Lisa Hör - Publié le 17 avril 2018
DIGITAL DETOX - Depuis un an, notre journaliste essaye de ne plus surfer sur son portable chez elle. D'échecs en échecs, elle vous livre ses conseils pour y arriver.
Vous auriez dû lire cet article il y a 8 mois, sous le titre “J'ai testé pour vous la déconnexion à la maison et voici ce que j'ai appris”. Mais s'il était facile de se déconnecter, cela se saurait.
J'ai tout tenté pour pouvoir écrire : “Ça y est, je ne suis plus accro à mon téléphone. Quand je rentre chez moi, je l'éteins tout de suite. Je ne m'endors plus avec, et le contempler n'est plus mon premier geste le matin.”
Ce jour n'est jamais venu.
Le problème ? Ce ne sont pas les réseaux sociaux, ni Facebook, si décrié ces temps-ci, ni Instagram, jamais installé pour ne pas succomber à la tentation, ni Twitter. Mais les heures passées sur Youtube (des heures et des heures, et des heures...). Sketchs, vlogs, clips, tout est bon, pourvu qu'il y ait l'ivresse.
Tomber d'épuisement à 3h30 du matin, après avoir cliqué à l'infini sur les vidéos des chanteurs qui s'affrontent à The Voice Australie ? Une routine, plusieurs fois par semaine.
Depuis un an, malgré de multiples tentatives, je n'arrive pas à me défaire de mon téléphone “intelligent”.
Mais comme aime à le dire le rappeur Demi Portion, “Qui ne se plante jamais n'a aucune chance de pousser.” Alors tirons ensemble les leçons de ces échecs !
Serions-nous tous accros à notre portable ?
Première tentative : bannir le téléphone de la chambre. Il doit attendre sagement dans le couloir jusqu'au matin. Difficile de s'endormir sans dérivatif pour empêcher son cerveau de tourner en boucle.
En rentrant tard le soir d'une soirée entre amis, ça marche une première fois. Un livre sert de substitut le deuxième soir. Mais déjà le téléphone se rapproche : il se recharge, branché à la prise près du bureau. Le troisième soir, il reprend sa place habituelle, au plus près du lit. La litanie des Youtubeurs fait office de berceuse. Pas de doute, l'addiction est bien là.
Elle touche plus de monde que l'on ne pense. 41% de Français-es consultent leur téléphone mobile au milieu de la nuit, révèle une enquête Deloitte réalisée en 2016.
La journaliste scientifique américaine Catherine Price a écrit un manuel pour les gens comme nous, How to break up with your phone, Lâche ton téléphone ! en français (Le Livre de Poche, 2018).
Comment s'est-t- elle rendu compte qu'elle-même était accro ? “Je tenais mon bébé de 6 mois dans les bras, elle me regardait et moi je regardais mon téléphone. J'étais sur eBay en train de chercher des poignées de porte antiques”, me raconte-t- elle par Skype.
Ce jour-là, Catherine Price a eu le sentiment d'imposer à son bébé l'expérience du visage impassible, dont la vidéo ci-dessous est un bel exemple. À force de voir sa mère inexpressive, le bébé en vient à paniquer. Or, plongé dans les profondeurs du net sur son on est rarement très expressif, sans se rendre compte de ce que l'on renvoie aux autres.
Je me suis souvent surprise à ignorer les personnes importantes, présentes dans la même pièce, pour leur préférer mon téléphone. Exemples de scènes vécues, façon pièce de théâtre :
Un couple, intérieur jour :
Lui prépare ses bagages pour partir un mois en voyage. Elle, avachie sur le fauteuil, lève à peine un sourcil, accaparée par les pages internet qui défilent sous ses doigts.
Un couple, intérieur nuit :
Le couple est attablé dans le salon. Les chandelles ont été remplacées par la lumière bleue des téléphones posés sur la table.
“Les 18-24 ans consultent leur smartphone en moyenne 50 fois par jour”, continue l'étude citée précédemment. À 29 ans, j'atteins les 60 déverouillages allègrement, comme me l'a prouvé une application qui mesure le temps passé sur le téléphone (Moment, sur Iphone, et Offtime sur Android). Et vous ?
Continuer à utiliser son téléphone, mais à bon escient
Deuxième tentative : troquer le smartphone pour un vieux Nokia 3310, qui ne va pas sur internet. J'ai longtemps caressé cette idée, sans jamais passer à l'acte. Nouvel échec.
Troisième tentative : prendre conseil auprès d'un addict qui s'est désintoxiqué… mais est resté connecté. Si je ne suis pas capable de tout couper, je peux sûrement mieux doser.
Guy Birenbaum, ce journaliste qui a secoué l'internet et le monde des médias français en osant parler de sa dépression et son overdose des réseaux sociaux en 2015, est revenu sur Twitter. Lorsque je l'ai rencontré au café, son téléphone était sur la table.
Alors qu'est-ce qui a changé pour lui, après l'écriture de son Petit manuel pour dresser son smartphone (éditions Mazarine, 2017) ? “Maintenant, je décide quand je me pourris la vie”, lâche-t- il.
Après son burn-out, (dont l'addiction aux réseaux sociaux était “un symptôme”, et non la cause, précise-t- il), il a coupé toutes les notifications. Son téléphone ne vibre plus à chaque mention de son nom sur Twitter (avec 182 000 followers, ça arrive souvent) mais seulement pour les appels et les SMS.
“De temps en temps, je fais un tour complet de mes applications. Je viens de découvrir un message What's app qui date d'il y a un mois”, détaille-t- il. Il utilise encore son téléphone chez lui, mais l'éteint à 20h30.
Encore impossible pour moi : et si l'on cherchait à me joindre la nuit ?
Mettre son smartphone en noir et blanc
Quatrième tentative : réduire l'envie d'aller sur le portable à la maison. Tristan Harris, un ancien de chez Google, a partagé une astuce dans une émission de CBS en 2017 : basculer son téléphone en mode ultra-économie d'énergie, pour que l'écran s'affiche en noir et blanc.
Testé et approuvé. En nuances de gris, un smartphone est bien moins séduisant et les vidéos Youtube perdent (un peu) de leur saveur. Bien sûr, au bout de quelques heures, il reste toujours trop facile de revenir à un mode normal et à un écran ultra-coloré.
Conclusion : astuce nécessaire mais non-suffisante...
Se poser deux questions avant d'utiliser son téléphone
Cinquième tentative : Appliquer la méthode de Catherine Price qui consiste à se demander à chaque fois qu'on saisit son téléphone “pourquoi est-ce que je veux l'utiliser maintenant ?” et “est-ce que je ne préfèrerais pas faire autre chose ?”.
Exemple : Est-ce que j'ai vraiment envie de cliquer sur cette énième recette à base de pois chiches ? Ou est-ce que je ne ferai pas mieux d'aller en cuisiner une pour de vrai ? 3 fois sur 10, cela me dissuade de scroller sans fin par réflexe ou ennui.
Contactée par Skype pour une séance de coaching personnalisée, Catherine Price souffle un mantra à méditer : “L'idée n'est pas de consacrer moins de temps à son téléphone, mais plus de temps à sa vie. Ce n'est pas une punition, mais un cadeau que l'on se fait à soi-même.” Beaucoup mieux que de se flageller en pensant à toutes ces heures perdues sur internet !
Solution absurde pour prendre conscience de son addiction et y couper court
Sixième tentative : remplacer toutes les habitudes sur le téléphone, par de nouvelles, choisies.
Dans son manuel, Guy Birenbaum recommande, entre autres, d'adopter un chien et de faire de longues promenades avec lui. S'il s'agit d'un Saint-Bernard, vous pouvez lui accrocher un petit tonneau de vodka et boire un shot dès que l'envie vous prend de faire un selfie ! Un conseil absurde pour nous faire prendre conscience que notre frénésie de photos prises à bout de bras n'est pas non plus très rationnelle.
Je n'aime pas la vodka, mais valide les promenades avec un chien. Surtout que celui qui m'accompagne à travers la campagne de mes parents déteste les photos et tourne systématiquement le dos à l'objectif.
Remplacer le smartphone par la radio à la maison
Septième tentative : troquer les vidéos pour des podcasts, le smartphone pour la radio. Je me suis fait offrir une radio numérique : l'allumer au réveil doit devenir un nouveau réflexe. Pendant deux semaines, elle m'a suivie partout chez moi, en lieu et place de mon téléphone, jusqu'à ce qu'elle n'ait plus de piles.
Le soir, plutôt que de regarder des vidéos sur Youtube pour m'endormir, je mets un podcast ou un livre audio (Harry Potter marche très bien). Au moins je ne me fatigue que les oreilles.
Donc oui, je progresse. Comme le dit Catherine Price, mon téléphone et moi avons convenu de stopper notre relation romantique obsessive et de redevenir de simples amis. Je suis même parvenue à m'en passer une journée entière (je l'avais oublié chez moi en me rendant au travail, un acte manqué révélateur).
Et si la prochaine étape était d'oublier mon smartphone au travail ?