Matthieu M. - Publié le 3 décembre 2018
BÉBÉ - Elles sont de plus en plus nombreuses à vouloir retrouver l'expérience intime de l'accouchement, en mettant au monde leur bébé dans le salon. Quels avantages y trouvent-elles, quels sont les risques ? Témoignages.
Après deux accouchements en milieu hospitalier, Nathalie, 38 ans, décide pour sa troisième grossesse d'accoucher chez elle. En prenant cette décision, elle veut réinvestir le confort et le décor familier de son cocon. Pour une fois, pas de chambre d'hôpital froide et impersonnelle, mais son lit, sa baignoire, son mari. Elle se rapproche alors d'une sage-femme libérale. “Je pensais qu'on allait me foutre la paix sur tout le suivi médical. Mais elle me faisait faire une échographie au moindre doute, elle était à la recherche de la moindre anomalie qui pouvait rejeter l'accouchement à domicile”, se rappelle-t-elle.
Le jour J, Nathalie angoisse un peu à l'idée de n'avoir chez soi aucun outil médicalisé. Mais le fait de passer une soirée “normale” alors qu'elle a déjà perdu les eaux, la rassure. “Les enfants sont allés se coucher, je me suis installée au coin du feu. J'étais libre de mes mouvements, je me suis même fait une infusion”, explique-t-elle.
Lorsque les contractions deviennent trop intenses, la jeune femme et son compagnon font venir la sage-femme qui l'installe dans une piscine remplie d'eau chaude. Pourtant, la professionnelle n'intervient presque pas. “Elle était juste là dans une logique de coaching”, se remémore Nathalie.
La conseillère en assurance se sent plus libre de crier qu'à l'hôpital, “je me lâche plus”, souligne-t-elle. En position allongée ou debout dans la piscine qui se trouve dans la pièce à vivre, Nathalie n'a pas les jambes écartées. L'eau chaude, que l'on utile aussi en maternité, joue le rôle d'amortisseur, “un airbag contre les ondes des contractions”, explique-t-elle.
Un événement intime contre la médicalisation de la naissance
Puis le bébé sort finalement sa tête. “Je n'ai pas eu le temps de pousser, elle est sortie dans l'eau. Je ne me suis pas sentie moche ni sale, je n'étais pas dans une position de soumission. C'était beau”, nous raconte-t-elle avec émotion. Le bébé est en bonne santé, grâce aux hormones Nathalie et son compagnon sont sur un petit nuage. Quelques heures plus tard, les deux enfants du couple se réveillent, “avec un bébé, comme pour Noël.”
On estime qu'il y aurait chaque année en France entre 3000 et 4000 accouchements à domicile, ou Accouchement Assisté à Domicile (AAD). Une pratique légale qui fait de plus en plus parler d'elle malgré les réactions mitigées qu'elle suscite.
Les femmes que nous avons interrogées sont unanimes : c'est un désir d'intimité plus grand, une volonté de maîtriser cet événement majeur de leur vie, qui les ont poussées à vouloir quitter le milieu hospitalier pour accoucher chez elles.
Anna Roy, sage-femme libérale et hospitalière insiste sur le fait que pendant longtemps, la naissance, comme la mort, a été un événement intime :“puis elle a été super médicalisée, peut être trop. Aujourd'hui on assiste à une réaction de défiance à l'égard du corps médical.” Et la spécialiste d'ajouter : “c'est aussi un événement familial et psychologique, on n'est pas là pour enlever une vésicule biliaire ou une rate.”
Faire de l'accouchement un événement personnel
Malgré l'absence de douleurs grâce à la péridurale, Nathalie garde un souvenir amer de sa première naissance en milieu hospitalier. “La salle n'était pas adaptée au côté cocon, il y avait beaucoup de lumière, les sages-femmes se relayaient, c'était très impersonnel”, se souvient-elle.
Cerise sur le gâteau, la gynécologue qui avait pris soin de suivre et personnaliser la grossesse de Nathalie ne se présentera que cinq minutes avant la délivrance, alors que la jeune femme comptait sur sa présence.
Anne, 38 ans, mère de deux enfants, a accouché deux fois à domicile. Pourtant, il a fallu dépasser les a priori de certains proches et la désapprobation de son gynécologue qui lui avait lancé : “Je ne le recommanderais ni à ma tante, ni à ma petite-fille.” Et la maman de préciser : “Pour lui c'était dangereux.”
Alors que risquent-elles très concrètement ? “Ce qui inquiète c'est l'hémorragie de la délivrance”, indique Anna Roy, “ce sont des saignements importants suite à l'accouchement, on peut perdre beaucoup de sang.”
Protéger les mamans et les sages-femmes et faire évoluer la pratique
C'est d'ailleurs pour “garantir aux usagers une sécurité optimisée” et “donner les règles élémentaires de prudence” que l'Association Nationale des Sages-Femmes Libérales a publié la charte de l'accouchement à domicile.
Isabelle Fournier, présidente de l'association rappelle qu'il est “nécessaire de sélectionner les femmes au départ, on ne peut pas accepter n'importe qui.” Pour faire simple, la grossesse doit être “normale” et ne présenter aucun risque de complication : pas de femmes qui ont subi des césariennes par exemple ou encore pas de jumeaux.
Pourtant l'accouchement assisté à domicile (AAD) ne fait pas l'unanimité entre les sages-femmes. Selon Isabelle Fournier, elles seraient une petite centaine en France à pratiquer l'AAD, bien qu'aucune étude officielle ne puisse confirmer ce chiffre. “Elles ont peur de le dire car la plupart sont dans l'illégalité”, précise-t-elle.
En cause, le prix exorbitant de l'assurance, environ 22 000 euros par an, exigé pour qu'une sage-femme puisse pratiquer l'AAD. Un montant qui incite certaines à frauder et d'autres à renoncer. Et puisque nous parlons argent, on apprend sur le site AAD qu'un accouchement à domicile réalisé de jour par une sage-femme coûte 349,44€, une prestation remboursée par la sécurité sociale.
C'est le cas d'Anna Roy qui se présente comme “une sage-femme qui est pour l'accouchement à domicile mais ne le pratique pas.” Et la sage-femme d'ajouter : “je fais partie de ces trouillardes, car il n'existe pas le maillage de soins requis.”
Car côté sage-femme, l'accouchement à domicile n'est pas qu'un problème d'assurance. Anna Roy précise : “il faut créer un partenariat avec l'hôpital, que l'on soit sûre que la patiente soit accueillie en cas de complication et que l'équipe du Samu soit formé à l'obstétrique.”
“On connaît les risques, on sait que le risque zéro n'existe pas, comme à l'hôpital d'ailleurs”, souligne Nathalie. En attendant que la France développe un cadre pleinement sécurisant pour les mères comme pour les sages-femmes, il existe une alternative entre l'hôpital et l'accouchement à domicile : les maisons de naissance. Rideaux aux fenêtres, lit de chambre à coucher, ces structures peuvent être une première étape pour celles et ceux qui réfléchissent à un entre-deux.
Impliquer toute la famille dans la naissance : le rôle des pères
Reste que l'accouchement à domicile reste le meilleur moyen d'impliquer le père dans la naissance de l'enfant. François-Xavier, le compagnon d'Anne a beau avoir somnoler alors qu'elle était en contraction, il reconnaît avoir vécu un moment magnifique : “de spectateur on devient acteur. J'ai aidé la sage-femme à faire sortir le bébé, en effectuant une pression sur le ventre.”
Nathalie confirme. “Il est maître de l'accouchement, comme moi. C'était un accouchement à deux, il me prenait dans les bras quand ça n'allait pas.”
Malgré, les bougies à la cire d'abeille, la lampe de sel, quelques textes écrits sur les vitres, Anne n'oublie pas que sans péridurale, “ça reste super douloureux.”
Mais qu'importe. L'apaisement du nourrisson, la possibilité de le présenter à ses proches chez soi et le retour à une vie normale plus facilement, sont autant de raisons qui ont convaincu ces deux femmes qu'elles ont fait le bon choix. “J'ai accouché, et une demie heure plus tard je mangeais avec mes enfants. C'était un contraste puissant de joie et de bonheur”, conclut Nathalie.