Matthieu M. - Publié le 8 mai 2018
UTOPIE -Un éco-village où l'on vit (presque) sans argent, laboratoire géant de la vie écolo et autonome existe : il s'appelle Eotopia et nous y avons séjourné 2 jours. Récit.
La vague de contestation qui a ébranlé la France en mai 68 a poussé de nombreuses personnes, avides de liberté et d'une vie loin des considérations matérielles, à fuir les villes pour appliquer de manière concrète, leurs désirs d'autonomie et d'écologie.
Hélas, ces lieux de vie utopiques seront nombreux à avoir périclité comme le montre avec beaucoup de justesse la bande dessinée “La communauté” de Benoît et Tanquerelle (Ed. Futuropolis).
Que reste-t-il aujourd'hui de ce style de vie communautaire ? Si Longo Maï est l'une des rares communautés nées après 68 à avoir survécu au temps, de nouvelles ont vu le jour. L'éco-village Eotopia, est l'une d'entre elles. Jeune communauté vegan basée sur l'économie du don, elle a vu le jour en 2013.
Serait-elle la digne héritière de ces tentatives avortées d'utopies concrètes ? Comment la vie s'organise-t-elle là-bas ? Pour le savoir, nous nous sommes rendus sur place, en Bourgogne, pendant deux jours.
Le chauffeur de taxi qui nous conduit, Hugo le photographe et moi, de la gare de Moulins au village de Cronat, semble intrigué par notre destination et nous interroge sur les activités de celles et ceux "qui vivent là-bas". Il finit par conclure : “ils ont sûrement raison, ils doivent être plus heureux que nous !”
Apprendre l'autonomie sous toutes ses formes
C'est l'heure du déjeuner quand nous arrivons à destination. Je meurs de faim. N'ayant aucune idée des proportions auxquelles chacun-e a le droit, je me sers une minuscule cuillère de riz aux légumes. Première erreur : confondre éco-village avec vie monacale !
Entre deux grains de riz, je fais la connaissance de Rémi, 16 ans et Tanguy, 18 ans. Ils sont venus en stop depuis Bourges. Les deux jeunes hommes veulent expérimenter l'autonomie et une vie écolo. “Je trouve ça génial de construire toi-même ta maison, être capable de réparer ce que tu casses”, explique Tanguy.
Leur maturité et leur clairvoyance est impressionnante, j'aurais aimé faire preuve d'autant de conviction à leur âge. “Il y a une cohésion, des valeurs qui me plaisent, mais je ne pourrais pas vivre ici à plein temps”, confie Tanguy. Eotopia accueille une semaine sur deux des visiteurs, qui, à l'image de Tanguy et Rémi, vivent pendant quelques jours, au rythme de l'éco-village.
Lucie, qui est chargée de me faire visiter le site, vit ici avec 7 autres résidents permanents dont Yazmin et Benjamin, couple fondateur du projet. Militante depuis ses 8 ans, elle a rejoint Eotopia “pour apprendre la permaculture, l'écoconstruction et tout ce qui permettra de vivre de la façon la plus écologique possible”, explique-t-elle.
“On essaie d'agrandir notre autonomie au moins en légumes et de nous rendre le moins possible faire les courses en magasin”, dit-elle alors que nous traversons le potager en permaculture. La diversité est impressionnante : roquette, persil, navet, chou kale, poireaux, fraises et herbes aromatiques cohabitent.
En déambulant sur les 3 hectares de terrain nous avons croisé des toilettes sèches, une machine à laver-vélo et même une tiny-house : un laboratoire géant de la vie écolo ! Toutefois, l'autonomie n'est pas totale, la maison est reliée au réseau électrique vert Enercoop et a accès à Internet.
Un lieu d'expérimentation : éducation libre et communication non-violente
L'après-midi, personne ne chôme. Rémi et Tanguy s'affairent à creuser un petit ruisseau, Sandrina prépare les semis de salade tandis que Pierre, 23 ans, isole la véranda-serre.
Alors qu'il recouvre les murs d'un mélange de terre et de paille, il détaille les grands principes de la communication non-violente, appliqués à Eotopia, condition essentielle “pour commencer une aventure avec des gens qu'on ne connaît pas.”
Parler à la première personne du singulier afin “d'éviter de demander aux gens de faire quelque chose qu'ils n'aiment pas”. Par exemple, dire “j'ai besoin d'aide pour ranger” plutôt que “tu ne veux pas m'aider à ranger ?”. Et surtout “parler de ses émotions et être à l'écoute des autres”, indique-t-il.
La jeune Ada, qui n'a que 3 ans, suit Yazmin, sa mère, de partout. Elle ne va pas à l'école puisque l'éducation libre est un autre principe fondateur du lieu. Profitant que Lucie s'occupe d'elle, Yazmin, qui est l'une des fondatrices, nous éclaire sur l'origine du projet.
Eotopia “est l'aboutissement d'une quête” qui a commencé par le voyage sans argent de Benjamin et s'est terminé par l'achat du terrain de Cronat en avril 2016 pour 60 000 euros.
“C'est un lieu d'expérimentation pour faire ce que l'on veut”, confie-t-elle. Mais pas question de vivre reclus, surtout depuis la naissance de leur fille : “je n'ai pas envie de vivre à la babacool”, ajoute l'architecte originaire du Mexique. Cette ancienne citadine d'origine ne regrette pas son choix : “Je ne pourrais pas revenir en arrière. Ici j'ai trouvé un endroit pour m'enraciner”.
Le repas est un joyeux bazar, un moment de convivialité où les plats (vegan) défilent. Chacun se sert, se passe les assiettes, on parle de la journée qui vient de passer. En revanche, on a beau être en Bourgogne, pas une seule bouteille de vin ne vient accompagner le repas.
Ce n'est pas un oubli : à Eotopia aucune substance addictive ou excitant n'a sa place dans la petite communauté. Pas d'alcool ni de cigarettes, et le plus étonnant : ni thé ou café !
La soirée se passe dans le calme, il faut veiller à ne pas faire trop de bruit pour ne pas gêner le sommeil d'Ada.
Ne jamais rien imposer mais participer à un grand projet
Le lendemain matin, la vie à Eotopia reprend son cours. Il n'y a pas vraiment de programme établi à Eotopia. “Il revient à chacun de prendre l'initiative ou non de participer à un projet”, explique Benjamin. À Eotopia, il n'y a pas d'horaire, pas de tâche obligatoire.
Alors certes, ce n'est pas tous les jours facile, la vie en communauté peut être parfois compliquée, surtout quand il faut gérer les visiteurs et visiteuses avec la charge de travail que cela incombe. “Mais la grande réussite du projet c'est d'être parvenu à ne rien imposer à personne. Faire confiance, ça marche !”, lance-t-il. Et d'ajouter : “j'en suis le premier surpris.”
“Pour moi l'essentiel, c'est de pouvoir se détacher de l'idée qu'il faille toujours échanger une chose contre une autre”. À Eotopia, le don désintéressé a été privilégié à la vie sans argent, vie que Benjamin raconte dans son livre “Sans un sou en poche : vivre fauché, mais vivre libre” (Ed. Flammarion, 2015). Pour vivre toute l'année, certains touchent le RSA, d'autres comme Yazmin et Benjamin gagnent un peu d'argent grâce à des traductions.
Eotopia est-elle une communauté utopiste : “oui sûrement un peu. Nous sommes à la recherche d'autonomie surtout et apprendre à faire les choses par nous-même et ne plus avoir d'impact sur d'autres êtres vivants”, explique-t-il.
Il est 16h, l'heure de repartir vers la capitale. Alors, sont-ils vraiment “plus heureux que nous”, comme le pensait le chauffeur de taxi ? Si se donner les moyens de concrétiser ses convictions est une forme de bonheur, alors oui.