Emmanuel Chirache - Publié le 29 novembre 2021
RENCONTRES DU TROISIÈME ÂGE - Dans le Loiret, un projet d'écovillage participatif aimerait inventer un nouveau modèle de logement intergénérationnel.
Une lettre change et c'est toute la face d'un pays qui est bouleversée. En retirant le b de baby-boom pour le remplacer par le p de papy-boom (ou le m de mamy-boom), on obtient la nouvelle révolution démographique qui attend la France durant la prochaine décennie. Les chiffres sont éloquents : Les prévisions estiment que d'ici 2030, les 75-84 ans vont augmenter de 49% en France. Plus marquant encore, le rapport entre les 0-25 ans et les plus de 60 ans va tout simplement s'inverser en 2050, ces derniers devenant les plus nombreux !
Avec cette particularité que les seniors actuels souhaitent vieillir chez eux le plus longtemps possible. C'est aussi la génération la plus attirée par l'habitat participatif, un constat qui a éveillé l'intérêt de Romain Régerat, ancien entrepreneur dans la logistique reconverti en boulanger, puis devenu cofondateur des Terres du temps, une entreprise qui travaille à l'émergence de solutions nouvelles de logements pour les personnes âgées. Son projet principal ? "Créer un petit village tout équipé dans le Loiret, avec les services essentiels, afin de prolonger l'autonomie de ces personnes", nous explique-t-il.
Ce village sera constitué d'une quarantaine de maisons de plain-pied avec une ou deux chambres maximum, un commerce intitulée la “maison commune”, comprenant une terrasse et un café, ainsi que la mutualisation de services tels qu'une buanderie ou un véhicule partagé. Sur un total de 20 000 m2, actuellement un terrain agricole non loin du bourg, il restera ensuite 15 000 m2 d'espaces extérieurs à aménager, si possible de façon la plus naturelle possible, avec des jardins partagés et des vergers. Pour le reste du volet écolo, la construction sera en ossature bois, et les Terres du temps ont prévu d'installer 500 m2 de panneaux photovoltaïques.
"C'est parti du constat de l'isolement croissant des seniors"
Comme souvent avec ce type de projet, l'idée est née d'une expérience personnelle. "C'est parti du constat de l'isolement croissant des seniors. J'ai travaillé avec ma tante qui s'est sentie isolée à un moment de sa vie, nous raconte Robin. Alors on a envisagé d'autres pistes, on a contacté des bailleurs, des mairies, des promoteurs… l'an dernier, le concept de la coopérative s'est imposée." Maintenant, le plus dur reste à faire : déposer un permis de construire, rendre viable le projet économiquement grâce à des investisseurs institutionels ou privés, puis mettre en place le projet social, avec sa charte et son modèle de gouvernance.
Même si les choses avancent bien, ce type de projet "hybride", qui peut aussi lorgner du côté du réseau des Oasis (une fédération d'écolieux), nécessite encore beaucoup de travail de vulgarisation et d'information, comme nous le confirme Romain. Tout le monde ne connaît pas encore le fonctionnement de l'habitat participatif en France. Ici, la construction sera financée à 50% par les habitants et 50% par les autres coopérateurs, mairie, département, associations, ou encore des entreprises privées comme des mutuelles, concernées au premier plan par l'avenir des seniors.
Mais avant d'y parvenir, il faut convaincre tout le monde que le projet est économiquement viable. "Le but, c'est de donner un accès au logement inférieur à la moitié du coût traditionnel, soit entre 100 et 150 000 euros la maison, poursuit Romain. Nous voulons aussi agir contre la spéculation immobilière. Non seulement le logement sera accessible à un prix abordable, mais on garantit un système dans lequel il n'y a pas de propriété individuelle où les gens revendent à qui ils veulent. On rachète les parts et on choisit les nouveaux arrivants."
Alogia, spécialiste en logement inclusif pour les seniors
Côté aménagement des maisons, la mission est confiée à la start-up bordelaise Alogia, un bureau de conseil spécialisé dans l'accompagnement des constructeurs de logements évolutifs et inclusifs pour les personnes âgées. Un dispositif qui mobilise le savoir-faire d'ergothérapeuthes, capables de diagnostiquer les besoins et mettre en place des solutions pertinentes, telles que les nouvelles technologies domotiques, mais aussi des meubles évolutifs qui se baissent ou se rehaussent électriquement. Pour autant, les résidences ne seront pas médicalisées : "Le but, c'est vraiment de favoriser l'autonomie des seniors", rappelle Romain.
Une indépendance maximum, donc, mais pas synonyme de repli sur soi. L'écovillage a pour vocation de s'ouvrir aux familles et à accueillir plusieurs générations complémentaires de seniors. "Nous avons prévu trois ou quatre gîtes pour que les familles ou les amis puissent résider sur place quelques jours, détaille Romain Régerat. Dans 30 ans, le lieu sera appelé à s'ouvrir sur quelque chose de plus intergénérationnel." C'est déjà le cas, puisque parmi les premières personnes à avoir donné leur accord pour s'y installer figurent une fille et sa mère, âgées respectivement de... 65 et 86 ans.