Alice Gondonneau et Lisa Hör - Publié le 8 juillet 2019
PARTAGE DES TÂCHES - Une étude vient de s'attaquer à ce cliché, souvent brandi comme une excuse. Résultat : les hommes sont autant sensibles au bazar que les femmes. Cependant, la société attendrait moins d'efforts de leur part.
Les hommes sont-ils vraiment "génétiquement incapables" de voir le désordre ? C'est avec cette question volontairement provocatrice, que s'ouvre l'article de trois sociologues américains et australien publié dans The Conversation.
"Ce mythe sert souvent d'explication toute faite pour justifier pourquoi les hommes ne font pas autant le ménage que les femmes. Les hommes entrent dans une pièce et ne peuvent apparemment pas voir la poussière qui s'accumule sur le sol, ou les piles de linge sur le canapé", écrivent-ils. Ils se sont donc attaché à vérifier scientifiquement si ce mythe avait quelque fondement.
Les hommes perçoivent-ils autant le désordre que les femmes ?
Les trois chercheurs ont montré deux photos à 327 hommes et 295 femmes d'âges et de milieux différents, une photo d'un salon et d'une cuisine rangés, et la même photo avec cette fois du bazar.
À la surprise générale (ou pas !), contrairement aux stéréotypes, les femmes et les hommes participants à l'étude ont fait exactement le même constat et observé le même niveau de désordre sur la photo montrant la cuisine et le salon mal rangé.
Leur but : expliquer pourquoi les femmes consacrent toujours plus de temps en moyenne que les hommes aux tâches ménagères. "Alors, si les hommes ne sont pas aveugles face au bazar, pourquoi les femmes font-elles davantage le ménage", s'interrogent les chercheurs !
Deuxième partie du test : qui habite ici, un homme ou une femme ?
Les professeurs ont corsé l'expérience. Ils ont dit à certains participants que la pièce en désordre appartenait à une femme, Jennifer, et aux autres, qu'elle appartenait à un homme, John. Les participants ont alors dû décrire le caractère de ces deux personnes.
"C'est là que les choses sont devenues intéressantes", écrivent les chercheurs. "Les participants, les hommes comme les femmes, avaient de plus grandes attentes envers Jennifer que John. Quand on leur a dit que le salon, rangé sur la photo, appartenait à Jennifer, ils l'ont jugé moins bien rangé et plus susceptible d'inspirer la désapprobation de son entourage, que le même salon attribué à John."
Autre enseignement : devant le salon mal rangé de John, celui-ci été jugé plus sévèrement que Jennifer. Pourtant, les participants estimaient que l'entourage de John ne lui en tiendrait pas rigueur. Les chercheurs en déduisent que "le stéréotype selon lequel les hommes sont paresseux ne les désavantage pas socialement."
Au contraire, les participants avaient davantage tendance à attribuer la responsabilité du ménage à Jennifer, y compris dans l'hypothèse où celle-ci travaillait à plein temps, et vivait avec une autre personne.
Il n'existe pas de prédisposition naturelle au ménage (!)
Cette étude démontre donc qu'il n'existe pas de prédisposition naturelle à percevoir le désordre. Ce n'est pas non plus pour cette raison que les femmes se chargent plus souvent du ménage. "C'est plutôt la peur et la façon dont le désordre sera perçu qui constituent le véritable problème. C'est l'une des raisons pour lesquelles de nombreuses femmes nettoient frénétiquement leur maison avant l'arrivée de visiteurs inattendus", concluent les chercheurs.
Prendre conscience de cette inégalité dans les représentations et les attentes sociales est déjà un pas vers un meilleur partage des tâches.
En France, selon la dernière étude de l'Insee sur le sujet, datant de 2015, les femmes passent plus de 3 heures par jour à entretenir leur maison contrairement aux hommes qui y passent 1h46 précisément.
Pour aller plus et comprendre les autres mécanismes derrière cette inégalité, retrouvez l'interview de la Titiou Lecoq, autrice de Libérées ! Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale (2018, éditions Fayard).