Adèle Ponticelli - Publié le 28 novembre 2017
SOLIDARITÉ - Soupe impopulaire, distribution de bons et défis lancés aux habitant-es. Le Carillon est un réseau qui ressocialise les personnes sans-abri et remobilise les citoyen-nes.
Qui n'a jamais été envahi par un sentiment d'impuissance mêlé de honte face à une personne sans-abri ? “Je me sens à côté de mes pompes quand j'aborde des gens dans la rue et j'ai peur”, raconte Charlotte, 31 ans, avec une franchise qui fait du bien.
Pour lutter contre ce sentiment d'impuissance et agir en toute confiance, cette jeune Parisienne a participé à une formation un peu particulière.
Un soir de mai, Charlotte se rend à la maison des initiatives du 18e arrondissement de Paris. Des bénévoles du réseau le Carillon sont là pour accueillir la dizaine de participant-es - majoritairement des femmes de 20 à 30 ans.
Au menu, jus de fruits, gâteaux, quizz et ateliers pratiques pour sensibiliser à la situation des personnes sans-abri. Le quizz commence.
“Je ne l'ai pas compris tout de suite, mais il y avait deux ambassadeurs du Carillon dans le groupe, se souvient Charlotte. Je n'avais pas tout de suite compris que c'était des gens qui vivaient dans la rue.”
Apprendre à aller vers les personnes sans-abri
Et c'est là toute la spécificité du Carillon. Les personnes sans-abri ne sont plus seulement celles qui reçoivent des services, mais aussi celles qui en donnent. Ce soir-là, ces ambassadeurs apprennent aux participants à aborder des personnes à la rue. C'est la formation “Aller vers”, qui se déroule une fois par trimestre à Paris.
Des saynètes jouées par les bénévoles montrent des exemples à ne pas reproduire : déposer quelque chose devant une personne et partir sans un mot ; se poster trop près de la personne. “Il y a une zone de confort à respecter, explique Charlotte, même dans l'espace public il y a quand même un espace privé à respecter.”
Mais il y a surtout une règle à suivre : dire “bonjour”. Cela semble évident et pourtant, nous sommes nombreux-ses à ne pas oser le dire. “Si tu veux donner quelque chose à une personne, tu te baisses, tu dis bonjour, tu demandes si ça va, si elle a besoin de quelque chose et lui dis “j'ai ça, est-ce que ça vous intéresse ?”.”
“On n'est pas des chiens, des bandits ou des voyous, mais des humains”, renchérit JS, sans-abri et bénévole au Carillon depuis un an. Et si jamais cela nous fait peur ? “Il faut juste savoir se protéger, explique JS, car une personne peut changer à tout moment.”
Et puis, comme pour tout le monde, il y a des changements d'humeur. “La personne peut ne pas avoir envie de parler, ou être mal lunée, complète Charlotte, il ne faut pas le prendre pour soi.”
“Ce que je conseille, c'est d'aborder comme si c'était quelqu'un de normal”, résume JS.
Un réseau de citoyens qui rassemble habitants et commerçants
Ce type d'ateliers fait partie des multiples actions du Carillon. Ce réseau qui existe maintenant dans de nombreuses villes françaises, s'est donné pour but de “promouvoir le changement de regard les uns sur les autres, et sur soi-même”, raconte Louis Xavier Leca qui l'a fondé en décembre 2015.
Il partage le même “constat citoyen” que Charlotte, et, après avoir travaillé dans des pays en développement, dans la finance responsable notamment, il n'a pas supporté pas de voir le nombre de personne sans-abri augmenter à son retour en France.
“Je ne savais pas quoi faire, j'étais pris par une sentiment d'impuissance, personne ne proposait de modèle d'engagement pour les simples citoyens.”
Depuis 2015, d'autres réseaux ont vu le jour, comme celui de l'association Entourage dont nous vous avions parlé qui a créé un réseaux social numérique pour entrer en contact avec les personnes sans-abri habitant son quartier.
Le Carillon se démarque en créant un réseau de citoyens qui rassemble habitants et commerçants. “Le but est de remettre les personnes sans-abri dans les lieux du quotidien”, poursuit Louis-Xavier Leca.
Des micro-engagements en bas de chez vous
Comment ? Par des petits gestes, des micro-engagements simples et en bas de chez vous.
Les commerçants du réseaux collent sur leur porte ou leur devanture des petits logos bleus qui indiquent les services accessibles gratuitement : un verre d'eau, la possibilité de recharger son téléphone, l'accès aux toilettes...
“Tous nos petits services sont accessibles à tout le monde, vous et moi”, insiste-t-il. Ainsi, la personne sans-abri “ne se sent pas particulière”.
D'autres services -plus coûteux à mettre en oeuvre pour les commerçants - sont indiqués avec un pictogramme blanc : un café, un repas, une coupe de cheveux, une retouche de vêtement. Pour ceux-là, il faut obtenir des bons, et c'est là que les habitants entrent en jeu.
En fonction de leurs moyens, les commerçants éditent des bons et lancent des défis aux consommateurs. “Si quelqu'un vient avec la carte d'adhésion du Carillon et dépense plus de x euros, alors le citoyen reçoit un bon à offrir”, explique Aileen Salin, chargée de la sensibilisation pour le centre de Paris.
Une autre façon d'aller vers ces personnes, entamer la discussion et casser l'entre-soi des sans-abri. Car offrir un bon peut être l'occasion, pourquoi pas, d'aller prendre un café avec elles ?
Inverser les rôles pour montrer ce que les personnes sans-abri peuvent apporter à la société
“Le Carillon m'a redonné une vie sociale”, témoigne JS, sans-abri depuis son arrivée de Suisse il y a 2 ans. “On ne se rend pas compte, quand on prend son sac, on croit qu'on part à l'aventure, on se retrouve enfermé.” Enfermé dehors.
Alors JS loue ces initiatives, ni misérabilistes, ni paternalistes, qui recréent du lien. De fil en aiguille, lui aura permis d'obtenir ailleurs un contrat “premières heures”, et plus tard peut-être un toit.
Quand Laura, bénévole au Carillon, l'aborde pour la première fois dans la rue il y a un an, et lui présente le Carillon, il propose tout de suite son aide. “Dès le lendemain, j'ai aidé à porter 2-3 trucs et aussi à nettoyer un squatt du 11e, puis ça s'est enchaîné, Laura m'a demandé de devenir ambassadeur.”
“Notre philosophie, c'est d'inverser les rôles, de montrer aux personnes sans-abris et aux autres, qu'elles ne sont pas là que pour faire la manche et qu'elles peuvent faire des choses et apporter à la société”, expose Aileen Salin.
Il cite pour exemple l'organisation de “soupes impopulaires” où ce sont les bénévoles sans-abri qui cuisinent pour les habitants du quartier. En changeant le regard sur eux et sur elles, le Carillon leur montre qu'elles sont “comme tout le monde, avec tout le monde”.
Et JS de conclure, “je suis heureux si je peux aider à sortir de l'isolement. Le Carillon ça permet d'aider les copains et d'aider ceux qui nous ont aidé.”