Matthieu M. - Publié le 19 juin 2018
ENTRETIEN - Plutôt que de multiplier les hébergements d'urgence, pourquoi ne pas attribuer un logement sans aucune condition aux personnes sans-abri ? Nous avons interrogé le politologue Christophe Sente.
En février dernier, la ville de Paris organisait sa première Nuit de la Solidarité dans le but de recenser le nombre de personnes à la rue et ainsi adapter le nombre d'hébergements d'urgence.
Pourtant, la Fondation Abbé Pierre a souligné de nouveau dans leur dernier rapport sur le mal-logement que les hébergements d'urgence n'étaient pas une solution durable et préconisent plutôt un accès direct au logement.
Cette réponse au problème du sans-abrisme porte un nom : le Housing First, ou logement d'abord, en français. Le concept ? Attribuer de manière universelle et systématique un logement aux personnes vivant dans la rue, sans aucune condition préalable.
Mais alors qu'attend la France pour adopter de manière définitive cette politique solidaire ? Comment peut-on concrètement la faire appliquer chez nous ? A-t-elle déjà porté ses fruits ailleurs ?
Pour répondre à ces questions, nous avons interrogé le politologue Christophe Sente, dont le rapport “Zéro SDF ? L'attribution universelle d'un logement” pour la Fondation Jean Jaurès revient sur les différentes expérimentations du Housing First.
En quoi le Housing First est-il une proposition innovante ?
C'est une méthode qui rompt avec la démarche très moralisatrice de la Sécurité Sociale, qui considère que l'on est éligible à une aide sous condition d'un comportement spécifique.
Au contraire, le Housing First ne demande pas aux personnes d'arrêter de boire ni de prendre de la drogue, ou même de se mettre dans une démarche de recherche d'emploi. Le but est de sortir les gens de la rue, pour la seule et unique raison qu'ils sont dans la rue.
Existe-t-il des exemples concrets de son efficacité ?
La Finlande, qui est aujourd'hui très médiatisée, est un exemple de réussite de ce programme. Mais c'est dans les années 1990, dans l'État de New-York aux États-Unis, qu'il a été expérimenté pour venir en aide aux personnes souffrant de troubles psychiques. Leur donner un appartement faisait partie de la cure.
Cette expérimentation a ensuite convaincu le gouvernement de l'Utah qui l'a mis en œuvre à partir de 2005 pour résoudre les problèmes de sans-abrisme (en dix ans, le nombre de personnes sans-abri a diminué de 72% dans cet État, ndlr.)
Pourquoi est-ce que le Housing First peut être la solution pour résorber le sans-abrisme en France ?
Je crois que c'est une politique qui a atteint un degré de maturité, et cela vaut la peine de créer un cadre pour sa concrétisation.
Depuis mars 2018, la démarche de la France consiste à mettre en place un cadre d'expérimentation dans 25 territoires. C'est une façon prudente d'articuler cette politique et d'assurer une dissémination du “logement d'abord”.
Qu'attend-on pour le mettre en place de manière définitive partout sur le territoire ?
L'heure est à la prudence car le gouvernement n'a aucune garantie. Il n'y a pas suffisamment d'études pour investir dans une politique à grande échelle.
Il est important de préciser que le Housing First n'est pas destiné à tous les sans-abris, mais à ceux que l'on considère comme structurels, c'est-à-dire aux personnes dont la situation peut être considérée comme plus ou moins permanente.
Le Housing First ne va pas se substituer à toutes les politiques sociales, il n'est pas question de supprimer l'aide d'urgence.
Combien cela coûterait-il ?
Il faut voir le Housing First comme un investissement, et attendre d'abord un retour humain. Ensuite viendront les retombées économiques, qui se traduiront sous forme de dépenses moindres dans l'hébergement d'urgence.
Concernant le coût d'une mise en place à l'échelle nationale, il est difficile à établir. Mais le Housing First reste meilleur que l'hébergement d'urgence, pour deux raisons.
À court terme, parce qu'il contribue à la suppression des coûts d'intervention comme les services médicaux ou de police, qui s'ajoutent à celui du logement. À moyen terme, parce qu'il permet une réinsertion, qui peut transformer la personne sans-abri en un travailleur et un consommateur.
Quels sont les limites du dispositif selon vous ?
Les limites, on va les voir sur le long terme. On observe un taux de conservation du logement assez élevé, entre 70 et 80%.
Est-ce que loger une personne va être suffisant pour la sociabiliser, alors que l'on est dans une société où l'on vit coupé les uns des autres, où personne ne connaît ses voisins ? C'est une grande interrogation de l'urbanisme de demain.