosophie et les principes de la permaculture se sont-ils diffusés dans le monde ?

G.D. : D'abord dans les pays anglo-saxons, l'Australie, l'Angleterre, la côte californienne aux Etats-Unis... Beaucoup sous forme open source (gratuite et ouverte à tous, ndlr.),  les premiers formateurs étaient convaincus que c'était un savoir qui devait être mis à disposition librement, comme une boîte à outils dans laquelle tout le monde peut piocher.

En France, la permaculture a commencé à monter en puissance à la fin des années 2000, avec la ferme du Bec Hellouin, qui a fait son possible pour la diffuser (cette exploitation agricole expérimentale en Normandie apparaît dans le fameux documentaire Demain, de Cyril Dion et Mélanie Laurent, ndlr.).

18h39 : Qu'est-ce qui fait le succès de la permaculture d'après vous ? 

G.D. : Pour moi, ce qui est vraiment important, et c'est aussi ce que j'observe chez d'autres personnes, c'est que la permaculture offre des solutions et même au-delà, des opportunités pour reprendre du contrôle ou du pouvoir d'action sur sa vie. Il y a beaucoup de personnes déprimées par l'évolution du monde d'un point de vue écologique, c'est facile de ressentir un très grand sentiment d'impuissance. On a l'impression que, quoi que l'on fasse, ce sera une goutte d'eau dans l'océan. Ce genre de constat est très démoralisant.

Face à ça, les principes de la permaculture, et la façon dont ils se mettent en place dans des jardins très beaux, ça donne de l'espoir, ça redonne la pêche. On voit que c'est possible de conquérir d'avantage d'autonomie, en utilisant moins d'énergie et en observant la nature.

Pour moi, il ne faut pas non plus aller trop loin dans le côté "tout est possible, on va restaurer le monde grâce à la permaculture". Ok, mais seulement si on l'applique de manière très, très ambitieuse. 

18h39 : Justement, à quel point la permaculture peut-elle nous aider à faire face à la crise écologique ?

La question n'est même pas "est-ce que c'est possible ?" ou "est-ce que ça suffit ?". Les principes de la permaculture sont indispensables, bien au-delà du jardin. C'est une condition sine qua non pour que l'humanité puisse vivre.

Ces principes de bons sens, de gestion, de surfer sur les forces de la nature sans les brusquer ou les épuiser... si on ne fait pas ça, c'est foutu. Mais ce ne sera efficace que si c'est appliqué dans tous les domaines de la vie individuelle et sociale.

Par exemple, l'aménagement du territoire : découper une agglomération selon les principes de zonage de la permaculture, plutôt que de faire d'un côté des zones résidentielles et de l'autre des zones commerciales qui obligent à beaucoup de déplacement.