Lisa Hör - Publié le 1 mai 2020
NOMADE - Cet ancien photojournaliste a vendu sa maison quelques jours avant que le confinement ne tombe. Forcé de stationner, pour tenir, il tient un journal de bord en images.
Après 10 ans passés face à la mer, à respirer les embruns du bout du bout de la Bretagne, Pascal Nieto a besoin de prendre le large. “J'ai mal aux genoux. Je veux devenir nomade. Je veux naviguer sur la route. Je veux errer sur l'océan du bitume”, écrit-il dans son journal.
Il a vendu sa maison et acheté un van. Cette fois, il est prêt.
Le 16 mars 2020, le confinement est annoncé. Une amie lui prête un appartement, mais Pascal ne tient pas plus de deux heures entre ces quatre murs, comme il nous le raconte dans cette vidéo :
Nomade forcé de stationner
Ancien photojournaliste de presse indépendant, Pascal a “toujours vécu en marge” et claqué la porte lorsqu'une situation ne lui convenait plus. Mais cette fois, impossible de se rebeller. D'ailleurs, observe-t-il, personne ou presque ne critique la radicalité des mesures prises, même sur les réseaux sociaux : “C'est une guerre, mais il n'y a pas de place pour le résistant.”
Puisqu'il ne veut pas devenir un clandestin, Pascal décide de se garer sur une aire de camping-car gratuite. Ce sera dans le village de Saint-Priest-Taurion en Haute-Vienne, qui se montre accueillant. Le cadre est parfait, il peut écouter couler la Vienne, en compagnie de Gaston, fidèle compagnon et “vagabond perpétuel”.
Mais son van à l'arrêt, son moral s'use, même s'il se répète qu'il le fait pour désengorger les hôpitaux.
Derrière son volant, il commençait à peine à retrouver l'envie, perdue depuis longtemps, de prendre des photos. Pour garder le cap, il commence un journal de bord, à la façon de Raymond Depardon, qui, durant l'été 1981, prenait chaque jour une photo de New York et dont Pascal guettait la publication chaque jour dans Libération.
A son tour de se frotter à “l'effroyable liberté” de ne pas avoir de sujet imposé. Il s'accroche comme à une bouée à son projet de “Correspondace(s) houliéroise”, qu'il partage au quotidien sur Instagram, en attendant, peut-être, de le publier.
La route pour thérapie
Il y a 10 ans, Pascal Nieto avait fuit la capitale pour s'exiler au Cap Sizun, dans la maison avec vue sur la mer dont il avait rêvé enfant. Mais, même dans ce site fabuleux, son mal de vivre avait fini par le rejoindre. Prendre la route devait être sa thérapie.
“On ne vend pas tous les jours sa maison. La soixantaine ne va pas tarder, vendre son toit est une décision délicate. Mais il y a de ces décisions où nous n'avons pas le choix. Cela s'impose à toi, et tu dois faire avec”, écrit-il dans son journal.
D'abord un peu suspect devant cette idée en germe, il avait guetté les motivations des autres nomades sur les réseaux sociaux : “Chez les gens qui ont un peu vécu, c'est pour se vider la tête, et puis il y a les accidents de parcours, une séparation, une perte d'emploi. Mais aussi les gens qui veulent partir à leur propre rencontre.” Lui a besoin d'être en mouvement pour laisser derrière lui cette sensation d'être “un cadavre imparfait, encore tiède”.
“Il se passe quelque chose dans la tête quand vous faites 6 à 8 heures de conduite dans un véhicule qui n'est pas très rapide, raconte-t-il pour l'avoir expérimenté quelques jours. Vous avez le temps d'apprécier les paysages, vous vous arrêtez quand vous voulez.”
Le fourgon de ses rêves
Il avait prévu de consacrer un tiers de l'argent de la vente de sa maison pour acquérir le fourgon de ses rêves, avec les équipements nécessaires pour être autonome et un aménagement intérieur confortable. Mais aujourd'hui il hésite à garder son van “de transition”, qui fait le job, avec ses 4 roues motrices.
Pour s'y installer, il s'est séparé de la quasi-totalité de ses affaires. Rien de matériel ne lui manque. Seule la séparation d'avec ses livres a été difficile. Érigés en piles, ils emplissaient sa maison. Pascal n'a pas eu le courage de choisir, il les a tous vendus, n'en sauvant que les plus précieux, dont la Correspondance new-yorkaise de Depardon.
Est-il devenu sans attaches ? Pas tout à fait : il a prévu de racheter un petit chalet en bois. Par sécurité et pour pouvoir le mettre en location et s'assurer un petit revenu si besoin. Il l'a choisi en Corrèze, presque au centre de la France, à la croisée des routes. “C'est un pays de lacs, de forêt, un terre de résistance, j'ai besoin de tous ces ingrédients”, explique-t-il. Pour le moment, la vente est bloquée, comme lui, en attendant la fin du confinement.
Mais son projet reste brûlant. Il avait prévu d'errer dans le désert des Bardenas Reales en Espagne, mais se verrait bien aussi longer la mer Baltique. Fuyant les villes, mais disponible à la rencontre. A moins qu'il ne parte moins loin. L'aventure est la même à 5000 ou 50 kilomètres de chez soi, pourvu que le trajet ne soit pas tracé à l'avance. Et que la route défile.