Adèle Ponticelli - Publié le 18 janvier 2017
TRI - Souvenirs, cadeaux, reliques, les objets qui nous entourent font partie de nous. Tant et si bien qu'il est parfois très difficile de s'en séparer.
Il y a cette carte postale qu'on m'a envoyée il y a cinq ans et qui est accrochée depuis sur la porte d'entrée, elle n'est même pas vraiment jolie, et même assez banale avec sa vue d'un petit village breton ensoleillé.
Je pourrais la jeter (en plus, elle serait recyclée). Si ce n'était cette petite voix dans ma tête qui me répète que c'est quand même une belle attention de la part de l'expéditeur que d'avoir pris le temps de m'écrire pendant ses vacances. Alors la carte reste...
Peut-être êtes-vous comme moi. Sachez du moins que nous sommes nombreux dans ce cas. À avoir du mal à trier et à garder des dizaines d'objets (voire plus), sans savoir vraiment pourquoi. Et parfois bien moins anecdotiques que des cartes postales.
“Se séparer des objets, c'est se séparer d'une partie de soi”
“Les objets qui nous entourent font partie de notre vie, ils représentent une partie de nous, entrent en résonance avec notre histoire, nos désirs”, explique Christine Ulivucci, psychanalyste transgénérationnelle, autrice de Psychogénéalogie des lieux de vie (Payot, 2008).
Estelle, 28 ans, garde ainsi tout un tas d'objets qui sont autant de réceptacles à souvenirs. “Ce sont parfois des objets absurdes”, prévient-elle. “Par exemple, j'ai une feuille de platane qu'un ami m'avait donné en cadeau dans la cour du lycée, et qui est toujours dans ma chambre d'ado”.
À cela s'ajoute des roses offertes, mais elle ne sait plus qui a offert quelle fleur, des enveloppes de faire-part, des cartes postales évidemment et sûrement d'autres objets encore.
“J'ai l'impression qu'un jour ces papiers me rappelleront des choses disparues, passées, et je me dis qu'ils sont précieux, j'aime bien les savoir là. Mais s'il faut être honnête, je n'y retourne pas. Sauf quand j'essaie de ranger mon énorme tiroir plein de ces petits papiers et que je tombe dessus, alors ça me fait sourire.”
C'est ce caractère précieux qui rend la séparation difficile. “Ils représentent une période de vie, une personne spécifique qui a donné l'objet, analyse Christine Ulivucci. S'en séparer, c'est se séparer d'une partie de soi.”
Quel accumulateur êtes-vous ?
D'autres liens nous attachent aux objets, moins lourds symboliquement. Valérie Guillard, maître de conférences en marketing à Paris Dauphine et co-autrice de Boulimie d'objets (de boeck, 2014), a consacré sa thèse aux accumulateurs. Elle décrit quatre natures de liens différents :
- le lien affectif qui questionne la mémoire et l'identité. Par exemple, un petit caillou, qui fait penser à quelqu'un, une rencontre,
- le lien économique : on ne se débarrasse pas d'un objet qui a coûté cher, alors qu'il ne vaut plus rien maintenant (nous ne sommes pas ici dans la spéculation),
- le lien social : on garde dans le but de donner l'objet à quelqu'un. On se dit par exemple : “quand mes enfants partiront, ils le prendront”, sauf qu'en général, les enfants n'en veulent pas.
- le lien instrumental, avec sa formule : “ça peut toujours servir”. Cela concerne les gens qui croient qu'un jour, ils en auront l'utilité, alors que c'est très rare.
Évidemment, ces liens peuvent se croiser. Estelle, qui nourrit de nombreux liens affectifs avec ses objets-souvenirs, en conserve aussi d'autres sous prétexte qu'ils serviront un jour.
“Contrairement à une idée répandue selon laquelle plus on vieillit plus on accumule, les jeunes accumulent beaucoup”, indique Valérie Guillard, “ils sont déjà dans la nostalgie, et peuvent se dire “ça peut toujours servir””. A contrario, explique-t-elle, les personnes plus âgées vont donner de leur vivant des objets auxquels elles tiennent.
Prisonnier de la famille et des amis
Et puis il y a les objets qu'on n'a pas choisis. Ceux qui s'imposent à nous par l'héritage ou le don. Maïlys Dorn, architecte d'intérieure spécialisée sur l'optimisation de l'espace, rappelle l'histoire d'une femme qu'avait conseillé 18h39 et dont l'appartement était complètement envahi par les objets.
“Elle gardait des meubles de famille pour faire plaisir à ses parents alors qu'elle détestait ces meubles”, raconte Maïlys Dorn. Il a fallu une intervention d'une tierce personne pour lui permettre de formuler son point de vue : “je déteste ces meubles”.
La chose est encore plus difficile quand ce sont des meubles et vêtements hérités de parents défunts. “J'avais l'impression de mettre mon père à la poubelle”, se souvient Clémence, 29 ans, qui a dû s'occuper seule des affaires de ses parents décédés.
“Ces objets sont des reliques liées à un drame, explique Christine Ulivucci. ls sont étouffants et plongent dans l'inertie.” Il a fallu deux ans à Clémence pour sortir de cette sacralisation et “reprendre la main sur un espace qui (lui) appartient maintenant”.
“Je me sens complètement libérée, sourit Clémence, je n'ai gardé que ce que je voulais et je ne me sens plus enchaînée à quoi que ce soit. Je ne garde plus que les plus jolies cartes postales, dans une boîte.” Ah, le pouvoir des cartes postales...