Matthieu M. - Publié le 30 novembre 2018
COUPLE - Tue-l'amour ou vraie preuve de confiance ? On a interrogé des couples sur le rapport, parfois compliqué, qu'ils entretiennent avec le passage sur le trône.
Lorsque Gabrielle* et Benoît ont emménagé ensemble, la jeune femme n'a pas pensé aux toilettes de prime abord, mais la réalité de la vie à deux l'a vite rattrapée. “C'est un problème qui s'est vite posé, puisque que nos toilettes sont collées à la chambre. C'est tout petit, on entend tout.” Et la Parisienne de 28 ans d'ajouter : “ça allait être un enfer.”
A priori, rien de plus naturel que de se rendre sur le trône. Mais quand cette activité quotidienne se fait à proximité de l'être aimé, elle peut devenir un blocage, un sujet tabou.
Une activité “sale” qui semble contraire avec le sentiment amoureux
Mais finalement que craignons-nous ? “Tout ce qui est rejeté par notre corps, nos excréments, la sueur, les crachats, la morve, tout cela est considéré comme sale, à cacher”, nous indique Simone Scoatarin, psychothérapeute et linguiste, autrice de Dis-moi comment tu fais (Ed. Jourdan, 2018)
Par peur d'être entendue ou de laisser un drôle de parfum derrière elle, Gabrielle fait en sorte de “masquer son passage aux toilettes” ou d'avoir recours à quelques stratagèmes : “J'essaie de faire quand il est parti ou même d'aller dans un café quand il est là. Ça m'est déjà arrivée de passer des week-ends avec l'envie et de ne pas le faire car j'avais peur qu'il m'entende.”
Pourquoi autant de précautions pour un geste aussi banal ? Cette activité n'aurait pas sa place dans la conception que l'on se fait du sentiment amoureux et du comportement de charme, selon Simone Scoatarin. Elle précise : “au départ dans un couple, il y a une idéalisation de l'autre qui doit être dans le relationnel, dans les sentiments. Jamais dans le terre à terre.”
Briser les tabous pour ne pas vivre constipé
En couple avec Antoine depuis 8 ans, Marion*, 26 ans, refuse quant à elle de “se constiper ad vitam aeternam” par peur d'aller à selle. D'ailleurs, quand son petit ami l'a rejoint au Chili pour s'installer plusieurs mois avec elle alors qu'ils n'avaient jamais vécu sous le même toit, la jeune femme a instauré une règle radicale. La première fois qu'il fera la grosse commission dans leur appartement, Antoine devra laisser la porte ouverte.
Elle se souvient : “C'était une manière pour moi de le désacraliser et de me désacraliser aussi. Il est dans sa vulnérabilité en train de faire caca et moi en train de le regarder. On était à égalité.”
Pour la jeune femme il est hors de question de créer un tabou autour d'un geste aussi banal. Elle l'envisage même comme une preuve d'amour, de confiance.
“Je trouve que c'est se montrer sous son vrai jour, sans avoir peur de l'image que tu renvoies. C'est important dans un couple, cela fait partie de l'intimité, comme se montrer sans maquillage ou de porter des vêtements pourris”, indique-t-elle.
Un avis que partage partiellement le Dr Alain Héril, psychanalyste et sexothérapeute, auteur de Je fantasme donc je suis (Ed. Eyrolles, 2018). “Quand on est en couple, aller aux toilettes la porte ouverte, est le stade ultime de l'intimité”, nous explique-t-il. Selon lui, aller à la selle est un apprentissage culturel qui enseigne la différence entre ce qui est de l'ordre de l'intime et du social. Ne pas fermer la porte quand on s'y rend brouille la frontière entre les deux, un geste très intime qui expose l'autre à notre propre vulnérabilité.
Une preuve d'intimité qui peut avoir des conséquences sur le désir
Stade ultime peut-être, mais une telle situation est-elle souhaitable ? Pour le psychanalyste la réponse est non, trop d'intimité tue l'intimité et le désir. “80% des couples qui consultent le font à cause d'une absence de désir, et la plupart du temps, ils le retrouvent en mettant un peu de mystère et de secret”, précise-t-il. Difficile de jouer au poète maudit romantique après avoir fait participer sa moitié à ses péripéties gastriques !
Sacha*, en couple avec Alex depuis trois ans, a beau être ouverte sur le sujet, si elle a le malheur d'entendre son compagnon, la libido s'effondre. “Clairement si c'est avant de coucher, j'annule tout, faut pas déconner non plus !”, s'exclame-t-elle.
Gabrielle, elle, reconnaît être beaucoup moins à l'aise sur le sujet que son compagnon, mais elle n'envie pas pour autant les couples libérés sur le sujet. “J'ai des couples d'amis qui sont hyper fiers de pouvoir parler de caca ensemble, de le faire la porte ouverte. Pour moi c'est quelque chose qui est de l'ordre de l'intimité, mais ce n'est pas une intimité de couple.”
Simone Scoatarin explique que, dans le roman de Régis de Sa Moreira, Comme dans un film (Ed. Au diable vauvert, 2016), l'auteur se sert des toilettes comme baromètre des sentiments d'un couple, qui passe de la passion à la séparation. “À la fin, ils ne prennent plus aucune précaution et ça se gâte”, souligne la linguiste. Pour préserver votre vie sexuelle, pensez à fermer la porte !
Et que faire si chacun des conjoints n'observe pas la même pudeur dans son usage quotidien des toilettes ? Pour le Dr Alain Héril, c'est à celui ou celle “qui est décomplexé de s'adapter au complexé. On ne peut pas imposer à l'autre de ne pas être gêné.” Alors, sans vouloir faire de mauvais jeux de mots, si cela coince, ne poussez pas !
(Et si ça coince vraiment, vous pouvez retrouvez la technique ultime pour aller à la selle comme un-e chef-fe !)
* les prénoms ont été changés