Emmanuel Chirache - Publié le 7 avril 2020
ETAT D'URGENCE- En pleine crise sanitaire du coronavirus, les makers contribuent à l'effort collectif pour aider le personnel soignant ou les particuliers.
Le chiffre est impressionnant : durant le confinement, 7% des Français-es ont fabriqué des masques maison, d'après une étude YouGov relayée par l'ADN. Tout un symbole, dans un contexte où les pénuries se succèdent, les citoyen-nes se mobilisent et mettent leur savoir-faire au service du pays. Leurs armes ? Machines à coudre et imprimantes 3D. Leurs réseaux ? Des groupes Facebook ou Whatsapp, des documents Google partagés, des hashtags sur Twitter.
Tout a commencé en Italie, où Cristian Fracassi, patron d'une petite entreprise nommée Isinnova, a utilisé ses imprimantes 3D pour fournir l'hôpital de Brescia en valves de respirateurs. Une initiative qui a permis de sauver les 250 patients en réanimation de l'établissement. En France aussi, face aux pénuries diverses de matériel, les makers ont voulu apporter leur pierre à l'édifice. "C'est le côté solidarité qui nous a touchés, nous raconte ainsi Alexandra, costumière qui fabrique des masques en tissu durant le confinement. C'est une façon de se sentir un peu utile pour les autres".
Des masques faits maison avec du tissu de récup'
Avec son compagnon Raphaël, Alexandra s'est donc retroussé les manches et a sorti sa machine à coudre. Pour confectionner ses masques, elle n'a rien acheté, tout le tissu provient de chutes ou d'anciens vêtements. "On a récupéré un tissu qu'on mettait sur la cheminée, nous confie-t-elle, un drap qu'on a sacrifié, des couvertures, des vieux t-shirts, des lacets..." Le patron qu'elle utilise provient du CHU de Grenoble, mais il en existe des centaines d'autres qu'on trouve un peu partout sur le net. Vous pouvez même aller voir du côté de ce concours de design de masques qui en répertorie 65 en open source.
Les masques fabriqués par Alexandra et Raphaël sont tous en coton triple épaisseur, car c'est une matière qui assure une plutôt bonne protection, mais surtout la meilleure respirabilité d'après les études. Il existe un modèle à deux épaisseurs, avec une troisième couche qui peut être une lingette dépoussiérante ou un mouchoir. L'avantage de ce masque, c'est qu'il est lavable en machine et donc réutilisable.
Alors à qui sont destinés ces masques ? A ceux qui veulent ! "On fabrique actuellement 40 masques en deux jours pour les salariés d'un magasin bio pas loin de chez nous, précise Alexandra. C'est beaucoup de boulot mais après on aura épuisé notre stock de tissu." Eux-même utilisent ces masques lorsqu'ils sortent pour faire les courses. "C'est bien parce que ça force un peu au mutisme, note Raphaël, ça joue sur le côté distanciation !"
Les imprimantes 3D à la rescousse du personnel soignant
D'autres makers se sont par ailleurs mobilisés pour utiliser les imprimantes 3D durant cette crise. La YouTubeuse Heliox, par exemple, a commencé par fabriquer des visières pour le personnel soignant avec ses six imprimantes. Elle a trouvé son modèle sur un site en Suède après avoir réalisé de multiples tests et comparé plusieurs design. "J'ai préféré celui-ci car il ne nécessite pas d'élastique, nous raconte Heliox, il tient tout seul et ça m'économise de la matière !"
La visière en elle-même est constituée d'une feuille transparente en PVC achetée en ligne ou en papeterie. A elle seule, en bossant jour et nuit, Heliox a donc réalisé et distribué 300 visières cette semaine pour des professionnels de la santé, médecins libéraux, chirurgiens-dentistes, infirmiers et infirmières... Complétées par un masque, les visières réalisées avec imprimante 3D se généralisent dans de nombreux hôpitaux, comme ici à Pompidou où le personnel soignant pose avec du matériel fabriqué par le consortium 3D4Care.
Avec 206 000 abonnés sur YouTube, Heliox a surtout eu la bonne idée de mobiliser sa communauté de makers et de fonder une plateforme participative. Intitulée Covid3D, elle met en relation les professionnels au contact avec du public et les bénévoles qui peuvent utiliser une imprimante pour répondre à la demande. "On est à environ 2500 visières distribuées dans toute la France, détaille la jeune femme, et 4500 makers sont inscrits pour répondre aux besoins des gens."
A terme, ce ne sont pas seulement des visières qui seront fabriquées, mais aussi des valves pour respirateurs ou même des ventilateurs entiers. Il existe en effet de nombreuses petites pièces nécessaires à la création ou l'amélioration de respirateurs qui peuvent être fabriquées en 3D. Dans les hôpitaux universitaires Henri-Mondor, on prend ainsi exemple sur l'Italie et on customise des masques de plongée Decathlon. Aux Etats-Unis, un maker a inventé une extension en 3D qui permet de raccorder plusieurs patients au même ventilateur.
Impossible ici de recenser tous les projets tant ils sont nombreux, mais voici quelques liens utiles. Tout d'abord, d'autres tutos de masques DIY sont disponibles sur la plateforme Thingiverse, mais ils sont souvent complexes et peuvent nécessiter une imprimante 3D. Un modèle beaucoup plus simple, réalisable à partir d'un simple t-shirt et d'une feuille d'essuie-tout, est disponible sur le site Masks4All, qui explique également comment bien le laver avec du savon (c'est en anglais).
Evoquons aussi le projet Fais une blouse, qui fait le lien entre le personnel soignant en hôpital ou maison de retraite, et tous ceux capables de fabriquer des blouses - et ils sont nombreux ! Car le site précise bien : " Tout ce qu'il vous faut c'est du fil à coudre, des ciseaux, un grand tissu de type drap, nappe ou housse de couette en coton, épais, lavable à 60°, de la patience et de la bonne volonté."
Plus technique et cofondée par le Français Thomas Landrain, l'initiative Open Covid-19 fonctionne comme un Wikipedia de la lutte contre le coronavirus. Ici, près de 2500 chercheur-ses dans le monde entier collaborent et misent sur l'intelligence collective. Le but ? Développer des solutions open source pour fournir des masques, des respirateurs DIY, mais surtout des tests ou des outils pour dépister rapidement le virus. En espérant qu'un jour chacun pourra faire facilement un diagnostic chez lui, une grande étape dans le combat contre l'épidémie.