Lisa Hör - Publié le 14 décembre 2019
ENTRETIEN - Hélène Boutin a partagé le quotidien de plusieurs personnes qui ont choisi des logements alternatifs, plus proches de la nature. Voici ce qu'elle retient de leur quête d'un bonheur différent.
Pour trouver le bonheur, ils et elles ont choisi de vivre plus simplement. Maïwenn vit avec sa fille de 8 ans dans une yourte, au milieu d'une clairière. Gaëtan, jongleur, a aménagé un camion pour exercer son métier en itinérant. Léry, herboriste, construit sa cabane en torchis sur son terrain.
Hélène Boutin, alors étudiante en architecture, a séjourné chez eux, et chez d'autres personnes en transition, pour comprendre ce que leur apporte ce mode de vie décroissant. Le résultat de ces échanges tient dans un livre, Somos Um, (Nous sommes un, en portugais) téléchargeable sur son site.
Ces rencontres l'ont tellement marquée qu'elle a décidé de changer de voie et devenir professeure de yoga. Alors, nous avons eu envie de savoir comment on pouvait s'inspirer de ces expériences alternatives, chez nous !
18h39 : Qu'est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à ces habitats alternatifs ? Vous sentiez-vous en décalage avec ce que vous appreniez durant vos études d'architecture ?
Hélène Boutin : Non, la façon dont l'architecture est enseignée à Nantes est très axée sur l'écologie et le social, avec par exemple les colocations intergénérationnelles et les éco-hameaux.
Mais c'était un cheminement personnel aussi. J'ai entamé mes études à 19 ans, et en 4e année j'ai eu l'occasion d'aller faire un échange scolaire au Brésil. Ça a tout changé. J'étais le genre de personnes à me mettre beaucoup la pression pour que tout soit parfait et j'ai découvert ce que c'était que de vivre avec pas grand chose, que c'était plus simple.
Parallèlement, le laboratoire de recherche de l'école d'architecture de Nantes a décidé de travailler sur l'aspect plus théorique et spirituel de l'architecture : pourquoi on a besoin de revenir à la terre et de s'entourer de matériaux naturels. Ils m'ont donné carte blanche pour mon projet de master.
En travaillant sur l'habitat alternatif, vous avez visité des maisons très différentes. Qu'ont-elles en commun ?
Ces trois personnes vivent dans des habitats en matériaux naturels (tissu et laine de mouton pour la yourte, bois pour l'intérieur du camion, terre crue pour la cabane) et de surface réduite. Le plus grand est la yourte de 60 m². En vivant plus simplement, comme on réduit l'acte de consommer, on a tendance à avoir un habitat un peu moins cher, un peu plus léger, un peu autoconstruit aussi.
Pour deux des habitations, la yourte et la cabane, on a des formes rondes. Et enfin, ils n'habitent pas en pleine ville mais dans la nature. Même Gaëtan qui est mobile avec son camion passe le plus clair de son temps à l'entrée des forêts ou au bord des lacs. C'est une source infinie de bonheur.
C'est une démarche radicale, est-ce que les personnes que vous avez rencontrées sont très isolées ?
Tous les trois ont beaucoup voyagé, beaucoup lu et se sont rendus compte que cette vie basée sur le fait de gagner de l'argent pour acheter des trucs ne leur convenait pas. Ils ont donc décidé de se mettre en marge de la société de consommation et de recréer autour d'eux une communauté de proximité. S'ils sont peu sur Internet, ils sont très connectés à leurs voisins, avec qui ils échangent des services. Par exemple Maïwenn n'a pas de machine à laver et utilise celle de son voisin fermier.
Est-ce qu'il faut absolument quitter son lieu de vie actuel pour vivre plus simplement ?
Je ne sais pas si vous avez entendu parler du livre Famille zéro déchet ? Ils ont mis en place plein de techniques pour fabriquer eux-mêmes les choses et moins consommer. Quand on habite dans un pavillon, on ne peut pas tout changer, mais il y a des solutions pour consommer moins d'électricité, faire pousser ses légumes... Ce ne sont pas de grandes révolutions, mais petit à petit ça va nous mener à plus d'autonomie.
Donc vous n'appelez pas tout le monde à partir vivre à la campagne ?
Ce que je prône, c'est une vie plus simple qui permet d'avoir plus de temps libre et d'être mieux avec les autres. Mais n'importe quel mouvement un peu novateur, s'il est imposé, peut virer au totalitarisme. Ce qui est important, c'est d'amorcer le mouvement par soi-même, de prendre le temps de se poser et de réfléchir à ses propres convictions.
Il y a des gens qui vont être heureux à travailler beaucoup dans un métier qui les passionne. Le plus important, c'est de prendre le temps réfléchir à ses propres convictions et de faire les choses en conscience. Ensuite, on peut voir quelles petites choses on peut changer, ça peut être par exemple de moins regarder la télé le soir. Ça amorce un mouvement, et plus on y goûte, plus on voit que ça fait du bien. Le plus difficile, c'est de commencer.
À plus grande échelle, comment l'architecture peut-elle contribuer à ce que l'on vive mieux ?
Le sens premier de l'architecture, c'est de créer un environnement construit qui s'accorde au mieux avec le bien-être physique et émotionnel de ses usagers. Ce qui me passionnait dans ma pratique de l'architecture, c'était les nouveaux modes d'habiter en communauté.
Comme nous sommes de plus en plus nombreux, il faut densifier l'habitat pour préserver les terres, mais sans créer de nouvelles barres HLM pour autant. L'habitat intermédiaire, entre le pavillon en quartier résidentiel et l'immeuble, permet de faire en sorte que l'on ait à la fois un espace privé et que l'on partage des biens communs avec ses voisins.
Cela permet aussi de regrouper des personnes différentes pour inclure les plus isolés et de recréer de l'entraide. Par exemple, dans un habitat participatif, des voisins pourront s'occuper de l'enfant d'un couple qui travaille après l'école. L'important, c'est de recréer de plus petites communautés à l'intérieur de la grande ville.