Frida Hussain - Publié le 3 juillet 2021
HABITAT PARTICIPATIF - Dans cet immeuble HLM de Montreuil, les habitants partagent des espaces collectifs pour briser l'isolement et faire vivre la vie associative.
L'ambiance est au rendez-vous au 2 rue Sankara, dans le quartier en construction de Boissière Acacia à Montreuil. Avela, présidente de l'association le Praxinoscope, nous ouvre les portes de l'immeuble sorti de terre il y a tout juste un an, et discute activement avec Lucas, résident au troisième étage, sur les préparatifs de la fête de la ville.
La particularité de cet immeuble HLM ? Les 12 résidents locataires, membres de l'association, ne font pas que de se croiser, comme c'est souvent le cas en ville. Ils se retrouvent dans des espaces communs toutes les semaines, de la buanderie au local associatif. Pour Avela, ce genre de projet a tout intérêt à se démocratiser : “On est dans un mode de vie urbain, où il y a beaucoup de personnes isolées, qui ont besoin de solidarité et de moments conviviaux, ça amène les gens à imaginer ce genre de projet”.
La présidente de l'association, accompagnée de plusieurs habitants, nous fait visiter cet habitat participatif, destiné à une utilisation collective et aménagé pour le vivre ensemble.
De vastes espaces collectifs pour une meilleure cohabitation
Premier espace partagé : la buanderie. Les adhérents ont mis en commun machines à laver et sèche-linge, qu'ils possédaient déjà auparavant. Sur les murs, diverses affiches sont placardées : une fiche avec toutes les dates d'anniversaire, les différents évènements à venir de l'association, l'emploi du temps … "comme on est sûr que tout le monde passe par là", explique Avela. Elle est très vite rejointe par Raphaël, un résident qui habite au sixième étage. Ravis de leur logement, "qu'ils n'auraient pas pu avoir autrement", ils décrivent des beaux appartements, lumineux, bien isolés et chauffés grâce à la géothermie, loin de l'imaginaire collectif concernant les résidences HLM.
Du studio au 4 pièces, cet immeuble fait rêver ces personnes aux revenus modestes : "je n'aurais jamais pu me payer un tel appartement avec mes revenus, j'ai même une loggia ! " s'enthousiasme Avela, comédienne de profession. Pour un 3 pièces de 63 m², un habitant résidant avec sa compagne et sa fille paie un loyer de 1 050 €, tandis que pour une famille monoparentale, le loyer s'élève à 630 €. Les loyers suivent ainsi une grille tarifaire commune à chaque HLM, qui prend en compte la taille du logement, les revenus et la composition familiale. Dans cet immeuble, entre les appartements T1 et T4, les loyers, avec charges comprises, se situent entre 620 € et 1 060 €.
Après la buanderie, place à la chambre d'amis, elle aussi mise à disposition de tous les habitants et de leurs visiteurs. Ici, trônent un lit, une armoire et des jouets, issus de récup' de leur ancien habitat ou achetés sur le Bon Coin. Les enfants y jouent, et les plus grands y invitent amis et famille pour qu'ils dorment tranquillement.
Juste à côté, le local associatif est une pièce spacieuse, qui donne sur le jardin partagé. C'est le cœur de cet habitat participatif, où tous les résidents se retrouvent à raison d'une fois toutes les deux semaines, pour échanger sur la vie en communauté et les projets de l'association. Rien n'est vraiment défini dans ce lieu puisque tout y est expérimental. De plus, avec la crise sanitaire traversée l'année dernière, les résidents profitent et aménagent les lieux depuis seulement 2 mois. Des grands poufs, canapés, et tapis colorés habillent la pièce.qui est adaptée pour la douzaine d'enfants qui habitent aux étages juste au-dessus.
Les membres de l'association paient une cotisation chaque mois à hauteur d'une dizaine d'euros pour profiter des espaces partagés. Dans cet immeuble, tous ne sont pas adhérents. Parmi les 14 foyers résidents, 2 foyers ainsi que le gardien ne font pas partie de l'association : ils ont intégré l'immeuble directement par le biais de l'OPH (Organisation Publics de l'Habitat). Mais par politesse et pour garder une bonne entente, ils sont ponctuellement invités aux évènements, comme l'explique Avela.
Mais comment est né cet immeuble particulier ? À l'origine du projet en 2011, un groupe de personnes qui souhaitent faire construire un immeuble avec des espaces communs, dans lequel chacun sera propriétaire de son logement. Mais très vite, l'OPH de Montreuil se saisit du projet pour lui donner une dimension sociale, et collabore avec l'association Praxinoscope. L'idée est désormais de mettre les futurs appartements en location, pour des familles aux revenus modestes. Ceux et celles qui voulaient devenir propriétaires quittent l'aventure. La mise en marche n'a pas été de tout repos, car de nombreux paramètres doivent être pris en compte : “Entre les rêves de chacun, les contraintes budgétaires, les contraintes de l'OPH, et bien sûr trouver les bonnes personnes qui ne souhaitent pas seulement habiter en HLM mais également faire vivre l'association et participer au local associatif”, énumère la présidente de l'association.
Pour accéder au logement, un processus de rencontres est ponctuellement organisé, pour déterminer les motivations des foyers. Les projets d'habitat participatif portés par un organisme HLM restent rares en France. On en compte entre une dizaine et une vingtaine, selon Arnaud Cecillon, directeur adjoint de Rhône Saône Habitat, spécialisé dans les partenariats des sociétés HLM en habitat participatif. La difficulté ? Créer un partenariat entre un maître d'ouvrage HLM et un groupe d'habitants mais également : “La flambée du prix du foncier et la démarche compliquée de rencontrer des personnes qui doivent aller dans la même direction. “
Installés sur leurs canapés, Raphaël et Avela, racontent comment ils en sont venus à habiter dans cet immeuble.
Entre la difficulté de se loger et l'attrait d'une mode de vie alternatif
En situation d'isolement ou à la recherche d'une vie associative, les habitants et membres actifs du Praxinoscope ont trouvé dans ce logement, une nouvelle façon de vivre en harmonie et en collectivité.
Raphaël lui, âgé de 40 ans, s'est retrouvé dans l'urgence pour trouver un nouveau logement en 2019. Comédien de profession, il explique : "je n'ai pas particulièrement envie de parler en rentrant du boulot, je suis comme tout le monde". Mais il se dit "curieux des gens" et a vu dans ce projet l'opportunité de s'ouvrir à d'autres personnes et de trouver un nouveau mode de vie alternatif.
Sophie, qui a rejoint plus tard le récit, est avec Avela l'autre maman solo de la bande. Habiter ici est comme une bouffée d'oxygène pour elles. Elles souhaitaient de prime abord sortir de l'isolement qu'impliquait le fait de vivre dans une petite maison ou dans un immeuble avec des enfants en bas âge. Avela évoque la période difficile après la perte de son mari : “Je me voyais mal me retrouver dans un logement toute seule sans avoir un truc associatif, solidaire et collectif. J'étais dans un moment où j'avais besoin de ne pas me sentir isolée. Le fait de me dire que j'allais être dans un endroit où j'allais connaître mes voisins, me sentir entourée alors que j'étais dans un moment de très grande vulnérabilité, c'était très important.”
Aujourd'hui, la présidente de l'association est très heureuse de son logement : “Je n'aurais jamais pu aspirer à une qualité d'habitat comme celle que j'ai ici. Entre mon appart qui est hyper grand, le local, le jardin et le quartier qui sort de terre, je ne pensais pas pouvoir accéder à ça avec mes revenus.”
Avant d'aller chercher son fils, Sandra, une autre résidente, passe la tête dans le local associatif. Avec son mari Pierre-Luc, ils n'étaient pas tellement en galère de logement. Ils habitent ici avec leurs deux enfants, et sont attirés par le monde associatif et par la vie en communauté. Amoureux de la nature, ils sont les premiers à s'occuper du jardin collectif, où ils se refusent d'arracher les mauvaises herbes, qui après tout, n'en sont pas. Pierre-Luc est également le musicien de la troupe et met à disposition son piano dans l'espace collectif pour créer une ambiance chaleureuse.
"Ça t'oblige à penser collectif"
Mais attention, ce n'est pas parce qu'ils "vivent ensemble" qu'ils sont pour autant amis, tiennent-ils à préciser ! Non, ce sont des voisins qui s'apprécient, qui ont des relations beaucoup plus proches que celles qu'on peut trouver dans un immeuble classique mais pas question "de partir en vacances avec Avela", plaisante Raphaël.
Chacun vit en fait dans son appartement, et garde une vie privée. Mais ponctuellement, des réunions et des évènements sont organisés, afin de créer des liens forts entre les habitants. Dans le local, Raphaël a d'ailleurs fêté ses 40 ans, accompagné de sa famille, ses amis et bien sûr les membres du Praxinoscope ! L'essence de ce lieu est ainsi d'échanger, de reconnaître une nouvelle façon de vivre, ouverte sur l'inconnu où prime la solidarité.
Les envies personnelles sont ainsi mises de côté pour réfléchir au meilleur moyen de construire agréablement pour tout le monde : "Il faut changer de prisme pour penser les choses, penser collectif. Mettre en place des règles, trouver des solutions, et parfois il faut apprendre à se taire", expliquent les deux voisins. "Ce n'est pas toujours facile, les gens ont des sensibilités complètement différentes, même s'il y a des intérêts communs", illustre Avela, qui refuse d'entrer les détails : “Je ne veux pas dénoncer !”
Au-delà de ce projet humain, le logement social et partagé a tout intérêt à être démocratisé, puisqu'il amène une dimension écologique, selon Raphaël.
La Décroissance, une valeur dans l'ADN du Praxinoscope
La volonté d'agir pour la planète et l'idée de décroissance sont au cœur du projet dans ce logement participatif. De nombreuses actions sont menées en ce sens. Utiliser seulement 6 machines à laver pour tout un immeuble par exemple permet de consommer moins, comme l'explique Raphaël.
Le local associatif ouvre ses portes, chaque jeudi soir à l'AMAP, une association qui permet aux habitants du quartier de profiter de paniers de fruits et légumes frais. Au troisième étage, une habitante distribue, une fois par semaine, des invendus alimentaires. "L'idée c'est de consommer moins mais mieux, de mutualiser les équipements et les compétences" résume Raphaël.
Accompagnée de son seau de compost, Avela termine la visite par le jardin partagé. Ici, elle voit déjà les innombrables projets se profiler. On observe déjà les plants de groseilles et de framboises, offerts par l'OPH. Elle imagine avec les autres membres, la plantation d'arbres fruitiers, un projet potager, des bacs de cultures et pourquoi pas la construction d'une cabane pour les enfants. Les projets voient rapidement le jour au sein du Praxinoscope, à destination des habitants de l'immeuble mais aussi du quartier. Le prochain ? Grâce à une subvention, le Praxinoscope va acheter des vélos électriques partagés. Pour favoriser les déplacements écolos, sept vélos seront mis à disposition de tout le voisinage.