Matthieu M. - Publié le 25 septembre 2020
HABITAT - À Dullin, en Savoie, le Château Partagé est la preuve qu'une vie plus solidaire et participative est possible.
La vie de château, cela peut évoquer pour certains le film de Rappeneau avec Catherine Deneuve et Philippe Noiret, pour d'autres, les reportages de Stéphane Bern. Mais on est pratiquement sûr que vous ne ferez pas le lien avec l'habitat groupé !
Et pourtant, dans la commune de Dullin, en Savoie, face au massif de Chartreuse et du lac d'Aiguebelette, se trouve le Château Partagé qui, comme son nom l'indique, est habité par plusieurs familles.
Expérimentation à la fois “humaine, économique et écologique”, comme le rappelle leur site internet, le Château Partagé existe depuis maintenant 10 ans et prouve qu'il est possible de vivre autrement, en pleine nature, sans pour autant se couper du monde.
6 familles qui partagent l'envie d'expérimenter la vie en communauté
C'est en rentrant d'une mission de coopération de deux ans en République Centrafricaine, que Thomas et sa compagne Annick ressentent le besoin d'expérimenter en France la même richesse sociale qu'en Afrique. Alors comment faire ?
Le couple a en tête les célèbres phalanstères, ces regroupements d'habitats ouvriers conçus par les industriels du XIXème siècle, ou encore les communautés qui ont émergé après Mai 68, mais ces modèles d'habitations datent un peu. “On voulait rencontrer d'autres personnes qui partageaient notre envie d'acheter une bâtisse pour partager des choses, s'entraider, pour tisser du lien social”, nous explique Thomas.
Installés à Chambéry depuis leur retour en France, Thomas et Annick font rapidement la connaissance de 5 autres familles motivées par l'habitat groupé. Lors de leurs recherches, ils tombent sur un château à vendre à Dullin, qui réunit tous leurs critères. “Avant d'acheter on a rencontré le maire et on a loué un gîte sur place, ce qui nous a confortés sur l'ambiance de la commune”, se souvient Thomas. Et après 8 mois de réflexion, les 6 familles en font l'acquisition pour 610 000 euros.
Pour cela, les nouveaux châtelains montent une Société Civile Immobilière (SCI), une structure juridique qui permet à plusieurs personnes d'être propriétaires d'un bien immobilier. “Aujourd'hui, il y a beaucoup de choses pour aider, piloter voire financer ces projets, comme le projet Oasis. À notre époque ce n'était pas le cas”, précise Thomas.
Malgré les différences de revenus de chacun, tout le monde est propriétaire à parts égales. “Il y avait deux chômeurs dans le projet, qui avaient moins de moyens. La SCI permet de se faire des prêts en interne à taux zéro”, indique-t-il. Avec les travaux, le budget total s'élève à 800 000 euros.
Transformer cette ancienne colonie de vacances en appartements individuels
Le château a beau ne pas être en ruine, aux normes des années 1980 au moment de l'achat, les travaux de rénovation sont nombreux. Dans un premier temps, il a fallu réhabiliter cette grande bâtisse de 1000 m2, rappelle Thomas : “On a isolé le toit, changé toutes les menuiseries, réglé les problèmes d'étanchéité et on a traité la charpente.”
Mais le chantier le plus important et qui a duré 7 ans, a été de créer 6 appartements individuels dans le château. “C'était une colonie de vacances avant qu'on l'achète donc il n'y avait que des chambres avec salle de bains”, nous dit Thomas. Pratique car les réseaux électriques et d'eau potable sont déjà installés.
Il suffit de réunir 4 chambres pour faire un appartement. Autre avantage pour un habitat groupé, tout le rez-de-chaussée était déjà collectif avec sa grande cuisine notamment. Aujourd'hui, en plus du réfectoire, les 20 habitants se partagent une grande salle à manger, un atelier, une buanderie, deux chambres d'amis et un jardin. “Le point négatif c'est qu'on partage le ménage de tout ça !”, plaisante-t-il.
Une organisation millimétrée pour une meilleure cohésion entre habitants
Alors, comme dans n'importe quelle famille, la distribution du ménage est méthodiquement organisée grâce à un tableau (que vous pouvez télécharger sur cette page si vous êtes curieux). Communauté de vie certes, mais ce n'est pas l'anarchie pour autant. Afin d'assurer une harmonie entre tous les habitants, le Château Partagé a même mis au point un système de gouvernance.
Thomas explique : “On a découpé le château en 5 thématiques : l'extérieur (le jardin), l'intérieur et l'entretien, l'administratif avec la paperasse, le lien humain et l'alimentaire. Pour chaque thématique on élit un responsable chaque année et chaque semaine on a soit une réunion de discussion, soit de décision. Et les 5 groupes font remonter leurs besoins leur de cette réunion.”
Car l'objectif du Château Partagé est de vivre une expérience humaine et communautaire. Une organisation qui a d'ailleurs permis aux châtelains de bien vivre le confinement. “Notre vie collective a été très riche. On mangeait tous les trois jours ensemble dehors,
ceux qui travaillaient à domicile ont continué”, précise-t-il. Seules les chambres d'hôtes du château, qui accueillent régulièrement des groupes, n'ont pas pu fonctionner. Un manque à gagner pallié par les aides de l'État.
Un boulanger, un maraîcher et un tourneur sur bois
Eh oui, au château de Dullin, pas question de vivre d'amour et d'eau fraîche. L'activité économique est une composante essentielle du projet. “On ne voulait pas que cela se transforme en maison dortoir”, indique Thomas. Cet ingénieur urbain de formation s'est d'ailleurs reconverti en boulanger, quatre années après s'est installé au château. “Mon boulot d'avant perdait du sens”, souligne-t-il. Au Château Partagé on trouve un boulanger donc, mais aussi un maraîcher ou encore un tourneur sur bois.
Une nouvelle vie pour Thomas, Annick et leurs deux enfants. “Je conseille vraiment aux gens de se lancer, on apprend plein de choses même si ça prend du temps et qu'en plus de la famille, du boulot, il y a le groupe à gérer”, prévient-il. La vie en communauté c'est un engagement qui demande du travail.
Dernier conseil : élaborer une charte avant de commencer le projet. “Qu'est ce qu'on veut vivre ensemble ? Quelle est notre raison d'être ? C'est important de le clarifier.” La famille a beau vouloir rester le plus longtemps possible entre les murs du château, ils ont prévu de partir un an en voyage pour faire découvrir d'autres cultures à leurs enfants. Pendant leur absence, leur appartement sera mis en location. À bon entendeur…