Lisa Hör - Publié le 19 mai 2016
DÉCRYPTAGE - Camille Bosqué, la première à avoir écrit une thèse sur les FabLabs en France, répond à toutes les questions sur ces laboratoires de fabrication.
Au pays de la débrouille et du système D, les FabLabs se multiplient comme des petits pains. "La France, aujourd'hui rattrapée par l'Italie, a longtemps été le deuxième pays en nombre de FabLabs, derrières les Etats-Unis", explique Camille Bosqué.
Docteure en esthétique et design, elle vient de soutenir la première thèse française sur ces "laboratoires de fabrication" en pleine expansion.
Camille Bosqué était au FabLab Festival, organisé du 5 au 8 mai 2016 à Toulouse par Artilect, le plus ancien FabLab français. Elle y a présenté la web-série "Fais-le toi-même", qu'elle a co-écrite avec Adrien Pavillard sur ces hauts lieux de la bidouille, et qui sera diffusée à compter du 25 mai sur Arte Creative.
L'occasion de lui poser toutes les questions sur ces ateliers du futur, pour enfin oser en pousser les portes, même si l'on n'est pas ingénieur.
Quelles sont les conditions pour qu'un lieu se revendique comme un FabLab ?
Un FabLab est un atelier de fabrication équipé d'un certain nombre de machines à commandes numériques (imprimante 3D, découpeuse laser, fraiseuse numérique...) ouvert à tous et pour tout faire.
Il ne doit pas forcément être ouvert au public tout le temps, ni obligatoirement gratuitement. Mais il y a cette idée de démocratisation de l'accès aux connaissances et aux machines.
Il y a plusieurs modèles possibles : certains FabLabs sont des associations à petite échelle, d'autres sont adossés à une entreprise, une université ou un musée. Mais tous ont la volonté d'appartenir à un réseau international et respectent une charte de valeurs communes. Notamment documenter et partager sur internet ce que l'on réalise.
D'où vient cette initiative ?
Le "papa" des FabLabs est Neil Gershenfeld, professeur au Massachussetts Insitute of Technology, à Boston aux Etats-unis. À la fin des années 90, dans son cours "Comment construire (presque) tout", ses étudiants pouvaient mettre les machines très sophistiquées du MIT au service de leurs projets individuels.
Le basculement s'est fait autour de cette question : qu'est-ce qui se passerait si on donnait accès à ces technologies à tout le monde sur la planète ? Des FabLabs ont été installés en Norvège, au Ghana... par les étudiants du MIT, d'autres se sont auto-déclarés.
Aujourd'hui, on en compte plus de 600 dans le monde, un nombre qui augmente chaque année de manière exponentielle.
Qu'est-ce qui fait le succès des FabLabs ?
Quelqu'un qui veut fabriquer une table ne va pas seulement dans un FabLab parce que ça va être mieux fait et plus vite. C'est aussi pour apprendre de nouvelles compétences et pour le plaisir de la rencontre.
Une chose qui m'a déstabilisée quand j'ai commencé à fréquenter ces espaces, c'est que les machines ne tournent pas en permanence. C'est aussi beaucoup de temps de parole, passé à boire du thé ensemble ou à faire des crêpes. Ce n'est pas de la haute innovation mais c'est essentiel.
On dit souvent que les FabLabs sont des tiers-lieux. Ce n'est pas un endroit où on travaille, ce n'est pas la maison. C'est là où on va imaginer une nouvelle manière d'être ensemble.
Il y a beaucoup de bienveillance, on ne juge pas les gens sur leurs diplômes. La première question n'est pas "d'où tu viens ?" mais plutôt "qu'est-ce que tu veux faire ?".
Dans la pratique, est-ce que les membres des FabLabs ne sont pas surtout des designers et des ingénieurs ?
C'est vrai qu'il y a une part d'entre soi dans certains lieux, fréquentés plutôt par des hommes blancs entre 30 et 45 ans.
Mais certains réussissent à créer une vraie mixité, comme le Faclab, à Gennevilliers dans les Hauts-de-Seine, qui mélange des retraités, des enfants, des étudiants, des salariés, des gens à la recherche d'emploi... Ça prouve que c'est possible.
Le manque de diversité se voit plus sur le genre, il y a quand même plus d'hommes que de femmes.
Comment faire évoluer les choses ?
Emmanuelle Roux a utilisé des machines à broder numériques dans son FabLab de Vendée, zBis, en se disant qu'en jouant la carte un peu cliché de la couture, cela ferait venir des femmes. En réalité, toute l'équipe d'hommes autour d'elle s'est mise à la broderie ! Ça n'a pas vraiment réglé le problème.
Lors du FabLab Fest à Toulouse, nous nous faisions la réflexion avec Marie-Christine Bureau, sociologue au Cnam, que la question doit se poser autrement : beaucoup de femmes viennent du design et de l'art. Se rapprocher de ces milieux permet de favoriser le mélange entre les genres.
Pour aller plus loin : lire FabLabs, Etc de Camille Bosqué (Eyrolles, 2014).